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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

ADMINISTRATION PROACTIVE

2 Janvier 2024 , Rédigé par FO Services Publics 51

Stanislas Guerini : “Une automatisation aveugle serait source de déshumanisation de nos services publics”

Le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques a fait de l’administration proactive l’un de ses chantiers prioritaires. Stanislas Guerini revient dans cette interview sur les avancées déjà réalisées en la matière, mais réaffirme sa volonté d’aller plus loin. Pour cela, il faut, dit-il, “développer une culture du décloisonnement des administrations”. Il prévient néanmoins :“L’ambition n’est pas de tout automatiser pour autant. La démarche doit faciliter la vie des Français, mais ils doivent garder la main sur leurs informations.”

L’administration proactive est un chantier très technique. Que change cette réforme au niveau de l’organisation des administrations mais aussi de la relation avec l’usager ?
Avant d’être une question d’organisation, la réussite de l’administration proactive est, selon moi, d’abord une question de culture. Il s’agit en effet de développer une administration qui va au-devant de ses usagers et n’est plus dans la passivité. Cette transformation ne se réalisera pleinement que si nous faisons évoluer la culture de nos organisations. Au cœur de cette vision du service public, c’est aussi l’idée de libérer du temps utile pour les agents, grâce à l’automatisation d’un certain nombre de tâches, avec le préremplissage de certains documents, pour pouvoir en consacrer davantage à la personnalisation du service public et des démarches et, au fond, répondre à la complexité bien réelle de la vie des gens. Nous devons d’abord simplifier la manière d’accéder à ses droits, le point de contact, ce moment où l’usager a besoin de l’administration.

Sondage exclusif : les priorités des Français sur l’administration proactive

Comment réussir à remettre en cause des logiques ancrées depuis des décennies ?
D’abord, nous devons développer une culture du décloisonnement des administrations car on voit bien que les silos ont la vie dure. Il nous faut parvenir à raisonner par champs entiers de politiques publiques, éviter que chacun reste dans son couloir de nage, parfois ministériel, et parfois même par versants de la fonction publique. Ce n’est qu’en décloisonnant, en partageant l’information à tous les niveaux, à commencer par les données des administrés, que l’on réalisera cette promesse fondamentale de l’administration proactive et du “Dites-le nous une fois”, pour ne plus balader les usagers d’une administration à l’autre. Le deuxième pilier consiste à instaurer une culture de l’usager, en partant d’abord de la vie des gens plutôt que de nos tuyaux et nos complexités administratifs. C’est pour cette raison que nous allons nous concentrer sur les événements clés de la vie des Français : devenir étudiant, établir ses titres d’identité, partir à l’étranger, rénover son logement ou perdre un proche. Nous serons plus efficaces en ciblant ces moments de vie, qui sont parfois d’une grande violence en termes d’expérience administrative, plutôt qu’en faisant des promesses générales de simplification de toutes nos démarches. Enfin, nous devons mener une politique résolue et adaptée d’“aller-vers”, comme nous l’avons fait durant la crise sanitaire. La majorité de nos concitoyens sont autonomes avec le numérique et en tirent les pleins bénéfices, mais ce n’est pas le cas pour tous. Nous devons tout faire pour prendre les devants, afin de réconcilier droits formels et droits réels. Cela ne pourra fonctionner que si l’on adapte nos canaux en fonction des usagers : privilégier par exemple le SMS ou la vidéo “tuto” plutôt que le mail, permettre des rendez-vous téléphoniques ou physiques. Notamment pour nous adapter aux Français les plus précaires ou les moins familiers avec le numérique.

Quand bien même nous sommes un pays leader en matière d’ouverture des données, ces dernières ne circulent encore que trop peu entre les administrations.

L’administration proactive est le prolongement assez naturel du “Dites-le nous une fois”, un principe qui ne date pas d’hier… Pourquoi l’administration proactive deviendrait-elle cette fois une réalité ?
Je vous accorde que, bien souvent, des principes sont posés dans la loi, mais viennent s’achopper avec la réalité des choses, et parfois avec la culture des silos administratifs qui empêche de partager les informations. Néanmoins, nous avons levé les derniers verrous législatifs à ce partage avec la loi 3DS. Nous avons également réaffirmé le rôle de la direction interministérielle du numérique (Dinum), par voie de circulaire, afin de mettre en œuvre, notamment, le “Dites-le nous une fois” et le décloisonnement des données des usagers, en respectant les conditions de sécurité et de protection des données. Les choses bougent. C’est le cas avec la déclaration de revenus préremplie, les repas Crous à 1 euro ou l’expérimentation de l’allocation des tarifs sociaux pour les transports. Mais on peut faire mieux. Quand bien même nous sommes un pays leader en matière d’ouverture des données, ces dernières ne circulent encore que trop peu entre les administrations. Une partie de la réponse consiste à miser sur la formation des agents et des cadres de l’administration, y compris les directeurs d’administration centrale, pour insuffler cette culture du décloisonnement des données, mais aussi sur la réinternalisation des compétences clés.

La réticence ou la prudence des administrations à partager leurs données avec d’autres administrations freine parfois cette ambition. Comment dissiper leurs craintes ?
Je suis convaincu qu’on doit le faire par la formation initiale, la formation continue, et par la preuve. Les administrations qui avancent sur le partage des données sont celles qui constatent que cela leur permet, en retour, d’améliorer leur efficacité d’action. La culture de la proactivité et du “Dites-le nous une fois” est en effet bénéfique aussi bien pour les usagers que pour les administrations, en termes de gains d’efficacité et de reconnaissance du travail des agents.

Un exemple : certaines caisses d’assurance retraite et de santé au travail (Carsat) ont mis en place des appels systématiques vers les personnes qui venaient de perdre un proche pour leur proposer de bénéficier d’une pension de réversion. Le retour d’expérience que nous en faisons est qu’à la fin, l’administration gagne du temps à aller chercher la personne elle-même avec les bonnes informations plutôt que d’attendre que ce soit elle qui la contacte, parfois au bout de plusieurs relances. Pour faire tomber les barrières administratives, le levier le plus efficace est encore celui de la voix de l’usager. C’est le sens du programme “Services publics +”, qui fait la transparence sur la qualité des démarches et donne la possibilité à l’usager de dire ce qu’il pense de ces démarches. La puissance de cette parole peut faire évoluer les pratiques et règles du jeu de l’action publique beaucoup plus rapidement que si l’injonction vient d’une circulaire qui tombe d’en haut.

L’administration gagne du temps à aller chercher la personne elle-même avec les bonnes informations plutôt que d’attendre que ce soit elle qui la contacte.

Il existe plusieurs degrés de proactivité des démarches, entre le pré remplissage d’un formulaire, la notification de l’usager et l’automatisation complète de la démarche. Êtes-vous partisan d’une automatisation totale ?
Le service public, ce sont des droits et des devoirs. Il ne faudrait surtout pas confondre la proactivité et l’automatisation aveugle, qui est la limite à ne pas franchir. Ma vision pour nos services publics consiste d’abord à tout faire pour rendre les usagers autonomes, pour les mettre en capacité de faire. La limite que l’on s’est fixée est de toujours laisser la main à l’usager pour décider, sur la base d’une information qu’on lui apporte ou d’un dossier que l’administration a prérempli. Il n’est pas question d’invisibiliser un certain nombre de droits parce que l’on n’aurait pas demandé son avis à l’usager. Et je me méfie d’une automatisation aveugle qui serait source de déshumanisation de nos services publics.

Administration proactive : la Sécurité sociale franchit un cap

Cela rejoint la question de ce que l’on attend de l’usager, notamment en matière d’aides sociales. Faut-il remettre en cause le principe de quérabilité, qui régit notre système social et semble contradictoire avec l’idée de l’administration proactive ?
L’un des enjeux fondamentaux du projet de solidarité à la source, porté par le président de la République, Emmanuel Macron, est justement d’apporter un certain nombre de droits, à la source, pour lutter contre ce non-recours vertigineux. Comme nous l’avons fait avec le prélèvement à la source. L’ambition n’est pas de tout automatiser pour autant. La démarche doit faciliter la vie des Français, mais ils doivent garder la main sur leurs informations, pour les valider, les modifier, dans un dialogue avec l’administration.

Ce concept de solidarité à la source est-il seulement soutenable économiquement, au vu des chiffres du non-recours et de la charge supplémentaire que représentent les campagnes d’“aller-vers” ?
Nos politiques sociales sont des politiques de prévention et d’investissement pour éviter à des citoyens de tomber en grande précarité. L’enjeu, c’est évidemment de ne pas laisser s’activer le cercle vicieux de la précarité, beaucoup plus coûteux pour la personne comme pour la collectivité in fine. La proactivité et la solidarité à la source promettent justement d’intervenir beaucoup plus tôt dans les parcours de vie des citoyens et de leur permettre d’accéder plus rapidement et plus facilement à leurs droits. Cela ne nous empêche pas de continuer à marcher sur deux jambes, avec une administration proactive et bienveillante qui cherche à limiter le non-recours, et en même temps une administration qui soit juste et lutte aussi contre la fraude. Je suis persuadé que la proactivité est, au final, bénéfique pour tous, pour l’usager comme pour l’agent, et bien au-delà de l’effort que l’administration doit fournir. Tout simplement parce que cela permet de prendre les devants et d’éviter qu’une même personne envoie d’abord un mail, passe ensuite un ou plusieurs appels avant de se déplacer au guichet quand elle n’a pas eu sa réponse.

Partout où nous pouvons libérer du temps utile pour le consacrer à l’accompagnement de l’usager et à la meilleure qualité de celui-ci, nous devons le faire.

Y voyez-vous donc un vecteur d’économies ?
Je vois d’abord l’administration proactive comme un vecteur d’efficacité de l’action publique. Notre approche, dans ce quinquennat, est de maintenir la stabilité globale des emplois. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas chercher des gains de productivité. Nous devons rendre à la machine ce qui appartient à la machine, et à l’humain ce qui doit l’être. Partout où nous pouvons libérer du temps utile pour le consacrer à l’accompagnement de l’usager et à la meilleure qualité de celui-ci, nous devons le faire. Cela veut aussi dire que nos métiers administratifs vont se transformer en profondeur. À nous d’accompagner ces transformations grâce à la formation, l’évolution des compétences professionnelles et même la mobilité dans les carrières. Pour cela, je crois à l’expérimentation, comme nous le faisons avec l’intelligence artificielle générative, afin de ne pas subir les transformations à venir, mais de les anticiper et de les maîtriser en partant de bases très concrètes.

La proactivité, c’est aussi une forme d’internalisation de la complexité, mais n’est-ce pas un aveu d’échec en termes de simplification, voire de réforme de l’État ?
Il ne faut pas confondre compliquer et complexe. Il existe une idée fausse qui consiste à imaginer que tout doit être simple dans l’administration parce que tout serait simple dans la vie des gens. C’est faux, leur vie est complexe et il est normal que l’administration emporte une part de cette ­complexité. En revanche, il appartient à l’administration d’internaliser cette complexité pour qu’au moment opportun, les choses soient les plus simples possible pour l’usager. Cela vaut également pour nos agents publics, pour lesquels nous devons aussi simplifier la tâche au quotidien.

ACTEURS PUBLICS : article publie le mardi 05 decembre 2023 & ÉMILE MARZOLF

 

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