DIALOGUE SOCIAL
L’étude d’impact du projet de loi
“Fonction publique” reste dans le flou
Révision du périmètre et des missions des instances de dialogue social, recours accru aux contractuels, harmonisation du temps de travail, accompagnement des agents concernés par des restructurations… Acteurs publics s’est procuré l’étude d’impact du projet de loi sur la réforme de la fonction publique, étude souvent lacunaire. Passage au crible des estimations gouvernementales.
Les critiques sur la qualité des études d’impact ne risquent pas de s’éteindre. À la lecture de celle sur le projet de loi de réforme de la fonction publique, qu’Acteurs publics s’est procurée, on constate que les conséquences potentielles des dispositions y figurant sont pour la plupart très peu étayées de données chiffrées. Une étude peu éclairante, donc, sur les impacts à venir de cette réforme du cadre statutaire des agents publics. Espérons donc que l’évaluation ex-post des mesures, prévue par le texte, permettra d’inverser la tendance. Tour d’horizon des impacts anticipés de ce projet de loi.
Sur la fusion des comités techniques et des comités d’hygiène. Si la création d’une nouvelle instance issue de la fusion des comités techniques (CT) et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) va conduire à la suppression de 2 054 CHSCT dans la fonction publique d’État, 4 800 dans la territoriale et 2 200 dans l’hospitalière, l’impact de la réforme “va dépendre d’un ensemble de paramètres complexes qui ne permettent pas d’inférer une évaluation ex-anteprécise”, indique l’étude d’impact. En cause notamment, la création ou non dans ces comités d’une formation spécialisée sur les questions de santé, de sécurité et des conditions de travail, qui interviendra en fonction de risques professionnels particuliers dans les services. Par ailleurs, “il n’existe pas de statistiques exhaustives” concernant le nombre global de représentants du personnel siégeant dans les actuels CT et CHSCT. Même si le gouvernement estime que la réforme de ces instances “se traduira au global” par une réduction du nombre de mandats syndicaux, il ne donne aucune donnée chiffrée sur ce sujet. Il précise aussi que la “simplification” issue de la création de la nouvelle instance “mettra fin à la multiplication des consultations, coûteuses en temps pour les directions des ressources humaines”. Sur ce dernier point, l’impact n’est pas non plus détaillé.
Sur la révision des missions des commissions administratives paritaires (CAP). Le gouvernement ne s’en cache pas. Le recentrage (et la réduction induite) des attributions des CAP “devrait se traduire par un impact budgétaire positif pour les finances publiques, bien que difficile à mesurer”. Et ce en raison de deux évolutions. D’un côté, la réforme des CAP devrait conduire à une diminution “importante” du temps de préparation, du nombre de réunions et du temps passé en commission (et donc une plus grande rapidité des procédures relatives aux décisions individuelles). Et ce aussi bien pour les représentants du personnel que pour les personnels d’administration en charge des ressources humaines.
Selon l’étude d’impact, des économies d’équivalents temps plein travaillés (ETPT) devraient ainsi être réalisées par les DRH (une dizaine par ministère). Concernant les économies tirées de la non-mobilisation des agents à la gestion administrative des CAP, l’étude indique que “si l’on part du principe que 10 agents sont mobilisés à temps plein durant un mois, cela représente des économies d’ETPT de l’ordre de 40 000 euros brut par ministère”. Le moyen donc de parvenir à une réallocation d’une partie des équipes gestionnaires vers une gestion des ressources humaines “plus qualitative (suivi et accompagnement individualisé des agents par exemple)”. D’un autre côté, la structuration à l’État des CAP par catégories et non plus par corps “va conduire à une réduction du nombre de CAP par département ministériel”, mais “il n’est toutefois pas possible à ce stade de disposer d’une vision globale des CAP”, explique l’étude d’impact.
Sur l’ouverture des emplois de direction aux contractuels. S’agissant de la fonction publique d’État, l’ouverture des emplois de direction aux contractuels devrait concerner “au minimum” 1 800 emplois interministériels. Dans la territoriale, l’élargissement du recours aux contractuels sur les emplois fonctionnels pour les communes et établissements intercommunaux de plus de 40 000 habitants (contre actuellement 80 000 pour les premières et 150 000 pour les seconds) conduit à ouvrir cette nouvelle voie de recrutement à “au moins” 125 communes et 154 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus. Le nombre d’emplois ouverts devrait ainsi passer de 1 530 à “près de” 2 700. Concernant l’hospitalière, l’extension en question concerna 81 emplois fonctionnels de plus, soit au total “environ” 350 emplois fonctionnels. Néanmoins, le nombre “important” de candidatures que les emplois de direction “devraient susciter en provenance du secteur privé, pourrait inciter les administrations à faire appel à des prestataires privés pour évaluer les C.V. des candidats ou à créer en leur sein un service ad hoc chargé d’effectuer ces travaux”, précise l’étude d’impact. “En effet, bien que l’administration recrute déjà des agents contractuels, l’ouverture d’un tel recrutement sur des postes du niveau des emplois de direction nécessite une vigilance accrue afin de s’assurer des compétences et de l’expérience professionnelle de la personne recrutée”, ajoute-t-elle en précisant qu’en cas d’externalisation de cette tâche, “il y aura un surcoût à l’embauche des agents contractuels” pour les administrations.
Sur la mise en place du contrat dit de mission. Ce nouveau type de contrat “présente le triple avantage d’améliorer la compétitivité des activités de pointe de la sphère publique, d’accroître les interactions entre les secteurs privé et public et de réaliser des gisements d’économie potentiels”, explique l’étude d’impact, qui ajoute que cette mesure se traduira par des impacts économiques, financiers et budgétaires “certains”. Malgré tout, ceux-ci sont “difficilement quantifiables puisque dépendant de la manière dont s’empareront les employeurs publics de ce nouveau type de contrat”.
Sur l’élargissement du recours aux contractuels. Le gouvernement reste encore très flou sur l’impact potentiel de l’élargissement des cas de dérogations aux recrutements de personnels titulaires. Ce développement du recours aux contractuels “peut conduire à modifier la répartition des agents entre fonctionnaires, contractuels et autres statuts”. Pour rappel, au 31 décembre 2017, la part des contractuels était de 18,4 % pour l’ensemble de la fonction publique (16,9 % dans la fonction publique d’État, 19,8 % dans la territoriale et 19,2 % dans l’hospitalière). Néanmoins, “l’impact quantifié dépendra de la manière dont les administrations s’empareront de ce nouveau dispositif”, explique le gouvernement.
Espérons donc que l’évaluation ex-post de cet élargissement permettra enfin de lever un coin de mystère sur les objectifs réels du gouvernement en matière de recours aux contractuels.
Sur la disparition de la référence à la notation et la généralisation de l’entretien professionnel. Pour mener à bien cette transformation, les administrations “devront mobiliser leur appareil de formation pour accompagner les managers dans la pratique de l’entretien professionnel”, indique l’étude d’impact. Une mesure qui aura un coût. Le coût d’une formation de sensibilisation aux modalités de l’entretien professionnel est en effet estimé à 1 000 euros la journée en cas de recours à un formateur externe, contre 200 euros pour un formateur interne.
Sur la création de nouvelles sanctions à l’État et dans l’hospitalière. Le projet de loi prévoit, dans la fonction publique d’État et dans l’hospitalière, la création d’une nouvelle sanction (en l’occurrence une exclusion temporaire des fonctions de trois jours) qui ne serait pas soumise à l’examen des CAP. Il s’agit en somme de s’aligner sur la situation actuellement en vigueur dans la territoriale. Un nouveau levier disciplinaire qui offrira la “possibilité pour l’encadrant de proximité d’y recourir de manière plus fréquente”. Néanmoins, les impacts budgétaires de cette mesure d’harmonisation, correspondant au montant total de la retenue sur traitement des agents concernés par ces exclusions, “ne peuvent être correctement estimés à ce jour”,relève l’étude d’impact.
Sur la mise en œuvre de procédures visant à assurer l’égal accès aux emplois publics. Les administrations et les services des ressources humaines “vont devoir s’organiser pour mettre en place des nouvelles procédures de recrutement plus transparentes et plus automatiques pour les contractuels”. Et donc mobiliser des équivalents temps plein “dont il n’est pas possible, à ce stade, d’en évaluer le nombre et le coût”.
Sur la révision du cadre déontologique des agents effectuant des allers retours privé-public. Responsabilisation des administrations, recentrage de la Commission de déontologie sur les cas les plus sensibles, création d’un contrôle du rétropantouflage, nouvelles sanctions… La réforme du cadre déontologique applicable aux agents publics devrait notamment réduire “fortement” le nombre d’agents susceptibles de saisir la Commission de déontologie de la fonction publique par rapport à la situation actuelle, où tous les agents publics étaient soumis à son contrôle. Inversement, la création d’une nouvelle compétence de la commission lors du contrôle de l’arrivée sur un emploi public après une expérience dans le privé crée une charge de travail supplémentaire pour la commission. Des impacts qui, pour l’heure, ne sont pas précisément déterminés.
Sur l’harmonisation du temps de travail dans la territoriale. La fin des régimes dérogatoires mis en place dans les collectivités et leurs établissements publics devrait permettre une économie globale de 1,2 milliard d’euros par an, établit l’étude d’impact, sur la base des données de la Cour des comptes dans son rapport de 2016 sur les finances publiques locales, qui estimait à 1 562 heures la durée de travail annuelle dans la territoriale (au lieu des 1 607 heures légales). L’impact, en termes d’effectifs, d’un retour de l’ensemble des agents territoriaux aux 1 607 heures annuelles a quant à lui été chiffré par la Rue Cambon à un gain de 57 000 équivalents temps plein (ETP). Le rapport du maire UDI de Sceaux, Philippe Laurent, tablait pour sa part sur une durée annuelle de travail de 1 578 heures annuelles dans la territoriale.
Il estimait par ailleurs que le passage de l’ensemble des agents de la territoriale à 1 607 heures annuelles représenterait un gisement d’économies de 31 500 ETP. “Toutefois, ces estimations sont des ordres de grandeur qui doivent être pris avec précaution, étant donné que les agents faisant l’objet de sujétions particulières continueront à bénéficier légalement de cycles de travail inférieurs aux 1 607 heures”, précise l’étude d’impact. Et d’ajouter que la suppression des régimes dérogatoires “ne pourra s’accompagner d’une baisse mécanique des effectifs, le principe constitutionnel de libre administration des collectivités s’opposant à la définition de telles règles contraignantes”. De plus, doivent être pris en compte “les effets organisationnels inhérents” à toute modification du temps du travail et l’hétérogénéité des régimes de travail, qui “rendent difficile l’évaluation des gains d’une telle évolution dans la fonction publique territoriale”, ajoute le gouvernement. Les incidences financières seront donc variables d’une collectivité à une autre, en fonction des choix de gestion retenus. Une chose est sûre en tout cas, selon le gouvernement : la fin des régimes dérogatoires “doit, par l’augmentation du temps de travail effectif, permettre d’améliorer l’offre de services publics”.
Sur la portabilité des CDI entre les différents versants. Ce nouveau dispositif “permettra de satisfaire plus facilement le souhait de mobilité exprimée par les contractuels en CDI […], affirme le gouvernement dans son étude. Toutefois, l’activation de la portabilité restant une possibilité qui doit recueillir l’accord du nouvel employeur, il n’est pas possible d’évaluer les impacts économiques, financiers ou budgétaires de la mesure puisqu’ils dépendront de la manière dont les agents et les administrations s’empareront de ce nouveau dispositif”. En 2016, 46 % des contractuels de la fonction publique étaient en CDI (55 % à l’État, 33,7 % dans la territoriale et 46,6 % dans l’hospitalière). 9 % de ces contractuels exprimaient alors leur souhait de trouver un autre emploi, précise l’étude du gouvernement.
Sur le dispositif de rupture conventionnelle et l’extension du régime d’auto-assurance chômage. Le nombre à venir de ruptures conventionnelles “est impossible à estimer, affirme le gouvernement. Le nombre total de démissions, en particulier, n’est pas connu. De plus, toutes les démissions ne donneraient pas forcément lieu à substitution par une rupture conventionnelle”. Dans son étude, néanmoins, l’exécutif table sur une hausse sensible du nombre de bénéficiaires de l’indemnité de départ volontaire (IDV) dans le cadre d’une restructuration de service (745 agents en ont bénéficié en 2017) : ils seraient ainsi 1 500 en 2020, 2 000 en 2021 et 2 500 en 2022. S’agissant du coût de l’ouverture du droit à l’aide au retour à l’emploi (ARE) prévue pour les bénéficiaires de l’IDV, “le coût cumulé entre 2020 et 2022 de 157,9 millions d’euros sera plus que compensé par l’économie pérenne de masse salariale générée par les départs des agents”, estime l’étude d’impact [cliquez ici pour consulter notre article sur le sujet]. Concernant les impacts pour les administrations, ceux-ci “ne peuvent être évalués car ils dépendront de la manière dont les agents et les administrations s’empareront de ce nouveau dispositif”, dit encore l’étude d’impact. Mais elle promet en tout cas de conduire à une “gestion beaucoup plus individualisée des recrutements et fins de contrat, et en conséquence à l’acquisition de nouveaux savoir-faire dans les directions des ressources humaines”. Ces directions “devront en particulier se spécialiser et s’organiser pour mettre en place des nouvelles procédures de négociation avec les agents”, ajoute l’étude.
Sur le dispositif global d’accompagnement des restructurations. Concernant l’instauration d’une possibilité pour le fonctionnaire d’être mis à disposition d’une structure du secteur privé pour une durée d’un an en vue d’une reconversion dans le secteur concurrentiel, “il est fait l’hypothèse que seule une faible proportion de fonctionnaires pourrait être concernée mais elle fournira une réponse appropriée pour les agents qui souhaitent faire un essai avant de décider définitivement d’une reconversion vers le secteur privé”. Selon les données communiquées dans l’étude d’impact, parmi les effectifs de fonctionnaires en mobilité, 1,2 % d’entre eux était mis à disposition d’un organisme privé contribuant à la mise en œuvre d’une politique de l’État, tandis que 1,7 % des fonctionnaires en mobilité était détaché dans le secteur privé ou mis en disponibilité pour créer une entreprise. Concernant le coût estimé du congé de transition professionnelle, l’évaluation se fonde sur l’hypothèse “haute” d’une utilisation de ce congé “correspondant à 5 % des prévisions de 10 000 emplois supprimés chaque année au sein de la fonction publique de l’État sur la période 2019-2022 (soit environ 600 congés par an)”. Elle prend aussi en compte un coût moyen de formation de 3 500 euros, une durée moyenne de cinq mois et une rémunération correspondant au salaire mensuel brut moyen par agent au sein de la fonction publique d’État (FPE), soit 3 239 euros. “L’impact annuel moyen est donc estimé pour la FPE à 2,14 millions d’euros sur les budgets de fonctionnement et 12,7 millions euros en masse salariale, la montée en charge du dispositif étant progressive”, précise le gouvernement dans son étude. Outre ces impacts financiers, les administrations devront aussi “s’approprier” le nouveau dispositif.
Sur le détachement d’office des fonctionnaires touchés par une externalisation. Aucune donnée chiffrée n’est, encore une fois, fournie à ce propos par l’étude d’impact, qui précise seulement que l’appel au marché dans la prestation de services publics, et donc le recours à une personne privée, “est souvent présenté comment une source d’économie budgétaire et d’efficacité”. Et de citer comme arguments le “recentrage sur un cœur de métier”, la “réponse à une insuffisance structurelle due notamment à une technicité croissante de certaines tâches”, la “diminution des coûts fixes”, la “réduction des délais”, la “meilleure satisfaction des usagers”, l’“allégement de la contrainte budgétaire”, le “partage des responsabilités” ou encore la “souplesse”.
Sur les dispositions relatives à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Concernant l’obligation pour les employeurs d’élaborer un plan d’action relatif à l’égalité professionnelle, la mise en place d’un dispositif de signalement des violences sexuelles et de harcèlement ou encore le renforcement du rapport de situation comparée, ces nouvelles obligations, à la charge des employeurs publics, nécessiteront pour certaines administrations de se doter d’agents en charge de l’élaboration et du suivi des dispositifs imposés par la loi. Malgré tout, les impacts sont “difficilement évaluables car ils dépendent tant de la taille de la collectivité publique concernée que de l’existence ou non d’une politique d’égalité professionnelle structurée”, explique l’étude d’impact. Elle donne un exemple : pour un employeur public comptant autour de 150 000 agents, les effectifs nécessaires à l’élaboration et au suivi d’un plan d’action sont “de 1,5 ETPT par an, de 0,5 ETPT par an s’agissant d’un dispositif d’écoute et de 2,5 ETPT, tous services confondus, s’agissant de l’élaboration d’un rapport de situation comparée”. Pour une telle administration d’État, qui ne disposerait pas déjà d’agents en charge de l’égalité professionnelle, “il serait nécessaire de recruter 4,5 ETPT en catégorie A pour un salaire annuel moyen brut de 42 100 euros”.
Dans une collectivité territoriale de 150 000 habitants qui emploie 3 000 agents, il serait nécessaire que la collectivité “consacre à cette politique 0,1 ETPT en catégorie A, dont le coût annuel moyen brut serait de 4 750 euros”. Concernant la non-application du jour de carence pour les femmes enceintes ou encore du maintien des primes en cas de congé maternité dans la territoriale, le gouvernement n’est pas en capacité d’évaluer le coût de telles mesures.
ACTEURS PUBLICS : article publie le jeudi 23 MARS 2019 & BASTIEN SCORDIA