VIE PUBLIQUE
Cabinets de conseil -Le défi du contrôle des mobilités public-privé
Le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, Didier Migaud, vient de revenir sur ce sujet lors d’une audition par la commission sénatoriale d’enquête sur “l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques”. Il a plaidé pour un meilleur encadrement du recours par les administrations à ces cabinets de conseil.
Plus que quelques semaines avant que la commission d’enquête du Sénat sur “l’influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques” ne rende son rapport. Elle doit en effet présenter au mois de mars ce document d’ores et déjà très attendu. Dans l’attente de cette présentation, la commission poursuit donc ses auditions de membres du gouvernement, de responsables d’administration ou d’entreprise publique, de hauts fonctionnaires, mais également de représentants des cabinets de conseil. Parmi les dernières auditions en date, celle du président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), Didier Migaud, qui est notamment revenu sur la nécessité de mieux encadrer ce recours aux cabinets privés.
Le recours par l’État à des cabinets de conseil “n’est pas nouveau (…), n’est pas interdit” et “peut même être utile lorsque l’administration ne dispose pas en son sein des compétences nécessaires”, a-t-il d’abord affirmé lors de cette audition, le 26 janvier. “Cependant, a développé Didier Migaud, pour préserver la décision publique, prévenir de potentiels conflits d’intérêts et assurer la transparence des relations entre responsables publics et cabinets de conseil, ces pratiques doivent être encadrées.”
La transparence, “grande oubliée”
L’occasion pour le président de la HATVP de saluer la toute récente circulaire du Premier ministre, Jean Castex, sur l’encadrement du recours aux cabinets de conseil par les administrations. “Elle a bien pour objet de répondre à un manque”, a-t-il souligné, en relevant malgré tout que la HAVTP n’avait pas été consultée en amont de la publication de cette circulaire.
Une circulaire pour encadrer le recours aux cabinets de conseil
“Compte tenu du rôle de la Haute Autorité, on peut effectivement penser qu’un avis serait utile”, a-t-il fait remarquer. Un message à l’adresse du gouvernement. Dans son viseur également, l’absence, dans la circulaire, de dispositions relatives à la transparence du recours aux cabinets de conseil. “La transparence semble être la grande oubliée de cette circulaire…” lui a lancé le président LR de la commission sénatoriale d’enquête, Arnaud Bazin. Réponse sobre de Didier Migaud : “Oui. Si la transparence n’est pas un objectif en soi, c’est un moyen d’établir la confiance. Nous avons toujours intérêt à la confiance.”
Cette audition par le Sénat a aussi donné à Didier Migaud l’occasion de revenir sur le rôle de sa structure en matière de prévention des conflits d’intérêts lors de l’examen et du contrôle des demandes de mobilité de hauts fonctionnaires ou de membres des cabinets ministériels vers le privé, et donc potentiellement vers des cabinets de conseil.
7 dossiers de reconversion vers des cabinets de conseil
“L’intervention de cabinets de conseil peut légitimement susciter des inquiétudes en matière de déontologie, a souligné le président de la HATVP. Plusieurs risques sont identifiés. Ce recours accroît la perméabilité entre le secteur public et le secteur privé, et expose les agents publics qui rejoignent des sociétés de conseil ou des cabinets d’avocats au risque d’une condamnation pénale pour prise illégale d’intérêts s’ils ont entretenu des relations d’ordre professionnel avec ces cabinets dans le cadre de leurs fonctions publiques.”
Dans le détail, depuis le 1er février 2020 – date à partir de laquelle la HATVP a récupéré les missions de la Commission de déontologie de la fonction publique –, 573 avis ont été rendus sur des projets de prénomination dans le secteur public. Par ailleurs, 264 avis ont été rendus sur des projets de reconversion professionnelle d’agents publics, “pour moitié des collaborateurs du président de la République et des conseillers ministériels”. “Sept dossiers de reconversion et 8 dossiers de prénomination concernaient des mobilités vers ou depuis les grands cabinets de conseil susceptibles de délivrer des prestations à l’État, a précisé Didier Migaud. Ces dossiers ont donné lieu à des avis de compatibilité avec réserves, à l’exception d’un dossier de reconversion et d’un dossier de pré nomination, qui ont fait l’objet d’un avis de compatibilité simple.”
Reste néanmoins la problématique du suivi des réserves émises par la Haute Autorité. “C’est un vrai défi pour la HATVP”, a confirmé Didier Migaud, en réclamant, comme il l’a déjà fait, un renforcement des moyens d’investigation et de contrôle de sa structure, mais aussi la rationalisation du paysage des organes chargés des questions déontologiques. Souhaité également par le député LREM Raphaël Gauvain dans une proposition de loi, le transfert des compétences de l’Agence française anticorruption (AFA) à la HATVP n’a, rappelons-le, pas abouti.
Les cabinets de conseil se défendent
“La dépense de conseil est un indicateur fondamental et central de la volonté réformatrice d’une administration. Si l’on considère qu’il y a un besoin de transformer, il y a donc une forme de nécessité pour l’État d’utiliser du conseil interne comme externe”, réagit Matthieu Courtecuisse, le président de Syntec Conseil, alors que le recours, par l’État, à des cabinets de conseil privés fait toujours l’objet de critiques, notamment dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire. Celui qui est à la tête du syndicat représentant cette filière du conseil en France salue notamment l’effort de réinternalisation plaidé par le Premier ministre dans sa circulaire : “La réussite des projets de transformation repose sur un couple interne-externe. Qu’il y ait une meilleure maîtrise en interne avec plus de monde au sein des administrations pour définir les besoins est donc une bonne chose.”
Fondateur et président de SIA Partners, Matthieu Courtecuisse redoute toutefois certaines conséquences de l’encadrement des bons de commande supérieurs à 500 000 euros, qui devront désormais être approuvés par des “comités d’engagement” ministériels. “S’il y a un coût de gestion élevé des missions ou une lenteur dans la prise de décision, alors cela risque de nuire à l’efficacité potentielle de l’ensemble du dispositif. Le risque est donc de complexifier à outrance la gouvernance”, estime-t-il. “Une gouvernance trop compliquée risque également de démotiver des cabinets de conseil à s’intéresser au secteur public”, ajoute le président du Syntec Conseil, en soulignant que l’administration est aujourd’hui “le segment le moins rentable en termes d’activité pour les cabinets de conseil. Il faut donc faire attention à ce que les cabinets de conseil restent intéressés à travailler avec le secteur public. C’est dans l’intérêt de la puissance publique que ces cabinets ne soient pas stigmatisés ou ne prennent pas des risques démesurés quand ils interviennent pour telle ou telle administration”.
acteurs publics : article publie le mardi 01 fevrier 2022 & BASTIEN SCORDIA