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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

CADRES TERRITORIAUX

16 Janvier 2018 , Rédigé par FO Services Publics 51

CADRES TERRITORIAUX

Véronique Robitaillie : “Il ne faut pas avoir peur des A+ territoriaux !”

 

L’Institut national des études territoriales (Inet) est devenu l’école des cadres de direction des grandes collectivités locales, souligne sa directrice, Véronique Robitaillie. L’Inet forme, dit-elle, des A + territoriaux qui sont “avant tout des managers” œuvrant dans des postures horizontales et collaboratives nouvelles qui doivent porter un message et donner une direction à l’action publique. Il faut encourager les mobilités, souligne-t-elle, et “ne pas avoir peur des territoriaux” : “Nous n’avons pas de doute sur l’adaptabilité de nos collègues de l’État lorsqu’ils viennent travailler en collectivité, la réciproque doit être vraie.”

 

En accueillant depuis octobre dernier les élèves ingénieurs en chef territoriaux, l’Inet est-il devenu la grande école des cadres de direction de la fonction publique territoriale ? 
Nous accueillons désormais en formation, suite à réussite au concours, les administrateurs territoriaux, les conservateurs de bibliothèque (depuis janvier 2015) et, depuis octobre dernier, les ingénieurs en chef territoriaux, pour une année. Sans oublier les conservateurs du patrimoine. L’Inet répond donc, en effet, à son objectif initial : être l’école des cadres de direction des grandes collectivités locales toutes filières confondues. Nous lancerons par ailleurs cette année un nouveau cycle de formation continue sur l’innovation publique ancré sur des situations réelles. Il complète nos cycles supérieurs de management et de stratégie. Nous proposons ainsi une offre très complète à destination des cadres de direction tout au long de leur carrière.

Ces formations ont-elles été élaborées en lien avec les collectivités territoriales pour répondre à leurs besoins en ressources humaines ? 
Nous avons bien sûr une grande proximité avec les collectivités territoriales. Cela tient d’abord à l’appartenance de l’Inet au CNFPT [le Centre national de la fonction publique territoriale, ndlr], organisme national s’appuyant sur un fort maillage territorial.

 

 Par ailleurs, les besoins des collectivités nous remontent via les offres de stages, notamment les offres de stages collectifs faisant travailler des élèves de plusieurs filières sur des préoccupations du moment. Cela nous permet de disposer d’une vision nationale et transversale des problématiques actuelles. Enfin, les élèves de notre cycle supérieur de management interviennent sur des missions de consultance au sein des collectivités. Ce cycle confronte à la réalité un certain nombre de réflexions et de travaux sur l’action publique locale menés dans le champ universitaire. Tout cela nous permet de “coller” aux besoins des institutions locales.

“Les A+ territoriaux sont avant tout des managers.”

Comment avez-vous fait évoluer vos formations ces dernières années pour vous adapter au contexte budgétaire contraint et aux réformes institutionnelles qui ont touché le champ territorial ? 
Nous invitons nos élèves à se placer dans des postures de réflexion créative en situation. Les solutions de demain ne sont pas forcément issues des outils d’hier. Aussi, nous introduisons dans nos formations des méthodes collaboratives, du codéveloppement, du design de services publics et des réflexions basées sur la pratique professionnelle. Celles et ceux qui suivent nos formations doivent être capables d’inventer des solutions nouvelles avec les élus et les agents. C’est un fort changement par rapport à nos contenus d’il y a quelques années. Les enjeux numériques sont également plus prégnants et tendent à irriguer toutes nos formations, sur le fond comme sur la forme. Le CNFPT s’est beaucoup développé dans sa dimension numérique en multipliant les séminaires en ligne de type Mooc et les modules hybrides mêlant présentiel et offre en ligne.

Qu’apporte précisément le changement concernant le cadre des ingénieurs en chef de la fonction publique territoriale ? 
Ingénieur principal et ingénieur en chef occupaient précédemment un cadre d’emploi unique avec un système d’avancement permettant d’être promu de l’un vers l’autre. Les associations professionnelles, les collectivités et le CNFPT étaient désireux d’instaurer un cadre d’emploi en propre pour le A+ de la filière technique, comme pour les filières administrative et culturelle. Le niveau d’ingénieur en chef territorial est aujourd’hui accessible par concours et examen professionnel. Il n’y a plus de possibilité de promotion interne. Les ingénieurs en chef bénéficient d’un système de formation équivalent aux autres filières : une alternance entre immersion en collectivité et cours à Strasbourg. Les modifications du calendrier des concours à partir de 2019 vont permettre des rentrées rapprochées pour les administrateurs territoriaux, les ingénieurs en chef et les conservateurs de bibliothèque : cela nous permettra d’aller beaucoup plus loin sur les temps communs de formation entre les trois filières et le développement de la transversalité. Le stage collectif pourra ainsi s’organiser en groupes mixtes au sein des collectivités, favorisant des regards croisés.

Pourquoi cette transversalité est-elle nécessaire ? 
L’Inet forme aux fonctions de cadres de direction au sein des collectivités. On ne vous demande pas, lorsque vous participez à un comité de direction, votre filière : vous devez coconstruire et porter le projet de la collectivité. Les A+ territoriaux sont avant tout des managers. Avec des constantes : le travail avec les élus, le fait d’encadrer un nombre important de personnes, le service de proximité et du quotidien. Ces enjeux sont communs à toutes les filières. Il faut donc apprendre à se connaître et à travailler ensemble. Bien sûr, nous veillons en parallèle à maintenir des réseaux de métiers. Nous développons ainsi des partenariats avec l’École des chartes et la Bibliothèque nationale pour les conservateurs de bibliothèque, avec Ponts et Agro Paritech pour les ingénieurs en chef, etc.

Les cadres territoriaux interviennent sur des problématiques devenues très larges alors que les grandes collectivités ont récupéré depuis quinze ans certaines compétences de l’État. Sont-ils devenus des “managers couteaux-suisses” ? 
“Couteau-suisse” relève d’une forme d’outillage centré sur la personne, alors que l’une des grandes évolutions des cadres de direction en collectivité tient au fait de travailler beaucoup plus qu’auparavant en collectif. Il s’agit d’adopter une posture horizontale pour mobiliser les énergies et les compétences en interne ou en externe. Avec la crise des finances locales, plus une seule collectivité ne peut adopter une approche unique et monolithique de son action : elle doit construire des effets de leviers avec les autres acteurs publics et avec le tissu socioéconomique de son territoire. On demande donc aux cadres d’être dans cette posture collaborative et de catalyseur.

“Au manager d’être porteur d'un message et d’une direction en remettant les informations dans leur contexte.”

 

Le numérique a bouleversé les modes de travail et le management des équipes. Comment appréhendez-vous ces évolutions dans votre formation ? 
À mon sens, le principal bouleversement induit par le numérique tient à la circulation de l’information, qui n’est désormais plus une prérogative du manager. Ce dernier, quel que soit son niveau hiérarchique, doit impérativement mettre en perspective l’information, au risque que les personnels lui donnent un autre sens. Les agents n’acceptent plus de travailler sans comprendre le but et la finalité de leurs missions. Au manager d’être porteur d’un message et d’une direction en remettant les informations dans leur contexte. Ce qui était autrefois cantonné à une discussion devant la machine à café se trouve désormais sur le Net et de fait, sur la place publique. Toutes les informations circulent au même niveau. Partager le sens est essentiel !

Du sens donné à l’action, peut découler un enjeu d’attractivité au moment où la fonction publique peine à attirer les jeunes, qui ne veulent plus, comme autrefois, se fixer sur un emploi pour vingt ou trente ans… 
L’un des grands intérêts de la territoriale tient à son système ouvert en termes de mobilité, du fait de la multiplicité des employeurs. Celle ou celui qui n’est pas satisfait de son travail peut postuler ailleurs. Car à la différence de l’État, une collectivité ne peut maintenir un agent de manière unilatérale. Cela amène à réfléchir à la gestion des talents et au développement de parcours professionnels.

Cette gestion des talents est-elle nouvelle dans la territoriale ? 
C’est plus ancien qu’à l’État, du fait de cette caractéristique du marché de l’emploi. Les agents déjà en poste dans les collectivités peuvent profiter de la diversité des opportunités, sous réserve qu’ils acceptent une certaine mobilité. En revanche, ces opportunités sont mal connues des étudiants, alors que ces nouveaux talents seraient utiles au développement de la qualité du service public local. On le voit avec les instituts d’études politiques (IEP), créés à l’origine pour être des écoles de la fonction publique et dont la majorité des étudiants ne s’orientent plus aujourd’hui vers le secteur public. Ils ne perçoivent pas la fonction publique comme un lieu d’épanouissement professionnel.

“Un ancien élève de l’ENA postulant sur un poste de directeur général des services ne s’entend pas dire : « Vous n’avez jamais travaillé en territoriale, donc vous n’êtes pas légitime pour assumer les plus hautes fonctions. »”

Comment pouvez-vous agir pour faire connaître les opportunités de la territoriale ? 
Nous développons des partenariats avec les associations professionnelles : leurs congrès font partie de la formation de nos élèves. Nous communiquons à travers des témoignages, car ce sont les personnes en situation qui racontent le mieux leurs métiers et leurs projets. Les métiers territoriaux sont à hautes responsabilités. À titre d’exemples, l’eurométropole de Strasbourg représente 550 000 habitants, 33 communes, 7 000 agents et 1,3 milliard d’euros de budget. Le département du Nord fait travailler environ 7 500 agents pour 3,5 milliards d’euros de budget…

Si les projets des collectivités ont aujourd’hui des portages et des investissements multiples, cette approche partenariale est-elle suffisamment appréhendée par les cadres territoriaux ? 
La crise financière de 2008 a marqué une rupture. Avant, les collectivités pouvaient porter seules des grandes infrastructures. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, d’autant qu’il a été mis fin aux financements croisés. Il n’est plus possible de monter un grand projet ou de développer une politique publique locale sans un système de gouvernance bien installé ni une réflexion préalable autour de la dynamique de territoire que cela va générer.

Cette approche en coût global financier et en investissement d’acteurs, que nous enseignons depuis longtemps à l’Inet, est aujourd’hui fortement développée dans la territoriale. Pour autant, les cultures administratives ne sont pas encore abouties et les marges de manœuvre sont encore fortes. Chaque acteur doit reconnaître la légitimité de l’autre et accepter une vision différente. Le croisement des légitimités permet de faire émerger l’intérêt commun.

Vous avez pris, le 1er janvier, la tête du Réseau des écoles de service public (Resp), qui réunit les grandes écoles des trois versants de la fonction publique. Constatez-vous une forme de condescendance des hauts fonctionnaires de l’État à l’endroit de leurs pairs territoriaux, qui serait susceptible de freiner les mobilités entre État et territoriale ? Les énarques regardent-ils “de haut” les élèves et anciens élèves de l’Inet ? 
Depuis trois ans et demi que je dirige l’Inet, je constate que les synergies et les projets communs entre nos deux écoles sont nombreux et constructifs. Concernant les mobilités, je suis convaincue de leur intérêt, tant l’enjeu de la diversité des profils est important. Cela suppose une diversité des portes d’entrées dans la haute fonction publique sous réserve d’un enrichissement mutuel entre les trois versants du secteur public. Cela suppose aussi de la visibilité. Ainsi, les employeurs territoriaux sont transparents quant à leurs offres d’emploi parce qu’ils ont tout intérêt à recevoir le plus de candidats possible pour leurs recrutements. La fonction publique d’État est, en la matière, plus cloisonnée, moins transparente quant à ses recrutements. Le CNFPT est, avec la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), moteur pour aboutir à un projet de portail unique de l’emploi public. Le gouvernement a été interpellé sur cet enjeu et je pense que nous allons enfin aboutir.

Le manque de transparence est-il le seul frein aux mobilités entre État et territoriale ? 
L’un des autres enjeux tient au fait que lorsqu’un fonctionnaire de l’État postule dans une collectivité, on part du principe qu’il peut être immédiatement opérationnel. Un ancien élève de l’ENA postulant sur un poste de directeur général des services (DGS) ne s’entend pas dire : “Vous n’avez jamais travaillé en territoriale, donc vous n’êtes pas légitime pour assumer les plus hautes fonctions.” À l’inverse, on entend souvent dire qu’un haut fonctionnaire territorial n’ayant pas effectué un parcours interne de plusieurs années dans une administration de l’État ne peut occuper directement un poste à hautes responsabilités. Il ne faut pas avoir peur des territoriaux ! Nous avons l’habitude d’évoluer entre commune, département et région : nous avons l’habitude de l’adaptabilité, nous savons nous approprier de nouveaux environnements culturels et répondre à de nouveaux challenges. Nous n’avons pas de doute sur l’adaptabilité de nos collègues de l’État lorsqu’ils viennent travailler en collectivité. La réciproque doit être vraie. Je rappelle que la territoriale a énormément progressé depuis les années 1980 et que notre niveau d’expertise est élevé. Attention, toutefois, à ne pas exagérer le phénomène en parlant d’une quelconque “invasion” à sens unique de l’État vers la territoriale. Notre dernière étude sur les emplois de direction dans les grandes collectivités chiffre le vivier à 8 200 personnes : les fonctionnaires territoriaux sont 82 % à occuper ces postes de direction, les contractuels sont 12 % et les fonctionnaires de l’État, 4 %. Ceux qui viennent concurrencer les cadres territoriaux sont avant tout des contractuels.

 

“Pousser au maximum la transparence de l’emploi public.”

Le vivier interministériel des cadres dirigeants de l’État ne compte qu’une poignée de territoriaux. Faut-il le leur ouvrir davantage ? 
Il serait bon qu’ils puissent postuler à ce vivier. S’appuyer sur des personnes que l’on connaît ne permet pas de renouveler la “porte d’entrée” ni de favoriser la diversité. Il serait donc intéressant que les territoriaux et les autres fonctionnaires puissent candidater à ce vivier. Les concours A+ de la territoriale ne sont rien d’autre que la création d’un vivier : nous sélectionnons des hauts potentiels pour le compte des collectivités. Ces concours sont ouverts à tous…

Faut-il instaurer des quotas de territoriaux, notamment lors des auditions de candidats sur les postes de direction des administrations centrales, comme l’évoque l’Association des administrateurs territoriaux de France (AATF) ? 
La position de l’AATF a le mérite d’ouvrir le débat. Plutôt qu’un système de quotas, je suis favorable au fait de pousser au maximum la transparence de l’emploi public. C’est un droit, celui de l’égal accès à l’emploi public, qui passe par une transparence des procédures et une capacité de toute personne présentant les caractéristiques nécessaires à présenter sa candidature. La haute fonction publique française souffre d’un système de réseaux. La transparence permettra de le dépasser.

Comment faire en sorte, notamment dans la territoriale, que la haute fonction publique soit davantage représentative de la société française ? 
L’Inet est l’une des rares écoles françaises exemplaires en matière de parité, puisque nous sommes depuis plus de dix ans sur un système d’égalité de recrutement entre les femmes et les hommes. Mais comme pour les autres, la représentativité de toutes les couches socioprofessionnelles est insuffisante. La stratégie politique du CNFPT inscrit la promotion sociale comme une priorité. Nous accompagnons par ailleurs les agents en matière de promotion interne en les préparant aux concours et aux examens professionnels vers des emplois de A +. Mais cet enjeu essentiel ne dépend pas que de nous : le niveau exigé pour présenter un concours est très élevé. Parvenir à ce niveau suppose un parcours scolaire d’excellence, suivi davantage par des élèves venant de catégories plus favorisées. Peut-être le fait même de passer le concours est-il un frein à la diversité, que l’examen professionnel peut compenser. Il y a là un défi pour la fonction publique. 

 

ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE LUNDI 15 JANVIER 2018 & SYLVAIN HENRY

 

 

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