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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

RESSOURCES HUMAINES

26 Mai 2022 , Rédigé par FO Services Publics 51

Comment l’État cherche à mieux piloter sa masse salariale grâce au numérique

Intelligence artificielle, open data, datavisualisation… L’État souhaite exploiter ses précieuses données en matière de ressources humaines pour tenter de piloter plus finement sa masse salariale. Un vaste chantier. Premier volet de notre dossier consacré aux systèmes d'Information de ressources humaines de l'Etat.

Anticiper pour mieux piloter… Voici le nouveau leitmotiv de l’État concernant la gestion de sa masse salariale. Son ambition est d’exploiter au mieux la richesse de ses données relatives aux ressources humaines grâce aux nouvelles possibilités offertes par la technologie. Le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, qui coordonne la politique de la donnée pour le Premier ministre, a dans ce sens publié, le 27 septembre dernier, une feuille de route pour « transformer l’action et la fonction publiques par la donnée ». Un des objectifs affichés est de « rénover grâce aux données la gestion des ressources humaines dans les administrations, de piloter la politique salariale ou encore de bâtir de meilleures mesures relatives à l’égalité des carrières professionnelles et des rémunérations ».

Cette ligne directrice s’inscrit entre autres dans le sillon de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), adoptée le 1er août 2001 et réformée en décembre 2021. Pensée pour renforcer la transparence du budget de l’État, la Lolf a instauré une culture du résultat. Elle a posé de nouvelles exigences en matière de pilotage, notamment via le titre II, consacré aux dépenses de personnel. Le secteur public a donc dû s’adapter : si, pendant longtemps, le suivi de la masse salariale a pu être subi, sans volonté réelle d’anticipation, la Lolf a rebattu les cartes. 

Piloter au mieux la masse salariale permet « d’affiner les budgets de personnels et de pouvoir négocier avec la direction du budget sur la base d’éléments objectivés. Les ministères peuvent ensuite mobiliser plus facilement l’intégralité de leurs moyens en personnel, affirme Philippe Cuccuru, directeur du Centre interministériel de services informatiques relatifs aux ressources humaines (Cisirh), en charge de développer des applications RH pour l’État. Les budgets étant élaborés sur la base de travaux réalisés avec des références historiques pluriannuelles, réussir à anticiper via des outils de simulation pourra changer la donne. »

Affiner l’atterrissage budgétaire

Au regard de l’importance des budgets gérés, piloter la masse salariale est complexe. « Notre masse salariale représente un budget annuel de plus de 12 milliards d’euros, hors pensions – ce qui constitue presque la moitié du budget du ministère lorsque l’on y ajoute les pensions », chiffre Christophe Chauffour, chef du service de la politique RH à la direction des ressources humaines du ministère des Armées. « Aujourd’hui, Chorus n’ayant pas été pensé pour suivre les dépenses de titre II, nous utilisons notamment des tableaux Excel remplis tous les mois par les gestionnaires afin d’indiquer les budgets de façon totalement déclarative… C’est loin d’être satisfaisant, ajoute-t-il. Outre la gestion pour laquelle nous manquons d’outils, nous devons aussi programmer la masse salariale sur six ans dans le cadre des lois de programmation militaires. C’est pourquoi des technologies comme l’intelligence artificielle pourraient nous y aider. »

Parmi les chantiers lancés par le ministère des Armées, la création d’un lac de données. L’objectif : centraliser l’ensemble des données RH déjà à disposition – issues des différents systèmes de paie et d’information – et les données déclaratives du ministère afin de réaliser des projections sur la masse salariale. « Nous avons besoin de pouvoir mieux appréhender les recrutements, les avancements et les départs, qui dépendent à la fois de facteurs extérieurs et personnels. C’est pourquoi nous testons actuellement deux cas d’usage dans le cadre de la plate-forme ministérielle d’exploitation des données (Pocead), précise Christophe Chauffour. D’une part, nous souhaitons pouvoir comparer directement et simplement les effectifs théoriques et réels – ce qui n’est pas possible actuellement.

D’autre part, nous voulons pouvoir analyser dans le détail les flux d’effectifs en faisant varier des curseurs, tels que la réussite aux concours ou l’âge de départ à la retraite. » Par exemple, si une réforme repousse de deux ans l’âge de départ à la retraite, l’idée est de pouvoir déterminer quel sera l’impact sur le comportement, sur l’avancement ou encore sur les parcours de carrière.

L’expérimentation du ministère des Armées n’est pas un cas isolé. Le ministère de l’Intérieur et le Conseil d’État testent aussi un outil de simulation de masse salariale, développé par Act/on, cabinet spécialisé dans l’exploitation et l’analyse des données RH. Cette solution, semblable à un moteur de paie, repose sur des algorithmes. Pour leurs calculs, ils prennent en compte des statistiques issues de données connues du passé, tout en incluant des probabilités : des populations types sont donc définies, en considérant que leurs comportements au sein d’une masse salariale sont sensiblement identiques. 

Open data

L’idée est d’enrichir une donnée RH relativement basique (nom, prénom, âge, poste occupé…) avec des données externes. Cet outil récolte donc les données des systèmes d’information de gestion des ressources humaines (SIRH) propres à chaque organisme pour les croiser par exemple avec les règles connues d’indicateurs de masses salariales du secteur public, tels que l’avancement, le grade, l’échelon… Mais comment intégrer l’inconnu, comme un départ anticipé à la retraite, une envie de mobilité ou une démission surprise ? « C’est toute la difficulté, dès lors que des éléments propres à chaque individu entrent en jeu. À partir des données des années antérieures, l’outil calcule des hypothèses – de mobilité, de départ, de promotion… – et par défaut, il reproduit les mêmes effets dans la simulation », explique Nicolas Eimery, directeur associé au sein d’Act/on. Par exemple, dans le cadre de projections pluriannuelles de masse salariale, il est possible d’anticiper la mobilité. Il suffit de calculer un taux moyen de mobilité pour un type de population précis au cours des trois dernières années. Ce taux sera ensuite appliqué à l’exercice en cours, avec possibilité pour le gestionnaire de le modifier s’il connaît déjà des événements pouvant influer sur cette tendance.

L’outil peut également mixer les éléments connus avec des informations issues de banques de données d’organismes publics, comme l’Insee, Pôle emploi ou encore Santé publique France. Ces derniers détiennent une multitude de données relatives à l’emploi, à l’éducation, à la santé ou encore aux territoires. Autant de données précieuses pour réaliser des hypothèses. Par exemple, dans le cadre d’une mobilité, un agent peut exiger d’avoir un cadre de vie semblable à celui dont il dispose déjà. Il peut donc être intéressant de disposer de données sur l’agent, comme son statut marital ou son nombre d’enfants, pour les coupler à des données liées à un territoire, comme le nombre d’écoles ou le temps moyen des trajets, afin de lui proposer un écosystème similaire. Si les résultats des expérimentations sont probants, le Cisirh envisage déjà de le proposer à l’interministériel. Au-delà de l’anticipation budgétaire, ce genre de solution pourrait aussi permettre de calculer automatiquement divers index (de parité, d’inclusion…) afin de nourrir des politiques RH davantage proactives.

Des défis encore nombreux

Des expérimentations sont donc lancées, mais les défis restent nombreux. Si l’État a engagé au milieu des années 2000 un processus de normalisation des données, la première difficulté reste la récolte de données fiables et harmonisées. « Récupérer de la donnée est un vrai challenge, compte tenu de notre galaxie de SIRH, confirme Frédérique Bonifacio, cheffe du service des ressources et SIRH à la direction des ressources humaines du ministères des Armées. Nous disposons d’un SIRH par armée, ainsi que d’un SIRH pour le personnel civil. Pour récupérer de la donnée RH aujourd’hui, nous devons donc nous interfacer avec 4 systèmes différents – sachant que chacun d’entre eux a été construit avec ses propres référentiels et processus… C’est pourquoi la priorité est notre projet de SIRH ministériel, qui devrait voir le jour en 2025 pour remplacer les 4 systèmes actuels. » 

Autre défi : l’anonymisation et la confidentialité de certaines données. « En matière de ressources humaines, il est parfois très difficile d’anonymiser totalement les données : le fait qu’un agent ait occupé, sur une période précise, plusieurs postes bien spécifiques peut permettre de l’identifier – quand bien même son état civil et son matricule ne sont pas dévoilés », explique Philippe Cuccuru.

Cela peut particulièrement être le cas pour des services avec des activités sensibles, comme la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). « Nous n’avons pas accès à toutes les données RH car certaines sont des données individuelles devant être extrêmement protégées », glisse Christophe Chauffour. Il est donc impératif de trouver le bon équilibre afin que les outils permettent de réaliser des simulations suffisamment précises, tout en protégeant les données. L’exploitation de données personnelles étant régie strictement par le Règlement général sur la protection des données (RGPD), il est interdit de cibler spécifiquement un salarié, mais il est possible de travailler à l’échelle de populations types.

Enfin, le dernier frein pourrait être culturel car pendant très longtemps, les responsables RH ne se sont pas préoccupés des chiffres, estimant que les agents n’étaient pas de simples indicateurs. Mais dans ce domaine, les choses évoluent aussi.
 

ACTEURS PUBLICS : Article publié le jeudi 28 avril 2022 & Anaïs CHERIF

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