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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

NUMERIQUE

27 Mai 2022 , Rédigé par FO Services Publics 51

La mutualisation progressive ou l’âge de raison des logiciels de gestion RH

De Louvois au ministère des Armées, à Sirhen au ministère de l’Éducation nationale, en passant par l’Opérateur national de paye (ONP), l’État a essuyé son lot d’échecs dans sa quête de modernisation des systèmes d’information de gestion des ressources humaines (SIRH). Exit les mégachantiers numériques : le gouvernement mise désormais sur des projets interministériels au déploiement progressif. Deuxième volet de notre dossier consacré aux SIRH de l'Etat.

Dans sa grande transformation numérique, l’État rénove de fond en comble ses systèmes d’information de gestion des ressources humaines (SIRH). Son nouveau credo : miser sur le développement d’applications RH interministérielles, pouvant être déployées progressivement et à la carte par les différentes entités publiques. Cette mutualisation des outils de pilotage RH vise, entre autres, à simplifier et à dématérialiser la gestion des agents. Cette doctrine a été énoncée comme l’un des 6 axes de la feuille de route SIRH 2022, partie intégrante du programme de transformation de l’administration « Action publique 2022 ». « Cette nouvelle approche trouve sa source dans le souhait de sortir des développements spécifiques internes, ministère par ministère, qui certes étaient adaptés au contexte administratif mais ne permettaient pas de capitaliser sur un tronc commun, explique-t-on à Bercy. Par ailleurs, l’État, de même que les grands acteurs privés, a évolué d’une logique de grands projets englobants vers le fait de privilégier des projets de plus petite taille avec des mises en production plus rapides et des pilotages mieux maîtrisés. » 

Échecs retentissants

Ces enseignements ont été tirés des abandons successifs et retentissants de chantiers numériques d’envergure à l’aube de la décennie 2010. À commencer par « Louvois ». Engagé en 2001 et déployé dix ans plus tard, ce projet visait à unifier et automatiser la gestion des soldes des militaires à travers un seul logiciel. Son « coût initial de développement était estimé à environ 80 millions d’euros par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées de l’Assemblée nationale dans son avis sur le projet de loi de finances 2019, auxquels s’ajoute le montant total des surcoûts induits par les dysfonctionnements du logiciel de 156,4 millions d’euros depuis 2013 », chiffrait la commission des finances du Sénat dans un rapport d’octobre 2020, suite à une enquête de la Cour des comptes sur le sujet. 

À l’origine des dysfonctionnements, la commission pointe du doigt des facteurs techniques, liés à « une sous-estimation de la difficulté du projet ». Et pour cause : la paie des militaires peut varier fortement d’un mois à l’autre au regard de la nature de leurs missions, avec un système de plus de 170 primes et indemnités. Le projet Louvois a finalement été arrêté en 2014.

Applications interministérielles

Ambition excessive, gouvernance défaillante, manque de compétences en interne favorisant le recours à des prestataires, difficulté à arrêter un projet dont les budgets ou les délais sont dépassés… Cette combinaison de facteurs est aussi à l’origine des échecs de l’Opérateur national de paye (ONP). Lancé en 2007 et arrêté en 2014, ce projet visait à établir la paye de 2,7 millions d’agents publics grâce à un nouveau calculateur qui aurait été alimenté automatiquement par les SIRH des ministères. Montant de la facture : 346 millions d’euros dépensés sur six ans. Bis repetita avec Sirhen, projet de développement d’un système d’information unifié intégrant la gestion des ressources humaines et des moyens pour le ministère de l’Éducation nationale. Sirhen a été suspendu en juillet 2018, après quatorze ans de gestation, pour un budget estimé à 496 millions d’euros. 

Cibles, gouvernance : le ministère de l’Éducation nationale tourne la page de l’échec Sirhen

« Les investissements consentis par l’État à l’époque ont été valorisés », assure Philippe Cuccuru, directeur du Centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines (Cisirh). Le Cisirh est né à la suite de l’abandon de l’ONP. Sa mission est de concevoir des applications RH mutualisées et de les proposer aux entités publiques dans une logique d’offre de services. « Nous ne sommes pas repartis d’une feuille blanche. Après l’arrêt de l’ONP, nous avons repris les études déjà réalisées pour mettre au point, entre autres, le SIRH interministériel RenoiRH », poursuit-il. Cet outil vise à couvrir l’ensemble de la zone dite « fonctionnelle RH », de la gestion administrative à la préliquidation de la paye. Déjà utilisée par le service du Premier ministre, les ministères des Affaires sociales, de l’Agriculture ou encore de l’Écologie, cette solution a vocation à monter en puissance. Au total, environ 400 000 agents devraient être gérés dans le système d’ici 2023, avec l’arrivée imminente des effectifs du ministère de l’Éducation nationale. 

Déploiements progressifs

Après l’arrêt de Sirhen, « notre nouvelle trajectoire SIRH a été définie en 2019. Historiquement, nous pouvions considérer que le ministère avait des pratiques spécifiques sur tous ses processus, et donc, il y avait la volonté de concevoir autant de SIRH dédiés, justifie Emmanuel Spinat, directeur du service de modernisation des systèmes d’information des ressources humaines (Semsirh) au sein du ministère de l’Éducation nationale. Aujourd’hui, nous sommes dans une analyse pragmatique. Pour certaines populations, administratives et techniques par exemple, nous sommes finalement proches du fonctionnement des autres ministères. Une offre interministérielle, comme RenoiRH, peut donc répondre à nos besoins. » Pour une meilleure maîtrise des opérations, les déploiements progressifs sont désormais la règle d’or. Le ministère de l’Éducation nationale a ainsi déployé RenoiRH début 2021 pour seulement 4 000 agents.

Au cours de cette année, la migration de 135 000 agents des populations administratives et techniques va être effectuée dans le logiciel pour un démarrage en paie en janvier 2023. Suivront ensuite, en novembre 2024, les 18 000 agents personnels de direction, d’encadrement et d’inspection, toujours gérés dans Sirhen. Ce dernier, qui ne faisait plus l’objet d’extensions depuis 2018, était en simple maintenance dans l’attente d’un nouveau SIRH. Il sera totalement mis à l’arrêt en 2025. 

Cette mise en application de la feuille de route SIRH 2022 a été saluée par un audit, réalisé entre novembre 2020 et janvier 2021 de manière indépendante par un cabinet de conseil, précise la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) dans son dernier rapport annuel. L’audit a ainsi relevé « l’intérêt de solutions mutualisées et des succès progressifs et reconnus comme Estève [solution de dématérialisation du compte-rendu des entretiens professionnels, lancée en 2017 et désormais utilisée pour 200 000 agents, ndlr], l’Ensap [espace numérique sécurisé pour les agents, rassemblant leurs documents relatifs à la paie, la solde et les retraites], Vinci [solution de collecte des compétences des agents pour constituer des viviers de cadres] ou la BDA [Bibliothèque des Actes pour l’uniformisation et la conformité des actes administratifs RH] par les ministères utilisateurs », énumère la DRH de l’État. Et de poursuivre : « Ces résultats démontrent qu’il est possible de faire aboutir, dans une dynamique collective, des solutions interministérielles hors du socle RH, dès lors que ces solutions se positionnent sur un commun réglementaire et/ou métier à toute administration. » 

Difficile acculturation

Pour jouer davantage collectif, la gouvernance du Cisirh est sur le point d’être modifiée. Actuellement, celle-ci est composée de membres de ses 3 directions de rattachement, la direction générale des finances publiques, la DGAFP et la direction du budget. Elle va être complétée prochainement par l’intégration de plusieurs DRH de ministères utilisateurs des solutions interministérielles. « Nous sommes particulièrement attachés à la bonne prise en compte des intérêts des ministères et des établissements publics utilisateurs des systèmes d’information RH proposés par le Cisirh dans le développement de nouvelles fonctionnalités », précise Philippe Cuccuru. Le Cisirh voit également son enveloppe dopée.

Alors que son budget exécuté en 2021, hors masse salariale, était de l’ordre de 17 millions d’euros, celui-ci pourrait atteindre jusqu’à 20 millions d’euros cette année.

Pour favoriser le recours aux outils mutualisés, l’État travaille actuellement sur des interfaces de programmation d’applications (API) afin que les différentes solutions puissent s’échanger facilement des données. « Nous sommes en train d’APIser RenoiRH pour répondre notamment aux besoins du ministère de l’Éducation nationale, qui est le premier partenaire à vouloir positionner ce SIRH interministériel au cœur de toutes ses applications RH satellites », détaille le directeur du Cisirh, car le ministère revendique 120 applications sur le périmètre des SIRH. Un nombre très élevé, qui entraîne des problèmes de maintenance. « C’est pourquoi nous sommes en train de rationaliser notre parc applicatif, explique Emmanuel Spinat. D’une part, nous devons définir le bon niveau de regroupement de certaines applications. D’autre part, nous devons APIser nos services pour faciliter la communication d’informations entre nos différents systèmes. »

Au-delà des considérations techniques, certaines entités publiques peuvent encore rester réfractaires à l’idée de lisser quelques spécificités SIRH pour intégrer des solutions mutualisées. « L’acculturation de nouveaux partenaires aux procédures de gestion RH mutualisées, mises en place dans RenoiRH, reste une opération difficile, admet Philippe Cuccuru. Les temps de persuasion et de transformation internes sont encore un peu longs. Mais comme la durée de nos projets de raccordement est de dix-huit à vingt-quatre mois, cela permet de disposer du temps pour convaincre les différents services de rallier les bonnes pratiques communes. »

ACTEURS PUBLICS : Article publie le jeudi 28 avril 2022 & ANAÏS CHERIF

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