HEURES SUPPLEMENTAIRES
Exclusif -Ce qu’il faut attendre de la désocialisation des heures sup’ dans la fonction publique
Gains potentiels, coût de la mesure... Des éléments obtenus par Acteurs publics permettent d’y voir plus clair sur la suppression des cotisations salariales sur les heures supplémentaires envisagée dans le secteur public. “L’idée est vraiment de faire bénéficier les agents publics, titulaires et contractuels, d’un gain de pouvoir d’achat”, explique le secrétaire d’État Olivier Dussopt.
C’est une annonce dont le contenu exact était resté flou jusqu’alors. “Dès le 1er septembre 2019, les cotisations salariales sur les heures supplémentaires seront supprimées pour tous les salariés, dans le privé comme dans le public […]. Nous voulons que les Français puissent revenir au travail qui paie et qu’il paie de mieux en mieux”, avait annoncé le Premier ministre, Édouard Philippe, dans un entretien accordé au Journal du dimanche le 26 août dernier. Sans plus de précisions. Une mesure dont les contours se précisent aujourd’hui pour les agents publics.
“L’idée est vraiment de faire bénéficier les agents publics, titulaires et contractuels, d’un gain de pouvoir d’achat, à l’image des employés et salariés du privé, indique à Acteurs publics le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt. C’est une mesure qui vient en complément de ce que nous avons annoncé lors du rendez-vous salarial du mois de juin et qui permettra de valoriser l’engagement des agents publics.”
Dans le détail, dans les secteurs privé comme public, cette désocialisation des heures supplémentaires “ne concernera pas la contribution sociale généralisée (CSG) ni la contribution à la réduction de la dette sociale (CRDS)”, mais s’appliquera aux“cotisations liées à la vieillesse”, ajoute-t-il.
Gains variables pour les agents publics
Quid des gains potentiels pour les agents publics ? Alors que le Premier ministre estimait que pour une personne “payée au Smic”, la mesure représenterait “en moyenne plus de 200 euros supplémentaires par an”, le secrétaire d’État Olivier Dussopt indique que l’on est “dans cet ordre de grandeur” pour les agents publics, “même si c’est, bien sûr, très variable”. Et ce, bien entendu, en fonction du volume d’heures supplémentaires réalisées.
Des projections ont été effectuées en ce sens sur des cas types par Bercy. Par exemple, pour des fonctionnaires d’État comme les professeurs certifiés, les professeurs des écoles, les gardiens de la paix, les surveillants brigadiers et les contractuels qui interviennent dans ces secteurs-là, le gain moyen pourrait varier de 112 à 309 euros nets par an.
Dans la fonction publique hospitalière, où les principaux corps bénéficiant d’heures supplémentaires sont les infirmiers et les aides-soignants, le gain annuel pour les infirmiers anesthéistes et de bloc opératoire, notamment, pourrait atteindre entre 160 et 200 euros nets à volume d’heures supplémentaires constant.
Coût de 150 millions d’euros
Quant au coût de cette mesure, pour l’ensemble des trois versants de la fonction publique, elle devrait représentait “environ 150 millions d’euros annuel à nombre d’heures supplémentaires constant”, affirme Olivier Dussopt. Pour rappel, le coût global de cette mesure, privé et public confondus, est évaluée à 2 milliards d’euros par le gouvernement.
La moitié du coût dans le secteur public devrait être portée par l’État, où le nombre d’agents effectuant des heures supplémentaires “est d’environ 700 000 agents (et) près de 60 % d’entre eux appartiennent au périmètre de l’éducation nationale”, précise le secrétaire d’État. “C’est donc ce secteur qui bénéficiera le plus de cette mesure”, ajoute-t-il.
Compenser les suppressions de postes ?
Si cette mesure représente sans conteste un moyen significatif d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés, les interrogations des observateurs demeurent quant aux autres finalités potentielles de cette désocialisation.
“On ne peut que rapprocher cette annonce des suppressions de postes envisagées dans le secteur public, mais aussi des travaux engagés dans le cadre de la démarche Action publique 2022 et ainsi aider à faire passer cette pilule, estime un haut fonctionnaire spécialiste de ces questions. On va s’en servir pour bonifier les heures supplémentaires d’agents qui auront en quelque sorte échappé à la guillotine, ce qui permettra d’éliminer d’autres postes.”
Un constat que partage (de manière beaucoup moins directe) Éric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) rattaché à Sciences Po Paris. “C’est une mesure qui, généralement, est mise en place pour compenser une perte d’emploi, souligne-t-il. Au lieu de recruter, on augmente le volume horaire des personnes.”
Ces arguments ne sont pas nouveaux. En 2011, dans leur rapport d’évaluation du dispositif “Travailler plus pour gagner plus” mis en place sous l’ère Sarkozy (qui prévoyait comme aujourd’hui une désocialisation des heures supplémentaires, mais aussi une défiscalisation de ces dernières, ce qui n’est pas le cas actuellement), les députés Jean Mallot (PS) et Jean-Pierre Gorges estimaient ainsi que la mesure en question avait “facilité dans les fonctions publiques les restructurations en contribuant aux gains de rémunération”.
Actée part la loi du 21 août 2007 dite Tepa (en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat), cette réforme s’était en effet appliquée pour l’État dans le contexte particulier de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et de l’application de la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Son application a “contribué au respect de la règle du « un sur deux », la possibilité de mieux rémunérer les heures supplémentaires ayant facilité son application”, estimaient les parlementaires dans leur rapport [cliquez ici pour le consulter].
Négociations salariales potentiellement impactées
Autre inquiétude (voire critique) formulée par les observateurs, mais aussi par les organisations syndicales : le fait que ce gain de pouvoir d’achat bénéficiera uniquement aux agents publics effectuant des heures supplémentaires et non aux autres. “On va donner de l’argent supplémentaire à certains fonctionnaires, mais pas à tout le monde”, explique le haut fonctionnaire.
De son côté l’économiste Éric Heyer indique que cette mesure ne fera qu’accroître le pouvoir d’achat des “insiders, c’est-à-dire les gens qui sont déjà dans l’emploi et qui ont la chance de pouvoir faire des heures supplémentaires, ce qui n’est pas le cas de tout le monde […]. Les personnes qui ne font pas d’heures supplémentaires verront leur pouvoir d’achat stagner, voire baisser en fonction du financement de la mesure qui pourrait peser sur eux”. Et d’ajouter que les négociations salariales globales dans le secteur public “pourraient être minorées par ce type de mesure”.
Reste désormais à connaître le détail complet de cette désocialisation, peut-être dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2019 et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), qui seront présentés lundi 24 septembre pour le premier et mardi 25 septembre pour le second.
ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE VENDREDI 21 SEPTEMBRE 2018 BASTIEN SCORDIA