ORGANISATION TERRITORIALE
Les départements se posent en clé de voûte des politiques décentralisées
L'Assemblée des départements de France ouvrait ce 2 décembre à Bourg-en-Bresse, dans l'Ain, les "Assises des départements". Le rôle central du département a comme il se doit été largement mis en avant. Mais sous un prisme particulier : celui de la complémentarité avec les autres niveaux de collectivités, que ce soit la région ou la commune. Un corpus de 102 propositions a été présenté. Gouvernance, compétences, finances.. les attentes en vue du prochain quinquennat sont fortes.
C'est dans une région comptant aujourd'hui pas moins de treize départements que se sont ouvertes ce 2 décembre les Assises des départements de France – un millier d'élus réunis à Bourg-en-Bresse, dans l'Ain, en Auvergne-Rhône-Alpes... La création des grandes régions "a conforté le département", a estimé Jean-François Debat, le maire de Bourg-en-Bresse, dans son allocution d'accueil. De quoi, dès les premières prises de parole, mettre l'accent sur la nécessaire complémentarité entre niveaux de collectivités. Et sur le rôle central que le département doit plus que jamais jouer dans l'architecture des politiques publiques territoriales. En toile de fond, évidemment, deux éléments de contexte. D'une part, la crise sanitaire : celle-ci "a démontré que le département est un échelon pertinent de réponse à toute forme de crise", a par exemple assuré Jean Deguerry, le président hôte de ces Assises. D'autre part… l'approche de l'élection présidentielle : c'est le moment ou jamais de "faire entendre sa voix", de "dire ce que l'on veut".
Cette question des complémentarités, François Sauvadet, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), est le premier à la mettre en avant. Tout en conservant une exigence de clarté. "Nous devons avoir un débat sur l'efficacité de l'action publique et, oui, sur le bon échelon pour agir", a-t-il déclaré en ouverture, ajoutant que "tous les sujets doivent être mis sur la table" et qu'il s'agit de se mettre d'accord, notamment avec les régions, avant de porter une plateforme de propositions auprès du futur exécutif. Le piège serait de "se chamailler sur les compétences". François Sauvadet a eu l'occasion de s'en entretenir avec Carole Delga, son homologue de Régions de France, a-t-il précisé.
"Le lien n'a jamais été rompu"
La voix des régions était ce 2 décembre portée par le président d'Auvergne-Rhône-Alpes. "Une région où on travaille ensemble", a assuré Laurent Wauquiez qui, dans une longue intervention, a décliné cette nécessité – "malgré la loi Notre" – de "ne pas entrer dans des luttes de compétences", d'"additionner nos forces" et, donc, d'être "complémentaires".
Sur son vaste territoire, cela s'illustrerait dans de multiples domaines : le contrat de plan Etat-région, qui "s'appuie sur les départements" ; le soutien spécifique de la région à certains départements (à l'image du "pacte pour le Cantal" par lequel la région intervient dans le financement des projets départementaux) ; le travail conjoint à privilégier entre RSA et formation ; la création par la région d'une agence économique dont les départements sont partie prenante, leur permettant par ce biais de "continuer à intervenir" sur l'économie et l'industrie ; les infrastructures numériques, la politique montagne… Et en 2020, au cœur de la crise sanitaire, région et départements, a rappelé Laurent Wauquiez, ont notamment mis en place une centrale d'achat commune ainsi qu'un fonds unique de soutien aux commerçants et artisans.
Complémentarité, encore, avec les communes. C'est cette fois Michel Fournier, le président de l'Association des maires ruraux (AMRF), qui s'en est fait l'écho dans le cadre d'une séquence consacrée aux "solidarités territoriales". Une enquête menée par son association témoigne d'une "unanimité des maires ruraux sur le couple département-communes", a-t-il déclaré. Même si "la loi Notre a essayé de faire exploser tout ça", même s'il regrette à la fois la "nouvelle dimension cantonale" et la perte de la compétence économique pour les départements… Michel Fournier insiste sur le fait que le soutien financier des départements est vital pour bien des communes rurales, tout comme leur "aide technique" (malgré la création de l'ANCT, "le premier réflexe" des maires est toujours de "s'adresser au département", constate-t-il). "Mon département compte 500 communes. Le lien n'a jamais été rompu", a corroboré Germinal Peiro, le président de la Dordogne, évoquant les "contrats cantonaux" à travers lesquels le département apporte au moins 25% de l'investissement nécessaire à la réalisation des projets des communes. Et l'interco dans tout ça ? Plus compliqué, visiblement… "Parfois les maires se tournent plus facilement vers le département que vers l'intercommunalité", estime Pascal Coste, le président de la Corrèze, tandis que Michel Fournier demande aux départements de "bien continuer à descendre jusqu'à la commune" même lorsque "l'Etat incite à avoir l'interco pour unique interlocuteur".
"Que l'Etat soit à nos côtés"
Complémentarité, confiance. Ces deux termes beaucoup entendus ce jeudi dans l'Ain concernent naturellement aussi l'Etat. Certes, cette fois moins sous forme de constat que de voeu. Les séquences successivement consacrées à l'enfance, au vieillissement et au handicap l'ont illustré. Sur l'aide sociale à l'enfance (ASE), si la crise a souvent conduit les départements à "travailler différemment" avec les autres acteurs, le préalable est que à "l'Etat prenne ses responsabilités", a ainsi témoigné Florence Dabin, présidente du Maine-et-Loire qui vient d'être élue présidente du GIP Enfance en danger. Qu'il prenne ses responsabilités pour garantir les moyens financiers de l'ASE et de la PMI... ou pour assurer ses propres prérogatives, dont la pédopsychiatrie où les besoins sont béants. Côté médicosocial, le président de la Somme, Stéphane Haussoulier, regrette entre autres que le volet revalorisations salariales du Ségur de la Santé ait dans un premier temps "oublié des gens" (alors que "s'ils avaient consulté les départements, on leur aurait dit !") ou encore qu'il soit "plus facile de joindre la secrétaire d'Etat que le directeur de son agence régionale de santé". De même, François Sauvadet regrette que le gouvernement ait imposé "le même prix horaire pour tout le monde pour l'aide à domicile".
"Nous attendons de l'Etat qu'il soit à nos côtés", résume le président de l'ADF. Y compris pour "accompagner les départements les plus fragiles" au titre de "la solidarité nationale", au-delà de la péréquation horizontale initiée par les départements eux-mêmes. Et ce, d'autant plus que la situation financière des départements risque fort de connaître bientôt un sérieux contrecoup. "On parle de bonne santé financière des départements, du fait du niveau actuel des droits de mutation. Mais cela ne durera pas, les DMTO baisseront l'an prochain, la situation est explosive", prévoit François Sauvadet, qui se souvient de la chute de 70% au lendemain de la crise financière de 2008. A cette époque-là, les départements avaient pu activer d'autres leviers. Aujourd'hui ce n'est plus vrai puisque avec le transfert de la taxe sur le foncier bâti, les départements n'ont tout simplement plus de levier fiscal. Il y a aussi "des craintes sur les dotations" : l'Etat ne risque-t-il pas, face aux dettes du "quoi qu'il en coûte", de vouloir commencer par rogner les ressources des collectivités ?
Propositions de terrain
C'est dans ce contexte que l'ADF a présenté ce 2 décembre en fin de journée un ensemble de 102 propositions (à télécharger ci-dessous). Des propositions "issues du terrain", souligne l'association : elles émanent des réflexions de ses commissions et groupes de travail, mais aussi de débats organisés dans chaque département en amont des Assises. Elles entendent se faire l'écho des "expériences réussies, bonnes pratiques et innovations développées localement". Les sujets couverts sont nombreux et englobent, au-delà des grandes compétences départementales, dont le social, des enjeux liés aux transitions, aux mobilités, à la démocratie locale…
Le fil conducteur : comment "refonder la relation avec l’Etat central, pour un nouvel élan de décentralisation". Parmi les demandes transversales : donner aux départements "une clause de compétence générale en cas de crise", leur octroyer "un pouvoir réglementaire élargi" et "la possibilité d’adapter les normes"… Dans le même esprit, l'ADF souhaite "qu’il soit mis fin aux interventions de l’Etat dans le pilotage des politiques publiques décentralisées et aux appels à projets qui préformatent l’action publique territoriale". Sur le terrain des finances, les départements attendent la fin des contrats de Cahors, "une plus juste compensation des transferts", "une clause de sauvegarde pour pallier dans le temps les variations de charges et de dépenses", "une garantie d’autonomie fiscale à hauteur de 50% de leurs ressources au moins" et "une provision contracyclique pour faciliter les plans d’investissements pluriannuels". En termes de compétences, les départements veulent être les collectivités chefs de file (ou référentes ou coordinatrices, selon les cas) en matière de gestion des réseaux, de gestion de l’eau potable, de gestion des circuits locaux d’alimentation, des grands services de prévention (dont la PMI et la médecine scolaire), de la politique familiale, de l’autonomie, des gestionnaires des collèges... Et entendent, au-delà de tout cela, pouvoir intervenir partout "où l’action de proximité départementale va de soi" : économie de proximité, aides à la pierre, précarité énergétique, transports scolaires...
Ces propositions voient clairement plus loin que le projet de loi 3DS qui vient de passer par le filtre de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, laquelle a notamment tiré un trait sur les apports du Sénat concernant les compétences des départements (lire notre article du 1er décembre). Des voeux, donc, pour la prochaine législature.
Jean Castex, attendu vendredi en début d'après-midi pour clore ces Assises en compagnie de Jacqueline Gourault et de Brigitte Bourguignon, ne devrait donc guère y apporter de réponse directe. Sauf, peut-être, pour mettre l'accent sur la formule proposée par le gouvernement concernant le transfert des routes ou sur un éventuel compromis quant au devenir des gestionnaires de collèges. L'ADF peut en revanche se prévaloir des enseignements d'un sondage commandé à l'Ifop, présenté jeudi matin (à télécharger ci-dessous), qui témoigne d'un certain capital confiance dont bénéficient les départements auprès des Français.
LOCALTIS : Article publié le jeudi 02 décembre 2021 & Claire Mallet.
- Quand l'"exode urbain" mobilise les compétences départementales
Parmi les "défis d'avenir" déclinés jeudi après-midi, celui de "l'exode urbain" qui marquerait la France de l'après-confinement. L'économiste Jean-Claude Delgènes a préalablement listé les conditions à remplir pour un territoire souhaitant accueillir de nouvelles populations quittant – éventuellement une partie du temps seulement - une grande métropole pour s'installer dans un environnement plus rural : l'accès à internet, les transports, les services liés à l'enfance, le sport, les vecteurs de qualité de vie tels que l'environnement et l'alimentation. Or les politiques départementales sont impliquées dans tout cela. "Fibre optique, infrastructures routières, école et enfance… Cela passe par les départements. On voit donc bien que nous sommes l'échelon qui va permettre d'organiser cette révolution", en conclut François Durovray, le président de l'Essonne, soulignant la nécessité de "s'adapter très vite" face à ce nouvel aménagement du territoire de fait. Valérie Simonet, présidente de la Creuse, a témoigné de la façon dont son département a depuis longtemps déjà, via don agence de développement, déployé des moyens pour faire connaître les atouts de ce territoire ultra-rural puis, face au succès de ses campagnes de communication, pour offrir aux nouveaux habitants les équipements et services dont ils ont besoin. Si le mouvement qui s'amorce devait se confirmer et prendre de l'ampleur, des questions de fond vont toutefois se poser. François Durovray en évoque deux. Tout d'abord, celle de l'habitat : le développement de la bi-résidentialité implique une pression immobilière supplémentaire… mais aussi peut-être la nécessité de réfléchir à de nouvelles formes d'habitat. D'autre part, celle de la fiscalité : "Aujourd'hui, la fiscalité reste liée à l'implantation des sièges sociaux", alors même que l'arrivée de populations (de télétravailleurs notamment) va nécessiter "de nouveaux équipements sur des territoires qui ne bénéficieront pas des recettes correspondantes