Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

FINANCES PUBLIQUES

29 Septembre 2023 , Rédigé par FO Services Publics 51

Bras de fer jurisprudentiel autour de la responsabilité des managers publics

Le parquet général près la Cour des comptes a décidé de faire appel du premier arrêt rendu par la chambre du contentieux de la Rue Cambon depuis la réforme du régime de responsabilité financière des gestionnaires publics. Ce recours porte notamment sur l’appréciation du préjudice financier et surtout sur son caractère “significatif”, qui doit désormais être établi pour que la responsabilité soit engagée.

 

Le nouveau régime d’infractions et de sanctions des gestionnaires publics continue de faire débat. Entrée en vigueur début 2023, la réforme du régime de responsabilité de ces responsables suscite en effet toujours des craintes parmi ses détracteurs et chez de nombreux observateurs de la sphère publique.

C'est notamment un point précis de la réforme qui est au centre de leurs inquiétudes : la responsabilité des gestionnaires publics ne peut être engagée désormais que pour les fautes les “plus graves”, à condition que le préjudice financier soit “significatif”. Un critère qui, selon certains, réduirait les hypothèses d'engagement de la responsabilité des gestionnaires publics. 

Réitérées à nombreuses reprises lors de l'examen de la réforme (actée par une ordonnance de mars 2022), leurs craintes viennent encore d'être renforcées avec la publication mi-mai du premier arrêt rendu par la chambre du contentieux de la Cour des comptes depuis l'entrée en vigueur de la réforme. Un arrêt relatif à la société publique locale (SPL) Alpexpo. Le procureur général près la Cour des comptes avait renvoyé devant cette chambre les 2 présidents successifs de cette société, ainsi que sa directrice générale. 

Appel du parquet général

Par son arrêt du 11 mai, la Cour des comptes a in fine condamné la dirigeante de la société à 3 500 euros d’amende, notamment pour avoir signé des contrats de travail et de commande publique sans y être autorisée et sans délégation de signature, mais aussi pour avoir fait prendre en charge par la SPL des frais de loisirs de ses proches (en l'occurrence un voyage aux États-Unis). Accusés de faute grave dans la gestion de leur société publique et notamment de défaut de surveillance des actes de la directrice générale et de mauvaise tenue des comptes, les 2 présidents d'Alpexpo avaient en revanche été relaxés par la chambre du contentieux, celle-ci n'ayant pas établi le préjudice financier associé à ces manquements ni son caractère “significatif”. 

L'affaire ne va pas pour autant en rester là. Le parquet général près la Cour des comptes vient de décider de faire appel de l'arrêt de la chambre du contentieux. Un recours qui porte notamment sur la transition entre l'ancien et le nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics et surtout sur “l’appréciation du préjudice financier et son caractère significatif”, préjudice qui, selon le parquet, était établi et atteignait un montant de 12 000 euros au moins. 

Responsabilité difficile à établir 

“Il faut saluer la décision du ministère public de faire appel de cet arrêt, souligne l'universitaire spécialiste des finances publiques, Stéphanie Damarey. Cet arrêt est un mauvais signal à l'intention des gestionnaires publics. Ou, au contraire, un bon, tout est une question de point de vue, car ces gestionnaires peuvent être rassurés à sa lecture en supposant que leur responsabilité financière sera rarement engagée.” Devant la chambre du contentieux, poursuit-elle, le parquet avait pourtant proposé un “mode d'emploi” pour apprécier la significativité du préjudice résultant des fautes reprochées aux dirigeants d'Alpexpo. Un mode d'emploi que la chambre du contentieux a finalement écarté. 

“Il est regrettable que la Cour des comptes n'ait pas suivi son ministère public qui lui proposait des solutions pour dépasser les limites de la réforme qui fixe un cadre juridique très contraignant et qui laisse peu de place à l'office du juge financier”, développe Stéphanie Damarey.

“Alors que le parquet tente d'établir des voies possibles d'interprétation du texte permettant de libérer le juge de ces contraintes, il est dommage que la Cour des comptes n'ait pas saisi cette occasion”, insiste l'universitaire, en espérant que la Cour développe à l'avenir un “modus operandi des plus efficaces (pour) s'assurer que l'engagement de la responsabilité des gestionnaires publics soit effectif”. 

“Nous sommes dans une phase de transition entre les deux régimes de responsabilité, il est donc normal et même sain que le juge d'appel se prononce”, abonde Pierre Genève, le président du syndicat des juridictions financières (SJF). L'occasion pour ce dernier de confirmer ses craintes quant à un éventuel resserrement des conditions de qualification des infractions : “Le caractère significatif du préjudice est nécessaire pour qualifier l'infraction aux règles relatives à l'exécution des recettes et des dépenses de l'État. Cette infraction peut effectivement recouvrir des réalités variées et le gouvernement a souhaité que ne soient sanctionnées, dans ce cadre, que les fautes graves et ayant causé un préjudice financier significatif. Nous l'avons regretté car il y a effectivement un risque que ces deux critères cumulés soient difficiles à établir.” 

Une jurisprudence qui en appellera d’autres

La balle est donc désormais dans le camp de la toute nouvelle Cour d'appel financière, créée dans le cadre de la réforme et composée de membres de la Cour des comptes et du Conseil d’État mais aussi de personnalités qualifiées. Il lui est en effet donné l'occasion d'apporter un éclairage utile sur l'application de la réforme du régime de responsabilité financière des gestionnaires publics et donc notamment sur la manière d'appréhender la significativité du préjudice financier nécessaire à la qualification des infractions. 

Au-delà, le futur arrêt de la Cour d'appel financière permettra aussi d'aborder la question du positionnement entre la chambre du contentieux de la Cour des comptes et le ministère public. “L'arrêt Alpexpo n'est qu'un arrêt de première instance sur un dispositif nouveau, relève un magistrat financier. Il est possible que le juge de premier niveau ait souhaité se protéger en ayant une interprétation minimaliste. Soit il est confirmé en appel, soit son juge d'appel l'invite à être plus audacieux. C'est plus simple que de se faire annuler un jugement qui découlerait d'une analyse aventureuse.”

Dans les couloirs de la Cour des comptes, on appelle néanmoins à ne pas “exagérer” l'enjeu et la portée du futur arrêt de la Cour d'appel financière. “Ce sera son premier arrêt et il sera donc très intéressant, mais ce n'est pas un arrêt qui fera la jurisprudence sur une notion aussi compliquée que le préjudice financier significatif, il en faudra plusieurs”, souligne ainsi un autre membre de la Rue Cambon. L'universitaire Stéphanie Damarey en est néanmoins convaincue : “la Cour d'appel financière a un rôle essentiel à jouer pour fixer la jurisprudence et faire en sorte que ce nouveau régime de responsabilité financière ne se résume pas à une coquille vide”. La décision de cette instance est attendue pour début 2024. 

acteurs publics : article publie le jeudi 21 septembre 2023 & BASTIEN SCORDIA

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article