DEPARTS VOLONTAIRES
L'équation complexe des plans de départs volontaires dans la fonction publique
Annoncés par le gouvernement début 2018, les « plans de départs volontaires » dans la fonction publique devront faire la preuve de leur efficacité. À commencer par la révision de la fameuse indemnité dite de départ volontaire.
C’est le jeu de toutes les réformes initiées par les pouvoirs publics. Les mesures les plus polémiques, quitte à faire voler en éclats certains tabous, sont les plus marquantes. Bien que non moins importantes, les dispositions considérées comme techniques sont reléguées au second plan. Une habitude à laquelle n’échappe pas la réforme en cours du cadre statutaire des agents publics, qui doit aboutir à la présentation d’un projet de loi en ce début d’année.
Dès le lancement de ce chantier, le gouvernement, par la voix de son ministre de l’Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a en effet surpris son monde en annonçant qu’un « plan de départs volontaires » des agents publics allait être discuté avec les organisations syndicales. « Il ne s’agit pas de faire un plan de départs volontaires pour tout le monde, bien évidemment […]. Il s’agit d’imaginer avec les agents publics un plan pour ceux qui souhaiteraient partir à la conséquence de la réforme de l’État, d’adapter nos services publics et de le faire avec et pour les agents publics », avait déclaré le transfuge de la droite à l’issue du premier comité interministériel de la transformation publique, le 1er février dernier.
Aussi disruptif soit-il, le coup a en tout cas fait mouche, les autres axes de la réforme (simplification et révision des instances de dialogue social, développement du recours aux contractuels, de la rémunération au mérite) n’ayant pas bénéficié de la même visibilité. Les représentants du personnel, notamment, n’ont pas manqué d’y voir une confirmation « déguisée » de la suppression massive de postes à venir.
Mesures incitatives à l’étude
Si, publiquement, l’exécutif indique vouloir proposer aux agents publics un « accompagnement renforcé » dans leurs transitions professionnelles et favoriser leur mobilité, le discours est plus franc en coulisses. « Il ne faut pas se raconter d’histoires et se voiler la face […], c’est le moyen pour le gouvernement d’aboutir à son objectif de suppression de 50 000 postes dans la fonction publique d’État d’ici à la fin du quinquennat », lance une parlementaire de la majorité. « Toutes les suppressions de postes ne proviendront pas de non-remplacements de départs à la retraite, glisse-t-on dans les coulisses de Bercy. Ceux qui partiront à la retraite ne sont pas nécessairement dans les services où nous avons besoin de réduire les effectifs, il fallait donc que l’on imagine une parade. »
Reste que cette parade doit encore trouver une application concrète. Un objectif de taille pour le gouvernement, puisque celui-ci aura comme défi de convaincre tout bonnement les agents publics de quitter la fonction publique. Comme lors des divorces, les séparations ne se font hélas pas toujours à l’amiable.
Sur le plan statutaire comme indemnitaire, plusieurs mesures incitatives sont déjà à l’étude : la mise en place d’une priorité locale d’affectation pour les agents après que les possibilités internes de mutation ont été épuisées, l’ouverture d’un congé de transition professionnelle pour permettre à l’agent de suivre une formation longue nécessaire à l’exercice d’un nouveau métier, la création d’un dispositif « passerelle » sous la forme d’une mise à disposition individuelle quel que soit le statut juridique de l’entreprise privée, l’élévation à 30 000 euros (contre 15 000 euros actuellement) du plafond de la prime de restructuration de service (PRS) et à 7 000 euros — contre 6 100 euros aujourd’hui – du complément prévu pour le conjoint et surtout la révision de la fameuse indemnité de départ volontaire (IDV).
8 500 bénéficiaires de l’indemnité depuis 2009
Créée en 2008 par l’équipe Sarkozy pour la fonction publique d’État, cette indemnité « a globalement montré son inefficacité, explique un fin observateur de la sphère publique. Il est toujours difficile d’acheter les agents publics avec des indemnités ». Moins morose peut-être en comparaison de 2008, le contexte économique actuel « aura toujours du mal à jouer pour faire partir les agents publics, et ce d’autant plus dans le contexte de la mobilisation sociale dite des gilets jaunes », ajoute-t-il.
Preuve en est le nombre d’agents bénéficiaires de ladite indemnité. Selon un bilan présenté aux organisations syndicales le 4 octobre dernier dans le cadre de la concertation sur la réforme de la fonction publique, près de 8 500 agents de l’État en ont ainsi bénéficié au total entre 2009 et août 2018 : 434 en 2009, 1 041 en 2010, 1 223 en 2011, 1 287 en 2012, 1 065 en 2013, 852 en 2014, 651 en 2015, 60 en 2016, 745 en 2017 et 490 en 2018. « C’est peu au regard des suppressions de postes pendant cette période », souligne l’économiste François Ecalle, ancien rapporteur général de la Cour des comptes sur la situation des finances publiques.
Le montant moyen de l’IDV versé par agent s’établissait quant à lui à 35 000 euros environ en 2009, 30 000 en 2013 et 20 000 euros en 2017, précise le document de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) présenté le 4 octobre. Pour rappel, le montant de cette indemnité est plafonné à deux ans de rémunération brute. Un montant modulé à l’ancienneté par chaque ministère.
« Ce plafond est malgré tout rarement atteint, ce qui impacte l’efficacité du dispositif tout comme son mode de calcul », reconnaît une cheville ouvrière de sa mise en place. Comme le stipule en effet le décret du 17 avril 2008 instituant l’indemnité de départ volontaire dans la fonction publique, la rémunération brute annuelle sur laquelle est basée le montant de l’IDV ne prend pas en compte un certain nombre de primes ou indemnités : par exemple, les remboursements de frais, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement ou encore les versements exceptionnels ou occasionnels liés à l’appréciation de la manière de servir.
Retraités poussés au départ
Le nouveau dispositif envisagé par le gouvernement d’Édouard Philippe sera-t-il beaucoup plus efficace, et surtout plus attractif et sécurisant pour les agents publics ? Difficile à dire pour le moment, la nouvelle architecture n’étant pas encore précisément connue. Seule certitude toutefois : l’indemnité de départ volontaire devrait être accessible jusqu’à deux ans de l’âge d’ouverture des droits à pension de retraite, contre cinq actuellement. Le moyen, peut-être, de séduire davantage d’agents proches de la retraite.
« Certains ne manqueront pas de faire tourner leur calculette et de voir l’intérêt qu’ils ont à partir même à deux ans et six mois de leur retraite, par exemple, dans le cas où ils ont un peu d’argent de côté et l’envie d’arrêter de travailler », souligne-t-on au sein de l’exécutif. Et de préciser que la question du montant de l’indemnité n’a pas encore été ouverte, multitude des acteurs oblige. Si ce montant diffère au sein même de la fonction publique d’État, il varie également entre les collectivités puisque chacune d’entre elles est libre de délibérer sur le montant de l’indemnité envisagé, mais aussi sur le principe même de sa mise en place. Pour l’État, en revanche, le régime de l’indemnité de départ volontaire est automatique.
Comme l’a indiqué le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt, le 30 octobre, lors du point d’étape de la concertation sur la réforme de la fonction publique, les agents, en cas de départ vers le secteur privé, pourrait aussi bénéficier « dans des conditions qui restent à déterminer » de l’indemnisation chômage.
Actuellement, l’indemnité de départ volontaire suppose en effet une démission de l’agent, qui ne peut donc pas prétendre au chômage. Pour bénéficier de ladite indemnité, l’agent s’engage aussi à ne pas réintégrer la fonction publique pendant un délai de cinq ans, sous peine de devoir rembourser l’indemnité dans son intégralité.
Effets d’aubaine ?
Des craintes demeurent néanmoins sur la révision envisagée par le gouvernement. Dans leur rapport pour avis sur la fonction publique annexé au projet de loi de finances pour 2019, les députées LREM Valérie Petit et Cendra Motin alertent ainsi l’exécutif « sur le fait que les modalités évoquées sont susceptibles de transformer l’IDV en un dispositif de retraite anticipée générant des effets d’aubaines importants pour une réduction de la dépense publique moindre et une possible désorganisation des services ». Les parlementaires pointent notamment du doigt l’abaissement à deux ans de la retraite du droit d’ouverture de l’IDV.
Cet effet d’aubaine avait déjà été relevé par la Cour des comptes dans son rapport sur la masse salariale de l’État en 2015. La juridiction indiquait que l’indemnité avait été « souvent attribuée à des agents qui démissionnaient pour des raisons personnelles (notamment des enseignants), ce qui a donc souvent constitué pour eux un effet d’aubaine, plutôt qu’à des agents qui devaient partir dans l’intérêt du service », relate l’économiste François Ecalle. Depuis 2014, le bénéfice de l’indemnité est réservé aux agents quittant définitivement la fonction publique de l’État, uniquement dans le cadre d’une restructuration ou pour créer ou reprendre une entreprise. Depuis cette date, en effet, l’attribution de l’indemnité n’est plus possible pour des cas de raisons personnelles.
Autre risque évoqué par plusieurs observateurs : la fuite des meilleurs éléments du secteur public. « Il faut faire très attention, le risque est de perdre des encadrants efficaces qui vont recycler leurs compétences vers le secteur privé, le tout aux dépens des services », glisse un haut fonctionnaire. L’équation s’annonce donc plus complexe pour le gouvernement pour aider les agents publics à quitter la fonction publique. Uniquement ceux « qui le souhaitent », comme aime à le rappeler l’exécutif.
ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE LUNDI 4 FÉVRIER 2019 & BASTIEN SCORDIA