SÉCURITÉ CIVILE
Les sapeurs-pompiers dénoncent l’inertie du gouvernement
Pour son dernier congrès à la tête de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, le colonel Eric Faure prévoit un discours musclé. Depuis le Congrès d'Ajaccio en 2017, bien peu de chantiers engagés ont évolué, regrette-t-il, alors que le ministre de l'Intérieur tente de déminer le terrain dans une communication présentée en conseil des ministres.
Alors que le congrès annuel de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France ouvre ses portes le 26 septembre à Bourg-en-Bresse, son président, le colonel Eric Faure, dénonce l’inertie du gouvernement et l’accuse de ne pas tenir ses engagements.
Le président de la République avait en effet affirmé, en octobre 2017 : « Ce quinquennat doit être l’occasion de mettre en place des plateformes uniques de réception des appels d’urgence ». Depuis cette date, Eric Faure regrette que rien n’ait été fait, notamment en raison « des réticences du côté du ministère de la Santé ».
Dans un entretien accordé au Club prévention sécurité de la Gazette le 5 septembre, le président de la FNSPF pointe également l’immobilisme du ministère de l’Intérieur concernant la formation de la population aux gestes qui sauvent, pour laquelle de nombreuses propositions avaient été formulées après les attentats de 2015. Eric Faure se dit ainsi « agacé que des choses très simples et qui n’ont pratiquement aucun coût ne soient pas impulsées ».
Il craint en outre les orientations, dévoilées à demi-mots par la place Beauvau, pour les sapeurs-pompiers volontaires et dénonce une vision qui pourrait être « fatale à notre dispositif de secours ». Pour son dernier congrès à la tête de la Fédération, Eric Faure tient donc à interpeller fermement les pouvoirs publics.
Quelles sont vos attentes à la veille du Congrès des sapeurs-pompiers de Bourg-en-Bresse?
Ce congrès va être l’occasion de faire un focus sur trois grands enjeux : le dossier du secours d’urgence aux personnes, le volontariat et les gestes qui sauvent.
Concernant le secours d’urgence aux personnes (Suap), l’objectif est d’inverser le paradigme : nous ne sommes plus des soldats du feu, nous sommes avant tout l’acteur du Suap dans les territoires, qui continue de lutter contre les incendies, à côté.
Il y a 20 ans, nous effectuions 3,4 millions d’interventions et 54% relevait du secours d’urgence aux personnes. Aujourd’hui, on a dépassé les 4,6 millions d’interventions et près de 84% sont du Suap. Nous devons faire face notamment à une absence de médecins dans les territoires, à la restructuration hospitalière… Aujourd’hui, quand on ne sait plus comment faire, on appelle les pompiers.
Que faut-il faire selon vous pour améliorer la situation ?
Il y a trois gros chantiers. Il faut d’abord que les Sdis prennent conscience de cette situation dans leurs politiques publiques et intègrent vraiment le Suap comme une activité majeure. Cela doit se traduire par une présence de cette activité opérationnelle dans l’esprit de tous les décideurs, des outils d’évaluation, des indicateurs pour savoir avec précision la nature de ce que les sapeurs-pompiers effectuent.
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Au-delà de la stratégie, au quotidien le Suap doit devenir une activité pilotée par le Sdis. Le Samu ne doit plus être pour nous une tutelle, mais un acteur qui intervient avec nous quand c’est nécessaire. Il faut enfin développer des compétences complémentaires pour les sapeurs-pompiers, afin qu’ils puissent effectuer certains gestes ou devenir les yeux du médecin à distance.
Il s’agit par exemple de pouvoir utiliser un test de glycémie capillaire pour faire remonter au médecin les informations, d’être en capacité de poser des électrocardiogrammes pour ensuite transmettre les résultats, de pouvoir utiliser des traitements anti-douleur, parce qu’aujourd’hui nous n’avons même pas le droit de donner un Doliprane. Nous devons apporter aux sapeurs-pompiers une compétence de « technicien de soin d’urgence ».
Des discussions ont-elles été ouvertes avec le Samu ?
Non. Il faudrait d’abord qu’il y ait des discussions entre les ministères de l’Intérieur et de la Santé. Aujourd’hui, il est temps que le ministère de l’Intérieur se rende compte qu’il est la tutelle d’une force qui est la seule à répondre dans les territoires et qu’à ce titre là il faudrait qu’il s’en préoccupe.
Mais on ne pourra piloter le Suap que lorsque l’on aura des protocoles communs de réponses aux appels d’urgence et des plateformes d’appels d’urgence autour du numéro 112 pour mettre fin à l’inflation des numéros d’urgence.
Je m’interroge sur le fait que le président de la République donne une orientation en octobre 2017 et qu’un an après, nul ne s’étonne de n’avoir reçu la moindre ligne sur ce qui pourrait se faire. Il y a peut-être des sujets tabous dans le pays et le Samu et le 112 semblent en faire partis. Nos dirigeants se satisfont-ils qu’autant d’appels au 15 ne soient pas réceptionnés ? Aujourd’hui je ne vois même pas l’amorce d’un début de réponse.
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Des expérimentations ont été lancées depuis quelques années. Ont-elles fait l’objet d’un bilan ?
Pour l’instant ces plateformes ont pour avantage de faire travailler des gens ensemble, mais elles ne sont pas abouties. Seules deux plateformes, celles des Vosges et de Haute-Savoie, sont autre chose que de la colocation. On est ensemble dans un bâtiment, on se parle, donc c’est une première étape pour mettre en place des protocoles communs, faire des retours d’expériences… Mais la deuxième étape serait de stopper l’inflation des numéros d’urgence. L’enjeu des plateformes est que les forces des uns et des autres se complètent pour gommer les faiblesses.
On sent des réticences du côté du ministère de la Santé. Mais le fait de répondre aux appels d’urgence est pour moi un élément important de la sécurité des Français, donc il faut que le ministère de l’Intérieur se prononce expressément sur ce thème.
Sur le volontariat, quelles sont aujourd’hui vos attentes ?
Les services du ministère de l’Intérieur semblent se plier à l’analyse juridique de l’arrêt de la Cour de justice européenne qualifiant de travailleur le pompier volontaire et envisager de demander aux sapeurs-pompiers de s’adapter à la directive affichant la qualification de travailleur pour le pompier volontaire et en engageant les sapeurs-pompiers à s’adapter à la directive. C’est aujourd’hui un point de blocage fondamental.
Je vais donc mettre toute mon énergie pour que cette voie ne soit pas mise en œuvre, car elle serait fatale à notre dispositif de secours. Aujourd’hui, il y a des solutions. C’est un phénomène européen et je pense que la France peut impulser une action, dans le cadre du Mécanisme européen de protection civile qui est en cours de mise en place, pour identifier des règles spécifiques qui puissent assurer à la fois la protection des citoyens et des intervenants.
Le troisième enjeu que vous souhaitez développer lors du Congrès concerne les gestes qui sauvent. Le président de la République a fixé le 6 octobre 2017 un objectif de 80% de la population formés à ces gestes. Où en est-on aujourd’hui ?
Depuis un an, il ne s’est rien passé. Je suis agacé que des choses très simples et qui n’ont pratiquement aucun coût ne soient pas impulsées. Nous avions proposé de former les élus municipaux dans les communes, de faire un entraînement par an dans les clubs sportifs, de former les fonctionnaires, mais personne ne s’en préoccupe. Il n’est pas normal que ceux qui, de par leurs missions, sont au service du public ne soient pas capables de délivrer des gestes de premier secours.
Les sapeurs-pompiers devraient bientôt pouvoir expérimenter les caméras-piétons, qu’en pensez-vous ?
Nous pensions que cette expérimentation devait être conduite. Mais on voit aussi que les caméras ne peuvent pas tout. Elles n’auraient par exemple pas pu éviter l’agression de Villeneuve-Saint-Georges début septembre qui a entraîné la mort d’un sapeur-pompier, puisque l’agresseur était un déséquilibré. Il faut surtout que nos personnels bénéficient des formations qui leur permettent d’appréhender le risque et ils ne les ont pas aujourd’hui.
FOCUS
Les annonces attendues du ministre de l’Intérieur
Pour désamorcer la colère qu’il sent poindre chez les sapeurs-pompiers, le ministre de l’Intérieur a choisi de présenter une communication en conseil des ministres, lundi 24 septembre. Trois jours avant le Congrès de la FNSPF, Gérard Collomb annonce la mise en œuvre « dès 2020 d’une solution interopérable et partagée » et précise qu’une décision sera prise « d’ici à la fin de l’année » sur la question d’un numéro unique des appels d’urgence.
L’objectif d’une force européenne de protection civile, appelée de ses vœux par le président de la République en septembre 2017, est « à portée de main et représentera un nouvel exemple d’une Europe qui protège », poursuit le ministre de l’Intérieur. Il précise que « les négociations visant à développer les capacités d’intervention et faciliter l’emploi des moyens sont en cours de finalisation au Parlement européen ».
Il évoque enfin « l’objectif de former 80 % de la population aux premiers secours » qui, selon lui « se réalise par la mobilisation des acteurs publics et l’invitation du monde de l’entreprise et du grand public à développer l’apprentissage de ces gestes fondamentaux ». Il annonce enfin la présentation lors du congrès d’un « un plan d’action ambitieux et pragmatique » pour le développement du volontariat.
La Gazette des communes : Article publié le Lundi 24 Septembre 2018 & Julie Clair-Robelet
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