RÉFORME DE LA FONCTION PUBLIQUE
« Réformer oui… mais en prenant en compte la réalité et les enjeux du terrain »
Dans un entretien à la Gazette, Jean-Laurent Nguyen Khac révèle les pistes de réflexion qui seront explorées lors de l'assemblée générale de l’association nationale des directeurs généraux de centres de gestion (ANDGCDG), qu'il préside. Au programme de cette AG, qui s'ouvre le 27 septembre au Puy-en-Velay : la réforme de la fonction publique, l'ouverture à plus de contractuels, le rapprochement avec le CNFPT. Cette année, le thème général retenu est « Centres de gestion : mettons le cap sur 2022 ».
Une réforme se prépare. Il s’agit donc pour les directeurs généraux des centres de gestion d’explorer les pistes d’évolution du statut et des institutions de la fonction publique territoriale, explique Jean-Laurent Nguyen Khac, président de l’ANDGCDG.
Réfléchir à horizon 2022, c’est à la fois assez proche mais aussi encore assez éloigné. Qu’espérez-vous de cette réforme annoncée ?
Nous espérons une large concertation au moment de l’élaboration de la loi prévue pour 2019. Les centres de gestion ont jusqu’à présent toujours su se faire entendre, par le législateur comme par les différents gouvernements.
La vision politique n’est pas notre souci : ce qui nous importe, c’est de faire profiter de notre expérience, de notre vision du terrain et de notre connaissance des besoins des collectivités. Il faudra que les réformes annoncées puissent réellement améliorer les choses. Réformer, c’est toujours bon. Mais à condition qu’il ait bien une amélioration à la clé.
Le projet de réforme de la fonction publique territoriale comporte-t-il un risque ?
D’un point de vue institutionnel et statutaire, nous sommes parvenus globalement à un équilibre. Certes, des améliorations sont possibles et il faut toujours chercher à s’adapter au contexte. Mais il serait dommage de casser un édifice qui fonctionne.
Il faut aussi mettre fin aux fantasmes, aux rumeurs et aux « modes », comme le « fonctionnaire bashing ». La baisse du nombre de fonctionnaire semble obnubiler ; mais la vraie question n’est-elle pas de savoir quel service public on veut garder ?
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En outre, la fonction publique territoriale n’est pas comparable avec la fonction publique d’Etat, avec ses 80 % d’agents de catégorie C , peu mobiles, et parfois peu qualifiés. Cet objectif de réduction du nombre de fonctionnaires impose donc de s’interroger sur l’impact d’une telle réduction des effectifs. En a-t-on évalué tous les impacts sociaux et économiques ?
Les projets de réformes de la fonction publique manquent d’études d’impact ?
Il ne s’agit pas de contester des choix politiques. Nous devons rappeler le rôle de stabilisateur social des employeurs territoriaux. On ne peut pas s’intéresser qu’aux chiffres et au management. S’agissant de la fonction publique territoriale, les réformes n’ont jamais uniquement un impact économique et arithmétique mais également social.
Les grosses structures, métropoles et inter-cos, vont devenir des aspirateurs à emplois, qui vont assécher mécaniquement certains territoires
Par exemple, on n’a pas encore mesuré l’impact de la réforme territoriale sur l’emploi territorial. Les grosses structures, métropoles et inter-cos, vont devenir des aspirateurs à emplois, qui vont assécher mécaniquement certains territoires, avec un risque de déséquilibre dans la qualité du service public rendu. C’est là aussi que les centres de gestion assurent un rôle de régulation et d’homogénéité.
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Quel serait l’impact d’une ouverture massive de la FPT aux agents contractuels ?
On risque de voir ressurgir une certaine hétérogénéité. Les collectivités les plus riches et les plus attractives pourront recruter plus facilement, et des agents plus qualifiés.
Est-ce que cela modifierait les missions des CDG ?
Les centres de gestion gèrent déjà les emplois contractuels. Nous sommes par exemple en charge de la gestion des commissions consultatives paritaires (CCP). Ce qu’il manque, c’est un véritable encadrement juridique des contractuels. L’augmentation du recours aux contractuels devrait s’accompagner d’une plus grande régulation de ces derniers, qu’il s’agisse du recrutement, de leur avancement ou de leur salaire.
Il manque un véritable encadrement juridique des contractuels, qu’il s’agisse de leur recrutement, de leur avancement ou de leur salaire.
Pour l’instant, ce flou n’est pas très gênant, dans la mesure où le contrat reste l’exception. Par ailleurs, si le contrat devient la règle, comment empêcher le clientélisme ou une forme de saisonnalité dans le recrutement ?
Il devient aussi urgent d’envisager la création d’un véritable collège employeur au sein du Conseil supérieur de la fonction publique (CSFPT), avec un vrai pouvoir de négociation. D’autant plus si on ouvre plus encore la fonction publique territoriale à plus de contractuels…
Le secrétaire d’Etat Olivier Dussopt annonce vouloir « réinterroger l’articulation entre les centres de gestion et le CNFPT. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Encore une fois, nous n’avons pas à contester cette vision politique, selon laquelle un organisme serait en mesure d’assurer des missions de gestion et de formation. Mais la finalité des deux structures est différente.
Le CNFPT assure une mission nationale, avec le souci de garantir l’uniformité et la qualité de la formation des agents.
Les centres de gestion ont été créés pour répondre aux besoins et mutualiser les services pour les petites collectivités. Le seuil d’affiliation a augmenté avec le temps et les missions développées par les CDG intéressent des collectivités plus importantes.
98 % des collectivités sont affiliées aux centres de gestion, ce qui représente 50 % des effectifs de la fonction publique territoriale
Aujourd’hui, 98 % des collectivités sont affiliées aux centres de gestion, ce qui représente 50 % des effectifs de la fonction publique territoriale. Il y a donc un effet de stabilisation et d’homogénéité des centres de gestion.
La création de très grosses structures, métropolitaines et intercommunales, qui pourraient devenir des « aspirateurs à emplois territoriaux », risquerait de mettre à mal cet équilibre et cette homogénéité : on ne pourra pas empêcher ces structures d’élaborer leurs propres règles, d’élaborer leur propre statut.
Comment répondre à ce risque d’hétérogénéité statutaire ?
Les centres de gestion doivent tisser des liens de proximité avec les métropoles, les super régions, et grosses intercos.
Certaines de nos missions répondent d’ores et déjà à leurs besoins. Je pense aux missions de « tiers de confiance », qui leur évite d’être à la fois juge et partie dans certains domaines, qui concernent tous les employeurs territoriaux.
Il revient donc aux centres de gestion de mutualiser ces missions au même niveau que ces structures, et notamment au niveau régional. Nous prônons l’instauration d’un socle de missions de base obligatoires mutualisées au niveau régional.
Et s’agissant d’un rapprochement avec le CNFPT ?
On voit mal aujourd’hui, techniquement, comment cela pourrait se faire. D’abord, le CNFPT est, par nature, paritaire. Les centres de gestion sont l’affaire des élus. Ensuite, le CNFPT est un organisme centralisé organisé en délégations régionales déconcentrées ; les centres de gestion sont des organismes départementaux décentralisés.
Un rapprochement entre les centres de gestion et le CNFPT impliquerait d’abord de régionaliser les centres de gestion dans certaines de leurs missions.
Un rapprochement impliquerait préalablement de décentraliser le CNFPT et de régionaliser les centres de gestion dans certaines de leurs missions.
Quel est le bilan de santé de l’ANDGCGD ?
L’association nationale des directeurs généraux de centres de gestion (ANDGCDG) se porte très bien ! J’en veux pour preuves sa productivité et l’implication de ses membres. Au cours de notre assemblée générale, nous renouvellerons la moitié du conseil d’administration et nous avons beaucoup de candidats !
L’ANDGCDG a de nombreuses relations avec les autres associations professionnelles. Mais notre objet, du haut de nos décennies d’expérience, est plus « institutionnel » que « professionnel » et nous ne fonctionnons pas en tant que lobby « politique ». Notre combat, c’est la défense des collectivités territoriales et de la fonction publique territoriale.
La Gazette des communes : Article publié le Publié le Mercredi 26 Septembre 2018 & Jean-Marc Joannès