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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES

3 Décembre 2018 , Rédigé par FO Services Publics 51

La difficile équation de la participation

Le taux de participation aux élections dira beaucoup de la légitimité des organisations syndicales et de l’état du dialogue social. Reste que pour mobiliser, les protagonistes doivent jongler avec plusieurs problématiques de fond. Second volet de notre enquête consacrée aux enjeux des élections professionnelles du 6 décembre dans la fonction publique. 

Aux urnes, agents publics ! Qu’il s’agisse de communiqués, d’interventions médiatiques ou d’allocutions sur le terrain, c’est le message que ne cessent de marteler, ces deniers temps, les organisations syndicales d’agents publics et, dans une moindre mesure, le gouvernement. Dans quelques jours, se tiendra en effet la grand-messe des élections professionnelles dans le secteur public. Un scrutin à hauts risques tant pour les représentants du personnel que pour l’exécutif.

De part et d’autre, la question du taux de participation est sans surprise déjà dans toutes les têtes. De ce taux dépendra en effet la représentativité des syndicats et leur légitimité à porter les revendications des agents. Ce sera surtout un important indicateur du climat actuel du dialogue social dans la fonction publique. “La participation est indispensable à qui veut pouvoir peser et apparaître légitime tant auprès d’un électorat que de ses partenaires et de ses contradicteurs”, juge Nicolas Sautereau, docteur en droit public. “Il en va à la fois de la légitimité des organisations syndicales, mais aussi de celle des institutions de dialogue social, ajoute Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’université de Bourgogne. Si la participation recule, le jeu du dialogue social va devenir de plus en plus artificiel.”

Grande inconnue

Pour le moment, personne n’ose mettre une pièce sur le taux de participation qui pourrait être enregistré le 6 décembre prochain. Publiquement, l’ensemble des protagonistes espère bien entendu que la participation sera supérieure à celle du denier scrutin, en 2014, qui s’établissait à 52,8 %. “Nous accordons une très grande importance à la participation la plus large possible des agents à l’élection de leurs représentants dans les instances de représentation du personnel”, répète à l’envi le gouvernement, par la voix de son secrétaire d’État placé auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt. Susciter la plus forte participation possible est primordial pour démontrer l’utilité, voire le côté indispensable des organisations syndicales et du dialogue social, martèlent de leur côté les principales intéressées.

“Si la participation recule, le jeu du dialogue social va devenir de plus en plus artificiel.” 
(Dominique Andolfatto, professeur de science politique) 

“Le syndicalisme est nécessaire pour faire avancer les revendications des agents et pour s’opposer aux tentations d’un contrôle toujours plus étroit et autoritaire sur eux”, estime-on à la FSU. “L’enjeu est plus profond que la seule représentativité des organisations syndicales, juge de son côté Force ouvrière. Il s’agit de peser davantage dans le combat pour la défense des services publics et de s’opposer aux contre-réformes actuelles.”

En coulisses, le discours est tout autre. D’aucuns craignent en effet que le taux de participation ne soit plus faible qu’en 2014. Pour rappel, lors de ce scrutin commun aux trois versants de la fonction publique, plus de 2,7 millions d’agents avaient participé au vote sur un total de 5,2 millions d’inscrits, soit un taux de participation de 52,8 %. Un chiffre en recul de 1,8 point par rapport aux précédentes élections, qui s’étaient tenues entre 2008 et 2011. Dans le détail, la participation avait été plus élevée en 2014 dans la fonction publique territoriale (54,9 %, - 4,1 points) que dans la fonction publique d’État (52,3 %, - 0,6 point) et dans le versant hospitalier (50,2 %, - 0,8 point).

Comment expliquer ce scénario pessimiste pour 2018 ? Les causes d’une potentielle désaffection sont autant de problématiques et de défis auxquels les organisations syndicales sont aujourd’hui confrontées pour mobiliser la base d’ici la fin de l’année.

“C’est typiquement français, la crise de la démocratie et de la représentativité politique est bien connue, mais la crise de la démocratie sociale et syndicale est également palpable […], la social-démocratie perd peu à peu la force de ses corps intermédiaires”, analyse Marylise Lebranchu, ancienne ministre de la Décentralisation, de la Fonction publique et de la Réforme de l’État dans l’équipe Hollande, en poste lors du scrutin de 2014.

Perte de confiance

Signe de la perte de vitesse des organisations syndicales : la lente érosion du taux de syndicalisation dans le secteur public. Selon les dernières données du ministère du Travail, ce taux s’élevait en 2016 à 19,1 % dans la fonction publique contre 19,8 % en 2013. Même si ces chiffres témoignent “bien plus d’une relative stabilité de la syndicalisation des fonctionnaires”, il y a “bien évidemment un certain effacement des syndicats dans l’arène publique”, explique Dominique Andolfatto. “Globalement, tend à se développer non pas de l’antisyndicalisme mais plutôt de l’asyndicalisme, comme si on reprochait aux syndicats d’être parties prenantes d’un système organisationnel qui cristallise la critique, souligne-t-il. Les syndicats souffrent aussi d’apparaître bien souvent comme des organisations attentives avant tout à la défense de leurs intérêts ou à celles de certaines catégories.” “La qualité du dialogue social passe par son efficacité et non pas seulement par le droit qu’il constitue, or le moins que l’on puisse dire, c’est que les agents du terrain ont le sentiment que les organisations ne sont pas bonnes depuis plusieurs années, analyse pour sa part un fin observateur de la sphère publique. Regardez par exemple le maigre nombre de victoires tant sur le pouvoir d’achat que sur les effectifs.”

“La protestation sociale passe davantage par le choix électoral.” 
(Luc Rouban, Cevipof) 

Preuve de cette perte de confiance : les données du “Baromètre de la confiance politique” du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Actuellement, seuls 30 % des agents publics environ feraient confiance aux syndicats, explique Luc Rouban, directeur de recherches dans ce centre et au CNRS. “La crise de défiance est très forte entre les agents et les organisations syndicales, affirme-t-il. Les agents considèrent que les organisations syndicales ne prennent pas suffisamment en compte les considérations de la vie quotidienne.” Conséquence, selon lui : la protestation sociale dans la fonction publique “passe davantage par le choix électoral que par l’action syndicale”.

Montée du vote extrémiste

L’occasion pour Luc Rouban de souligner que l’un des grands changements observés depuis les années 2010 est la progression rapide du vote en faveur du Front national au sein des fonctions publiques. “Une montée en force qui vient contredire l’idée reçue selon laquelle la majorité des fonctionnaires est de gauche”, ajoute-t-il. Ainsi, dans une enquête publiée en février 2017 sur les intentions de vote des agents publics pour l’élection présidentielle, le Cevipof évaluait à 19,6 % le taux d’intentions de vote en faveur de Marine Le Pen, la candidate du FN, dans la fonction publique d’État, à 22 % dans la territoriale et à 23,8 % dans l’hospitalière. La candidate d’extrême droite arrivait notamment en tête chez les catégories C et B, les plus modestes.

“La progression du vote FN se comprend tout d’abord par le fait que l’action syndicale est mal adaptée pour influer sur les situations de déclassement social que subissent notamment les fonctionnaires de catégorie C, explique Luc Rouban. Un sentiment d’abandon et de déclin qui coïncide avec l’une des motivations du vote Front national [aujourd’hui Rassemblement national, ndlr] qu’est l’insécurité culturelle, physique et sociale non prise en compte par la hiérarchie ou la classe politique.” Et d’ajouter que l’évolution du vote FN dans le secteur public tient aussi à “l’évolution de l’offre politique du parti, qui est passé d’un discours très critique à l’égard du secteur public “budgétivore” à un discours de défense des services publics et de protection des plus pauvres”. “Ce discours ne peut être que bien perçu par les fonctionnaires, compte tenu de leur attachement aux valeurs du service public et notamment au principe d’égalité”, ajoute-t-il.

À l’heure où les troupes syndicales finissent de battre la campagne pour ratisser large, ces dynamiques de fond ne peuvent donc qu’interroger les représentants du personnel et les laisser en proie au doute. Et ce d’autant plus que les dernières journées d’action dans le secteur public ont été marquées par un essoufflement de la mobilisation : le 10 octobre 2017 et le 22 mai dernier, où les syndicats représentatifs de la fonction publique avaient appelé leurs troupes à l’action, ainsi que le 22 mars, où la CFDT et l’Unsa avaient décidé de ne pas se joindre au mouvement. “La situation nous échappe de plus en plus”, reconnaît un leader syndical, qui n’entend pas pour autant tomber dans la “sinistrose”, “mais, glisse-t-il, il y a une véritable difficulté à mobiliser, ce qui ne vas pas aider pour les élections professionnelles”.

“Les différentes simulations sur le vote Front national et la participation décevante enregistrée ces derniers mois ne peuvent que nous inquiéter, c’est évident, mais l’enjeu qui doit s’imposer aujourd’hui à toutes les organisations syndicales, c’est de montrer que la défense des agents publics passe nécessairement par une action syndicale forte et combative”, ajoute Gaëlle Martinez, de Solidaires Fonction publique.

“Ce que les agents publics attendent, ce ne sont plus des mobilisations sans mots d’ordre” 
(Mylène Jacquot, CFDT)  

“Pour rester offensif et ambitieux, un syndicat doit se poser les bonnes questions. Ce n’est pas apporter de bonnes réponses que de se cacher les questions qui nous sont posées, renchérit Jean-Marc Canon, de l’UFSE-CGT. Depuis le 22 mai, nous essayons de savoir pourquoi la mobilisation n’a pas été à la hauteur de nos espérances, non pas pour se flageller ni pour se livrer à des critiques stériles, mais bien dans la perspective de construire un véritable rapport de force.”

Evolution des attentes

Les raisons invoquées par les représentants du personnel pour justifier cet infléchissement de la mobilisation sont nombreuses : bien entendu, l’impact financier des journées d’action compte tenu des débrayages des agents publics a certainement compté, mais aussi l’accumulation des mouvements depuis le début du quinquennat et l’absence de mots d’ordre clairs. Pouvoir d’achat, réduction d’effectifs, restructuration, recours accru aux contractuels, conditions de vie au travail… Les slogans étaient en effet nombreux et hétéroclites dans les défilés. “Ce que les agents publics attendent, ce ne sont plus des mobilisations sans mots d’ordre”, estime ainsi Mylène Jacquot, de l’UFFA-CFDT. “Le syndicalisme doit se réinventer et moderniser son offre au service des agents, ajoute Luc Farré, de l’Unsa fonction publique. Ils attendent un accompagnement et une action concrète de notre part au quotidien, et non pas uniquement via des formes d’action spectaculaires.”

Mais c’est surtout un autre facteur d’explication qui semble faire l’unanimité dans les rangs syndicaux : la difficulté à tenir le bras de fer avec l’exécutif et donc à infléchir véritablement sa politique à l’égard des agents publics. Dans le viseur, notamment, la concertation lancée en février dernier sur la réforme du cadre statutaire de la fonction publique et qui doit aboutir à la présentation d’un projet de loi au premier semestre 2019. “Les marges de négociation sont malheureusement toujours aussi minimes, ce qui peut expliquer une certaine forme de dépit de la base”, regrette Bruno Collignon, président de la Fédération autonome de la fonction publique (FA-FP). “En ne concédant rien sur les 4 chantiers inscrits à l’ordre du jour de la discussion, le gouvernement nous met la tête sous l’eau et fait tout pour nous affaiblir, ce qui ne va pas aider les agents publics à aller voter”, craint de son côté Denis Lefebvre, secrétaire national de la fédération CFTC des fonctionnaires et agents de l’État (CFTC-FAE).

“Avec sa réforme, le gouvernement donne l’occasion comme jamais à chacun de mobiliser sur un projet.” 
(Nicolas Sautereau, docteur en droit public) 

Quel est donc véritablement l’objectif de l’exécutif ? Pour l’universitaire Nicolas Sautereau, la technique avec laquelle le gouvernement a engagé, tous azimuts, les discussions sur l’avenir de la fonction publique est “à double tranchant en termes de participation”. “Elle peut donner le sentiment que tout est joué d’avance et que, par conséquent, il est vain de se déplacer aux urnes. Le gouvernement pourrait ainsi exploiter cette situation pour venir limiter la place et le rôle des organisations syndicales, explique-t-il. À l’inverse, elle donne l’occasion comme jamais à chacun de mobiliser sur un projet.”

Un constat que partagent les organisations syndicales : “J’ai peur que le gouvernement, qui me semble très peu attaché au dialogue social et aux organisations syndicales, en tire comme argument le fait qu’une faible participation lui donne une espèce de blanc-seing pour accélérer encore les projets régressifs qu’il envisage pour le secteur public”, affirme Jean-Marc Canon, de la CGT. “Si la participation est en hausse, les marges de manœuvre des fédérations de fonctionnaires seront accrues. Dans le cas contraire, on peut avoir le sentiment que les agents publics seront encore moins considérés par l’exécutif qu’aujourd’hui”, estime Nathalie Makarski, de la CFE-CGC.

Quels enseignements possibles ?

Le discours est tout autre du côté de Bercy, où l’on répète publiquement que les chantiers en cours sur le statut des agents publics montrent que le dialogue social est “intense” et que les agents publics “ont intérêt” à ce que leurs voix soient portées dans ces échanges au travers de syndicats solides. “La légitimité résultant de l’élection de (leurs) représentants est l’élément fondateur du dialogue social dans la fonction publique, indispensable pour mener à bien les projets de transformation de l’action publique et de rénovation des politiques de ressources humaines du gouvernement”, avaient notamment déclaré le ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, et son secrétaire d’État dans une note aux ministres, préfets et directeurs d’agence régionale de santé (ARS), le 18 janvier dernier. Dans les couloirs du ministère, on estime cependant que le mécontentement des organisations syndicales quant au projet gouvernemental de réforme de la fonction publique ne se traduira pas forcément dans les urnes et donc par une croissance de la participation. “Nous avons deux ou trois indicateurs qui nous montrent que, sur l’essentiel de nos chantiers, le retour des agents est moins négatif que celui des organisations syndicales”, explique un acteur majeur de la concertation en cours.

Dans tous les cas, les résultats des élections professionnelles en diront long sur le climat actuel du dialogue social dans la fonction publique et de la légitimité dont disposeront les organisations syndicales pour intervenir dans le contexte de profonde transformation de l’action publique. Pour le moment, représentants du personnel et exécutif s’observent, quitte à multiplier les positions de postures, syndicales pour les uns et politiques pour l’autre. Reste à démêler le vrai du faux. Comme le disait le “Tigre” Clemenceau : “On ne ment jamais tant qu’avant les élections, pendant la guerre et après la chasse.”

ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE MERCREDI 28 NOVEMBRE 2018 & BASTIEN SCORDIA

 

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