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CESER : doit-on vraiment les supprimer ?
Avec la baisse des dotations, les collectivités territoriales vont être contraintes d'opérer de sérieuses « coupes » dans leur budget. Pour le Divers-Droite, Jean-Louis Masson, les régions devraient déjà commencer par se débarrasser des Ceser, les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux. En effet, aux yeux du sénateur mosellan, ces assemblées cumulent tous les défauts : trop coûteuses, trop corporatistes, trop inutiles... La Gazette s'est penchée sur la question pour démêler le vrai du faux.
Dans sa proposition de loi du 20 avril 2016, Jean-Louis Masson n’y va avec le dos de la cuillère ! Celui qui avait déjà réclamé en 2013 la suppression du Cese -le conseil économique, social et environnemental- dresse une liste de tous les griefs supposés des Ceser, ces assemblées régionales consultatives.
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Selon le sénateur, elles sont donc un lieu de « consolidation des corporatismes, [de] financement abusif de permanents d’organisations syndicales ou associatives, [de] préretraite dorée pour des personnalités en fin de carrière, [de] renvoi d’ascenseur à des amis politiques… » Des Ceser, qui pour Jean-Louis Masson, sont de surcroît inutiles : « les Ceser n’ont qu’un rôle consultatif auprès des instances politiques de la région et ne rendent que des avis dont en général personne ne se soucie. Leur suppression contribuerait à simplifier le mille-feuille territorial avec pour corollaire des économies non négligeables sur les frais de gestion des institutions régionales ».
Alors n’en jetez plus, La Gazette fait le point.
1 – Que sont les Ceser ?
Les Ceser, les conseils économiques, sociaux et environnementaux, sont des assemblées consultatives placées auprès des conseils régionaux. Les Ceser sont chargés d’émettre des avis pour épauler les élus régionaux lors de leurs prises de décision.
S’ils sont obligatoirement saisis sur tout document budgétaire et schéma d’orientation émanant de la région, les Ceser peuvent également se voir confier des missions par les présidents du Conseil régional, mais aussi s’auto-saisir sur n’importe quel sujet relevant des compétences régionales.
Enfin, le préfet a la possibilité de faire appel au Ceser afin qu’il analyse l’action de l’Etat dans la région.
2 – Les Ceser, des assemblées corporatistes ?
La particularité des Ceser est le fait que ses membres ne sont pas élus, mais sont nommés par le préfet de Région pour des mandats d’une durée de 6 ans. Les membres sont ainsi recrutés dans différents domaines de la société civile- qu’ils représentent au sein de l’instance régionale- et sont répartis en quatre collèges :
- Le monde économique et entrepreneurial de la région (35%);
- Le monde syndical (35%);
- Le monde associatif (25%);
- Les personnalités qualifiées (moins de 5%);
Pour Laurent Degroote, le président de Ceser de France (l’Assemblée des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux) l’accusation de corporatisme ne tient pas la route tout simplement. Le premier argument étant que les différentes facettes de la société civile sont présentes dans les Ceser et ce dans des proportions équivalentes; le second tient au fait que les rapports émis par les Ceser sont nécessairement votés en plénière. Et plutôt bien votés.
« On arrive généralement à un consensus sur nos textes. Ils sont votés si ce n’est pas à l’unanimité, au moins à une très forte majorité. Donc chez nous, aucun collège ne peut dire ‘on a gagné’. Nous sommes au contraire dans un espace de dialogue entre les différentes organisations, un lieu de démocratie apaisée, et pas du tout dans des rôles de politiques classiques » détaille le président Degroote.
3 – Les Ceser permettent-ils des renvois d’ascenseur et sont-ils un véritable « outil » politique à l’échelle régionale ?
C’est un point qui fait effectivement débat chez les élus régionaux que La Gazette a contactés. Ce dont il est particulièrement question ici est la manière dont les « personnalités qualifiées », du quatrième collège, sont choisies puis nommées par le préfet de région. En effet, pour les autres collèges, ce sont les organisations patronales, syndicales et les associations qui proposent au préfet leurs candidats.
« On parle du Ceser en terme de représentativité mais pour autant, on sait tous que le Ceser, c’est la « boîte » dans laquelle on se permet de replacer des mecs qui ont été recalés ailleurs. J’ai déjà entendu dire ‘OK, je veux bien me retirer de telle ou telle campagne mais vous me collez au Ceser’. Cela reste un outil très politique, et très souvent un complément de salaire pour certains conseillers » argue ainsi Stéphane Beaudet, vice-président LR du conseil régional d’Ile-de-France et soutien affiché de Bruno Le Maire, lui-même anti-Ceser.
Pour Marylise Lebranchu, ex-ministre socialiste de la décentralisation et ex-conseillère régionale de Bretagne, « certaines choses pourraient en effet être améliorées ». »Oui certaines nominations ne sont pas idéales…pourquoi ? Parce que c’est un réseau. Maintenant, qu’il y ait des personnalités qualifiées, moi cela ne me gêne pas car elles apportent autant que les autres » détaille-t-elle.
Quant à Laurent Degroote, le président de Ceser de France, il récuse ces accusations de « nominations politiques »et rappelle au passage que dans les Hauts-de-France, sa région, « les personnalités qualifiées ne représentent que 8 personnes sur un total de 197 conseillers, bien moins qu’au Cese ».
4 – Les Ceser sont-ils coûteux ?
Le coût des Ceser est sans doute l’un des arguments-clés du sénateur Masson :
En ces temps où l’on demande à tout le monde de faire des économies, et notamment aux communes, des efforts doivent également être réalisés au niveau au-dessus. C’est pourquoi je suis partisan d’une baisse du nombre de députés et de sénateurs, mais aussi du nombre de conseillers départementaux et régionaux.
Un point de vue partagé par Stéphane Beaudet : « Dans un pays qui doit faire des économies, oui je dis que le Ceser peut faire partie des cibles. Car c’est une structure de plus, avec des salaires en plus. Et honnêtement, je ne suis pas sûr que lorsqu’ils disparaîtront, que cela fera un ‘trou dans la raquette’. Il nous arrive de prendre la décision de baisser les subventions d’associations qui ne le méritent pas du tout, c’est comme cela, il peut y avoir des morts ».
Renaud Muselier (LR), arrivé aux responsabilités régionales en PACA en décembre comme vice-président, estime quant à lui qu’il est trop tôt pour juger du coût réel des Ceser.
S’il connaît le budget que représentent les indemnités versées aux conseillers Ceser, il n’arrive pas pour le moment à « à quantifier ce qu’ils coûtent à l’institution par rapport à leurs heures de travail et les moyens mis à leur disposition. Et c’est dans la globalité qu’il faut réfléchir ».
Le coût de fonctionnement des Ceser est pris entièrement en charge, comme le prévoit la loi, par les conseils régionaux. En ce qui concerne les indemnités versées aux membres du Ceser, cela représente la moitié des indemnités d’un conseiller régional, idem pour un président de Ceser qui touchera la moitié des indemnités du président de son conseil régional.
Pour ordre de grandeur, on retrouve par exemple ce document émanant de l’ancienne région Languedoc-Roussillon (2010), avec un dégrèvement partiel voire total si le conseiller Ceser ne fait pas acte de présence lors des réunions :
A ces indemnités, s’ajoutent donc les coûts de fonctionnement des Ceser, toujours pris en charge par les régions. Il s’agit ici des personnels alloués au Ceser. On retrouve des personnels administratifs et des chargés de mission.
Dans le livre d’Yvan Stefanovitch, « Rentiers d’Etat », paru en 2015, le budget total des Ceser est évalué à 60 millions d’euros par an, soit environ 2,3 millions d’euros par région (avant fusion donc).
Ce qui semble effectivement correspondre aux budgets alloués aux Ceser Nord-Pas-de-Calais et Picardie dans ce document officiel publié à l’automne 2015 et concernant les finances pour l’année 2013 :
Mais rapporté au budget global de fonctionnement des régions, le coût des Ceser apparaît -selon les chiffres que nous ont fournis Ceser de France- extrêmement faible, de l’ordre du millième !
Ainsi, le budget global des Ceser (fonctionnement + indemnités des membres) ne représenterait qu’entre 1 ‰ et 3 ‰ du budget régional. Quant au personnel affecté au Ceser sur l’ensemble des agents régionaux, il représenterait moins de 0,3 % de l’effectif régional.
Cette moyenne nationale n’efface pas néanmoins certaines inégalités. Ainsi, au Ceser d’Ile de France, on compte pas moins de 27 permanents, entre les chargés de mission, les communicants, les secrétaires, etc.
« Mais s’il vous plaît ne prenez pas l’Île-de-France comme le baromètre de la France », tempête Laurent Degroote, de Ceser de France, qui rappelle que l’Île-de-France a une histoire particulière, et que ces différences de budgets « se retrouvent également entre les chambres de commerce de province et celle de Paris ! ».
Il est vrai que les autres Ceser semblent fonctionner avec bien moins de personnel, comme en Bourgogne, où les permanents sont une quinzaine.
5 – Les Ceser servent-ils à quelque chose ?
Pour Marylise Lebranchu, la réponse est claire : c’est « oui ! En 1986, nous avions déposé avec mon groupe un plan régional de reconquête des eaux, mais nous n’avions pas réussi à convaincre. Tout a réellement démarré après une auto-saisine du Ceser et un rapport intitulé « L’eau, enjeu économique majeur », explique l’ex-conseillère régionale bretonne, et de poursuivre : « Ils avaient trouvé le bon regard. Avec cet angle économique, ils ont réussi à mobiliser tout le monde ».
Pour l’ex-ministre, il est clair que le regard de ces organisations apporte « un éclairage qui n’est pas celui convenu que l’on retrouve dans une majorité d’élus ».
Même discours chez Stéphane Beaudet, vice-président LR du conseil régional d’Île-de-France, pour qui : « la seule chose que je ne peux pas laisser dire sur les Ceser, c’est qu’ils sont totalement inutiles ». Et ce dernier de relater le dossier qu’il leur a confié sur le rapprochement entre le syndicat des transports d’Île-de-France et la Société du Grand-Paris.
« Nos services ont le nez dans le guidon, or cette instance, sortie du cadre électoraliste, a du temps pour produire des analyses stratégiques à long-terme » détaille Stéphane Beaudet, « et je peux vous dire que lorsque j’ai été auditionné par eux il y a 3 semaines, je n’avais pas en face de moi des ‘buses’. J’avais des retraités du frêt, de la SNCF, des personnes qui avaient vraiment du background ».
Et Laurent Degroote, de Ceser de France, de rappeler que les propositions de son Ceser dans le Nord-Pas-de-Calais ont été entièrement reprises par la région concernant les aides aux libraires et auteurs indépendants. Idem concernant le partage de la culture scientifique et technique dans la région avec la possibilité désormais pour les petits nordistes de visiter des laboratoires ou de rencontrer, au moment de choisir leur orientation, des scientifiques.
D’ailleurs, dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est aussi avec l’appui du Ceser que la région a élaboré sa stratégie de la 3ème révolution industrielle, confirme Gaël Virlouvet de l’association France Nature Environnement, qui estime que les différents scenarii élaborés par ces assemblées sont des « outils éminemment utiles ».
En moyenne, chaque Ceser produit, par an, 25 rapports, avis, études ou contributions.
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6 – Que faire avec les Ceser ?
Si Stéphane Beaudet estime que l’avis « quasi obligatoire des Ceser sur le budget régional ne va pas nous faire bouger une virgule », il y a bien un rôle que les Ceser pourraient être amenés à endosser plus souvent à l’avenir, et qui fait sens au niveau régional, c’est celui de réaliser des mission d’évaluation des politiques publiques (EPP).
« On a toujours besoin de gens pour mener des EPP. On pourrait imaginer des missions confiées aux Ceser avec l’aide du SGMAP (secrétariat général de la modernisation de l’action publique). C’est une manière de veiller à la qualité de la dépense publique » argue Marylise Lebranchu. Une manière pour l’ex-ministre de la décentralisation d’utiliser « le regard plus construit, plus serein et plus divers » des Ceser.
Quant à Renaud Muselier, il estime que « fermer une institution qui est un lieu de dialogue serait une erreur qui nous éloignerait de la démocratie ».
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Plus de parité, plus de jeunes et pas plus de 3 mandats
Laurent Degroote, président des Ceser de France
Sur la représentation de la société civile [au sein des Ceser], je pense qu’il faut plus de parité, plus de jeunes et avoir un nombre de membres collant avec l’efficacité des Ceser. Car aujourd’hui, s’il y a des conseillers qui ne sont pas efficaces, je n’ai pas la main… Ou en tout cas, il nous faut faire de lourdes démarches administratives pour les révoquer. Quant au rajeunissement des Ceser, je suis d’avis qu’on dise « pas plus de 3 mandats » pour laisser plus de places aux jeunes. Ce n’est pas l’âge qui compte, mais lorsque que quelqu’un s’est investi 18 ans [3 mandats de 6 ans] au Ceser, on peut imaginer qu’il s’implique ailleurs ensuite.
La gazette des communes : Article publié le 26/05/2016 par Emilie Denètre