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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

REFORME DE L’ETAT

12 Septembre 2020 , Rédigé par FO Services Publics 51

Amélie de Montchalin : “Il n’y aura pas de relance sans transformation de l’État, sans simplification”

 

Port du masque, autorisations spéciales d’absence, jour de carence, télétravail, protection sociale complémentaire, réforme de la haute fonction publique… Entre crise sanitaire et mise en œuvre du plan de relance, la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Amélie de Montchalin, revient, dans cet entretien à Acteurs publics, sur les principaux sujets de la rentrée dans le secteur public. 

Le port du masque est désormais obligatoire dans l’ensemble des administrations. L’État a la charge d’en fournir aux agents publics. En a-t-il la capacité ? 
Tous les agents publics de l’État seront équipés. Je n’ai pas de doute concernant les approvisionnements. Nous avons aujourd’hui des stocks répartis sur l’ensemble du territoire. Deux circuits logistiques existent et ils sont très bien rodés : celui du ministère de l’Éducation nationale pour son périmètre et celui du ministère de l’Intérieur pour l’ensemble des autres services de l’État hors champ sanitaire. Le cas échant, les stocks en préfectures permettront aussi de venir en appui de certaines collectivités, en particulier celles de petite taille, qui auraient des difficultés à se fournir à un moment donné pour protéger leurs agents.

Plusieurs masques pourront-ils donc être donnés chaque jour aux agents, sachant par exemple que les masques jetables doivent être changés toutes les 4 heures environ ? 
Notre doctrine s’inscrit dans le respect des règles d’usage établies par les autorités sanitaires. Nous demandons aux employeurs de bien observer cette doctrine et de fournir en tant que de besoin des masques aux agents pour respecter les règles établies. Nous faisons cela avec un double objectif : garantir aux agents publics une protection dans le cadre de l’exercice de leurs missions et garantir aux Français que le service public fonctionne. La vie doit pleinement reprendre dans tous les lieux du service public.

D’où les règles claires et lisibles décidées par le gouvernement, pour qu’en cette période, les Français ne soient pas empêchés d’effectuer leurs démarches ou, inversement, que les agents publics ne soient pas empêchés d’exercer leurs missions du fait d’un problème d’équipement de protection. Il faut que les agents publics puissent être pleinement à leur tâche puisqu’ils seront avec les élus et les entreprises en première ligne pour la mise en œuvre du plan de relance : ils sont les agents de la relance. 

La preuve est faite que le jour de carence est une mesure efficace.

Quelles sont les règles en matière d’autorisations spéciales pour les agents publics ? Rétabli depuis la fin de l’état d’urgence sanitaire, le jour de carence pourrait-il à nouveau être suspendu ? 
Les règles en matière d’autorisations spéciales d’absence (ASA) ont été précisées pour les agents considérés comme vulnérables dans la circulaire du Premier ministre. Elles l’ont été aussi pour les agents malades, qui seront en congé maladie, et les cas contacts en attente de test, qui se mettront en télétravail si cela est possible. S’agissant du jour de carence, la preuve est faite qu’il s’agit d’une mesure efficace, notamment en matière d’absentéisme, sur lequel nous n’aurons aucune tolérance. Le nombre de jours d’arrêt maladie était de 990 000 en 2018. Il a été, en 2019, de 920 000. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de relance, d’où la nécessité de remettre l’intégralité des forces vives du pays sur le terrain. Des ajustements sur le jour de carence sont bien sûr envisageables si la situation sanitaire venait à s’aggraver, comme nous avons pu le faire entre mars et juillet. 

Êtes-vous prête à diffuser des données pour justifier de l’efficacité du rétablissement du jour de carence ? 
Je n’aurai aucune difficulté à fournir régulièrement des données sur les effets du rétablissement du jour de carence. De manière générale, la transparence permet la confiance, l’objectivation des problèmes à résoudre et la pédagogie sur les éventuels ajustements à apporter aux solutions. C’est pourquoi je souhaite donner une plus grande visibilité aux résultats des réformes engagées depuis le début du quinquennat. Culturellement, on a souvent la tentation de ne communiquer que quand les réformes sont terminées, si elles sont réussies. Il faut que cela change, sinon on continuera à créer de la défiance vis-à-vis de l’action publique et de ceux qui la portent.

Un baromètre des résultats avec des données tangibles, très claires et territorialisées sera donc publié sur le site du gouvernement à l’automne. Il ne s’agit pas de faire un baromètre pour faire un baromètre. Il s’agit de comprendre pourquoi une réforme fonctionne dans un département et pas dans un autre, comment on peut faire mieux. La confiance entre les Français et les pouvoirs publics ne pourra qu’en sortir restaurée. 
 
Le plan de relance prévoit une enveloppe d’1 milliard d’euros pour accélérer la transformation numérique des services publics. Mais rien ne porte en tant que tel sur la réforme de l’État…
Le plan présenté est un plan d’investissement massif pour transformer la France à l’horizon 2030, pour la rendre plus écologique, plus compétitive, avec une cohésion sociale renforcée. La réforme de l’État, en tant que telle, ce n’est pas seulement avec des moyens financiers qu’on la conduira. Mais cet investissement nous donne l’opportunité d’organiser autrement l’État, de le “décomplexifier”. Il n’y aura pas de relance sans transformation de l’État, sans simplification de l’action publique. C’est pourquoi, au-delà du soutien à l’économie, à l’emploi ou à la formation, nous avons besoin que notre action publique redevienne pleinement efficace. Pour qu’elle le soit, nous devons accélérer un certain nombre de programmes de transformation numérique parfois bien identifiés mais qui, si l’on ne fait rien aujourd’hui, n’entreront en vigueur que dans plusieurs années. Le plan de relance crée ainsi une enveloppe inédite pour améliorer les outils numériques des agents et accélérer la dématérialisation des démarches administratives pour simplifier la vie des Français.

Les méthodes d’organisation du travail dans la fonction publique, notamment le télétravail, doivent être repensées.

Quelles sont vos priorités en matière d’organisation en cette période de sortie de crise ? L’accent sera-t-il mis sur le télétravail ? 
Pendant la crise sanitaire, une culture de responsabilité et de confiance s’est diffusée au sein des administrations et dans leurs méthodes de travail. Les manières de décider ont été facilitées et donc accélérées, par exemple en cassant certains silos ministériels. Il faut donc poursuivre cette dynamique d’engagement bénéfique pour les agents publics. Les méthodes d’organisation du travail, notamment le télétravail, doivent aussi être repensées.

Ce n’est pas parce que vous donnez aux agents un ordinateur portable, un téléphone ou un accès aux réseaux ministériels qu’ils peuvent télétravailler. Le télétravail doit s’organiser avec des outils adéquats et efficaces, et non rudimentaires comme ce fut parfois le cas pendant le confinement. Cela nécessite aussi une formation des agents et de leurs managers. Nous allons donc organiser rapidement une réflexion avec les organisations syndicales sur l’ensemble de ces sujets. Si vous numérisez uniquement pour les usagers et qu’en même temps vous ne rendez pas plus facile le travail des agents, ces derniers auront du mal à comprendre pleinement le bénéfice du numérique. 

 

Le télétravail est encouragé dans la fonction publique en cette rentrée. Le nombre de jours télétravaillés par les agents publics sera-t-il limité ? 
Les agents ne souhaitent pas un isolement complet et permanent, pas plus que les équipes auxquelles ils appartiennent : ce ne sera donc pas tous les jours de la semaine. Le nombre de jours devra être défini selon l’organisation du service. Est-ce que ce sera, un, deux ou trois jours ? Les textes prévoient trois jours maximum, mais cela peut être assoupli dans certaines circonstances. Nous en discuterons avec les représentants du personnel. Je pense en tout cas qu’il faut un cadre général tout en restant agile, notamment dans les zones où la circulation du virus est plus ou moins active. Il faut garder une part de souplesse et de différenciation tout en faisant comprendre aux agents que nous nous investissons pour leur donner des conditions de travail modernes et efficaces, où qu’ils soient. 

Où en est-on du chantier de la protection sociale complémentaire des agents publics, dont la réforme doit passer par ordonnance ? 
La crise a mis en avant beaucoup d’inégalités et d’injustices en termes de reconnaissance et de rémunération pour des agents publics, en particulier entre les femmes et les hommes. De réels efforts sont à fournir pour certains métiers féminisés et certaines filières. Ces inégalités concernent aussi les questions de la complémentaire santé des agents publics par rapport à ce qui existe dans le secteur privé. Nous allons travailler sur le sujet à l’automne avec les organisations syndicales et les employeurs, dans l’objectif d’avoir une ordonnance d’ici le mois de mars prochain. 

 

Êtes-vous favorable à une participation obligatoire des employeurs à la protection sociale complémentaire des agents, comme le réclament les organisations syndicales ? 
Ce sera l’un des principaux points de discussion. Il faudra, dans tous les cas, trouver les moyens de s’assurer qu’aucun agent ne renonce aux soins à cause du coût trop élevé d’une complémentaire au regard de sa rémunération. Les organisations syndicales ont raison de porter ce sujet, d’autant plus important après la crise. Aucune porte n’est fermée. Le dialogue social, auquel je crois pleinement, est primordial sur ces questions. 

La mobilité obligatoire est une piste qui me semble intéressante.

Quelle est votre vision quant à la réforme de la haute fonction publique, au sujet de laquelle les discussions vont reprendre après avoir été suspendues pendant la crise sanitaire ? 
Le président de la République m’a demandé de lui remettre des propositions. Cette réforme de la haute fonction publique est une priorité pour notre République, pour la confiance collective et notre capacité à donner à chacun, dans ce pays, la conviction et la preuve que l’égalité des chances est une réalité et non un concept éculé. Ce que vous attendez, c’est que je vous dise que je vais réformer l’ENA. Ce serait une réponse trop simple, et je ne m’intéresserais alors qu’à un cursus, un concours, alors que c’est beaucoup plus compliqué et plus large. Le vrai débat, ce n’est pas seulement l’ENA. 

Qu’est-ce donc alors ? 
Le vrai sujet, c’est de garantir l’égalité des chances dans l’accès aux postes à responsabilités de la haute fonction publique. C’est non seulement la question du recrutement initial, qui est le sujet de l’ENA et des autres écoles de service public, mais c’est surtout la question de savoir qui on nomme et à qui on donne accès à ces postes. Cela pose la question des viviers, de la mixité et de la représentativité sociales et territoriales, de savoir comment la fonction publique est capable d’identifier des talents, de féminiser ses viviers et de définir la manière d’identifier des gens compétents, y compris en dehors de la fonction publique. C’est pour moi un enjeu primordial, qui mélange donc des questions de formation initiale et continue, d’accès aux postes, mais aussi des questions de parcours professionnels, de carrière et de gestion des talents. Ceux qui administrent le pays doivent ressembler aux Françaises et aux Français dans toute leur diversité.

Le gouvernement Philippe avait exclu une des pistes phares du rapport de Thiriez : la création d’un concours spécial “égalité des chances”. La mise en place de quotas en somme. Que pensez-vous de cette proposition ? 
J’étais à la table du Conseil des ministres quand ce sujet a été discuté. Dans un sens comme dans l’autre, les arguments étaient très intéressants. Mon action a pour but de respecter à la fois l’ambition que porte le président de la République et le cap qu’il fixe en matière d’égalité des chances, ainsi que les fondamentaux de notre République, la méritocratie en tête.

Sur la féminisation de la haute fonction publique, pensez-vous qu’il faille aller plus loin que la seule règle de 40 % de primo-nominations ? Cela doit-il, selon vous, concerner l’ensemble des nominations et non plus seulement les primo-nominations ? 
Bien sûr. Mais avant d’y réfléchir, il y a encore du chemin à faire pour que les ministères ne payent plus d’amendes dans ce domaine. Nous n’y sommes pas encore, sur les 40 %, même si des progrès très importants sont à noter depuis trois ans. Un vivier des cadres dirigeants est aujourd’hui constitué par le secrétariat général du gouvernement. Au-delà d’une CVthèque, je veux que les femmes de ce vivier et celles qui souhaitent accéder aux emplois supérieurs soient désormais soutenues, accompagnées, “marrainées”, de manière à ce que, dans les nominations à venir, par exemple, une femme diplomate puisse devenir préfète, et inversement. Le champ interministériel doit être davantage ouvert. 

Seriez-vous ainsi prête à demander aux ministères de signer des conventions entre eux pour qu’ils procèdent de manière plus volontariste à des échanges de fonctionnaires d’un certain niveau, voire d’inscrire dans le statut, pour les A+ notamment, une obligation de mobilité ? 
Là où elle n’existe pas encore, la mobilité obligatoire est une piste qui, par exemple, me semble intéressante. Construire une carrière, ce n’est pas juste gravir des échelons dans son ministère, c’est acquérir des compétences et les apporter dans des endroits différents. Encore faut-il que ce soit bien piloté, avec une véritable gestion des talents. Au-delà de la mobilité entre les ministères et entre les versants de la fonction publique, l’accent doit aussi être mis sur les parcours entre administrations centrales et déconcentrées. Rien ne dit qu’il est adapté d’avoir une carrière uniquement en centrale. 

Le rôle de l’État ne doit pas être seulement celui d’un pourvoyeur de normes et de cadres.

Lorsque l’on obverse une promotion de l’ENA sous le prisme des affectations, on s’aperçoit que 20 élèves sur 80 deviendront juges sans avoir reçu une formation initiale différente des autres durant la scolarité de vingt et un mois et sans même avoir su qu’ils allaient le devenir avant l’“amphi-garnison” des derniers jours. L’ENA est-elle une école de juges auxquels on apprend à être indépendants de l’État ou une école de hauts fonctionnaires auxquels on apprend, notamment, à servir le politique ? 
La relance change la donne, et nous ouvre des opportunités. Le rôle de l’État ne doit pas être seulement celui d’un pourvoyeur de normes et de cadres. C’est un rôle important, mais il ne peut se concevoir sans celui de facilitateur, d’aiguillon et d’animateur. C’est essentiel dans nos territoires pour la relance. Être haut fonctionnaire aujourd’hui, qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que l’on forme les futurs hauts fonctionnaires à produire seulement de la norme ? Non. Ils doivent aussi être formés, et de plus en plus, à être des animateurs et des facilitateurs, aux côtés des élus et des entreprises dans nos territoires. C’est une réflexion que nous devons avoir au-delà de la seule formation de l’ENA. C’est un changement de paradigme.

Avec la loi du 6 août 2019 de réforme de la fonction publique, les emplois de direction de l’État (sous-directeurs chefs de services, etc.) sont désormais ouverts aux contractuels. L’ouverture juridique de ces emplois connaîtra-t-elle le même sort que celle des emplois de cadres dirigeants pourvus en Conseil des ministres, ouverts aux contractuels depuis des lustres dans le droit plus que dans les faits ? 
L’ouverture faite par la loi du 6 août 2019 constitue une démarche importante qu’il faut faire vivre dans l’optique de la diversité. Il est vital pour les organisations de respirer. C’est une bonne chose d’envisager une seconde carrière, soit dans le secteur privé pour un agent public, soit dans le public pour un salarié du privé. Un tel apport en compétences est, dans tous les cas, bénéfique pour les administrations. Mais les choses sont peut-être plus simples à organiser dans les ministères techniques que dans les ministères régaliens, où ces mobilités doivent être davantage accompagnées. 

Votre ministère a autorité sur les 3 directions concourant à la transformation de l’État, la DGAFP, la Dinum et la DITP*. Directions que vous réunissez chaque semaine au sein d’un comité de direction du ministère. Pourquoi un tel choix ? 
Il est essentiel que ces 3 directions soient, de manière inédite, sous le même toit. C’est avec des femmes et des hommes formés et accompagnés via la DGAFP, avec un État qui se modernise numériquement avec la Dinum et avec une relation renouvelée à l’usager via la DITP, que l’on transformera durablement l’action publique. Avec ces 3 directions sous mon autorité, je peux apporter une vision et un appui à 360° aux autres ministères. Pour accompagner et faciliter la mise en œuvre des réformes prioritaires – donc la relance –, c’est un atout au service de tout le gouvernement de bénéficier d’un accompagnement unique de transformation, de la RH au numérique, en passant par les organisations. Et c’est une manière d’avoir un dialogue franc avec les ministères sur les obstacles à la transformation et les leviers pour avancer.

ACTEURS PUBLICS : article publie le lundi 07 septembre 2020 & BASTIEN SCORDIA ET PIERRE LABERRONDO

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