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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

FINANCES PUBLIQUES

14 Février 2022 , Rédigé par FO Services Publics 51

La préparation du budget, un jeu de rôles en quête de maturité collective

Vingt ans après la mise en œuvre de la Lolf, les acteurs publics n’ont que peu gagné en maturité. Cette réforme budgétaire n’a pas permis d’atteindre l’un de ses objectifs initiaux : donner à chaque ministère une enveloppe, un plafond et le laisser opérer ses propres choix.

Alors que le Parlement a voté, fin 2021, une loi pour moderniser la gestion des finances publiques, il est une séquence de coulisse sur laquelle les acteurs publics progressent peu : la préparation du projet de loi de finances (PLF), qui s’apparente un peu à une pièce de théâtre. Chacun y joue son rôle : Bercy versus les ministères dépensiers. On discute beaucoup, assez souvent avec des postures. Parfois, on laisse fuiter dans la presse des “informations” destinées à tuer tel ou tel projet d’économies débattu dans le secret des coulisses. Ou l’on fait monter tel ou tel lobby pour “alerter” ou faire part de ses “vives inquiétudes”.

"Dans un pays qui n’a plus de marges de manœuvre financières, chaque budget est un budget de reconduction et non de reconstruction, observe un acteur en coulisses. Lors de la préparation du projet de loi de finances, le ministre vient voir son homologue de Bercy pour lui demander la reconduction du budget de l’année précédente avec une rallonge pour financer telle ou telle nouvelle priorité politique. Le ministre du Budget va dire “non” ; son collègue va lui répondre à son tour que ce n’est pas possible à budget constant, qu’il ne saura pas faire. Le “budgétaire” va alors lui rétorquer : “Si tu ne sais pas le faire, je peux le faire pour toi”. Et c’est le moment où la discussion dérive…” 

Afficher un budget en croissance

En coulisses, vingt ans après la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (la Lolf, une sorte de constitution financière), les acteurs publics n’ont que peu gagné en maturité. Cette réforme n’a pas permis d’atteindre l’un de ses objectifs initiaux : donner à chaque ministère une enveloppe, un plafond et le laisser ensuite opérer ses propres choix et ventiler les crédits entre les programmes. De quoi responsabiliser davantage pour réinsuffler un esprit de solidarité. Un peu sur le modèle canadien.

Sur le plan politique, continuent de dominer des comportements caractérisés par une insuffisante appropriation des règles du jeu collectif et une faible culture du redéploiement des crédits, le budget restant peu perçu comme une mise en cohérence de l’action publique et des priorités politiques. Un bon ministre ou un ministre considéré comme puissant dans son écosystème est avant tout un ministre qui peut afficher un budget en croissance de X pourcents et non un budget à même de garantir la progression de tel ou tel indicateur de performance d’une politique publique. Médiatiquement, la croissance du budget écrase encore toute autre représentation rationnelle.  

Au niveau administratif, la direction du budget (DB) et ses 200 agents restent dans un rôle difficile. Esseulés à certains égards. Pour certains, la « DB » fait la leçon à ses homologues métiers – comparaisons internationales et autres argumentaires très théoriques à l’appui –pour justifier telle ou telle manière différente d’agir à moindre coût. Pour d’autres, elle constitue au contraire le dernier rempart rassurant dans un monde de déresponsabilisation.

Filière interministérielle budgétaire

En coulisses, Bercy fait face à des situations très hétérogènes. Les fonctions financières des ministères restent très inégalement dotées pour nourrir leur propre débat interne, laissant dans certains cas Bercy dans le rôle très pratique du méchant. À rebours de la Lolf, qui visait à placer les responsables métiers des ministères en première ligne sur les sujets financiers, la tendance des dernières années a en effet consisté à faire monter en puissance les directions des affaires financières lorsque c’était possible. Tout dépend des considérations géopolitiques internes de chaque ministère et de son historique administratif. Ainsi, à l’Intérieur ou aux Armées, la discussion n’a pas toujours les allures d’un long fleuve tranquille, mais des partenariats ont pu être noués, notamment pour établir des parcours professionnels des responsables financiers dans ces ministères dotés d’une taille critique suffisante. Avec des effets sur la qualité des échanges et la propension à nouer, dans certains cas, des deals malins au fil des exercices budgétaires. 

Dans d’autres ministères plus fermés et/ou plus petits, comme celui des Affaires étrangères, les échanges restent plus difficiles. “Les experts budgétaires, dans certains ministères, ont peu de perspectives de carrière et s’ils se spécialisent un peu trop comme budgétaires, ils n’auront ensuite plus de postes dans les métiers”, observe un expert, qui insiste sur la nécessité d’organiser une véritable filière interministérielle budgétaire et de gestion publique (finances, achats, immobilier, etc.), sur le modèle de ce qui s’opère dans le numérique. “Un excellent diplomate ne fera pas forcément un excellent budgétaire, poursuit le même expert. Voilà un exemple de ministère qui a du mal à intégrer des gens qui ont fait autre chose que des affaires étrangères et cela s’en ressent dans les relations entre les deux ministères. D’autant qu’au Quai d’Orsay, être contre Bercy fait partie de leur culture, c’est montrer qu’ils existent.”

Hybrider les profils

Dans cette logique de renforcement de la fonction financière, hybrider les profils “corpos” et les profils financiers devient une nécessité pour organiser un vrai pôle de réflexion. Comme souvent, la rémunération et les régimes indemnitaires jouent aussi leur rôle. “Historiquement, Bercy a toujours essayé de capter les fonctionnaires les plus doués”, relève un fin connaisseur des rouages administratifs.

Pour sortir des jeux de rôles traditionnels, le mouvement de la pluriannualité, destiné à donner de la visibilité aux acteurs, devait constituer une autre avancée.

Mais il a déçu. La loi de programmation en début de quinquennat ? Dépassée au bout de seulement quelques mois ! “Cette loi reste perçue comme la loi de Bercy, macro, sans appropriation par les autres acteurs”, note une source. Les lois de programmation sectorielles ? Ce sont celles tendant à augmenter les moyens qui marchent encore le mieux...  

“D’une manière générale, on doit avoir plus de partage, plus de discussions sur l’objectif, note un haut fonctionnaire. On ne peut pas avoir la même discussion sur les fonctions de production de service public, relativement prévisibles, et sur le contenu des politiques publiques, qui l’est moins. Il y a des budgets qui se prêtent plus à des discussions annuelles que d’autres.”

Traçabilité des interventions

Dans cette période d’incertitudes post-Covid propice à l’introspection, le rôle de l’Élysée fait, dans un autre genre, lui aussi débat. Constitutionnellement, le Président et ses puissants conseillers ne jouent aucun rôle, Matignon restant la seule autorité politique. En pratique, la subtile dyarchie imaginée par le tandem De Gaulle-Debré vient là aussi créer un autre jeu de rôles. Il fut un temps où le président de la République passait par-dessus l’épaule de son Premier ministre pour exiger certaines dépenses que son ministre du Budget pouvait ou non lui refuser, en fonction des personnalités occupant le poste. Aux dires de certains observateurs, le Président Macron a plutôt bien respecté la lettre du texte sacré de 1958.  

“En matière budgétaire, le fait du prince élyséen est resté l’exception dans ce quinquennat”, croit savoir un haut fonctionnaire, qui relève que l’absence de nomination d’un conseiller budgétaire à l’Élysée a marqué, dès l’été 2017, une volonté politique claire : la délégation assumée de la fonction budgétaire à Matignon.

Pour autant, l’absence de traçabilité des interventions élyséennes fait tiquer, alors que celles de Matignon et des ministres obéissent à un formalisme précis, assurant de fait une certaine transparence. “La traçabilité, c’est le début de la vertu, plaide un politique. Elle vous conduit à endosser les conséquences de la décision que vous prenez. L’idée qu’un conseiller du Président puisse tordre le bras du ministre comme cela a pu se faire par le passé reste terriblement choquante.

Et la traçabilité au sommet aurait beaucoup d’influence sur le management intérieur, notamment dans les échanges entre administrations, sur les influences qu’elles exercent les unes sur les autres.” Les jeux de rôle n’ont pas fini d’occuper la scène budgétaire. 

acteurs publics : article publie le mardi 25 janvier 2022 & PIERRE LABERRONDO

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