COMMUNICATION PUBLIQUE
Avec les podcasts, les services publics donnent de la voix
En deux ans, pas moins d’une vingtaine de podcasts ont été lancés par différents acteurs publics : assurance retraite, France Stratégie, préfecture de police, AP-HP… Même les sénateurs viennent de s’y mettre ! Certains y voient une manière de communiquer, voire de se raconter, directement auprès du grand public sans intermédiaire, et d’autres davantage un moyen de renforcer les liens entre agents publics.
C’est une mode à laquelle le secteur public n’échappe pas. Depuis le début de l’année 2020, une fièvre du podcast s’est ainsi emparée des acteurs publics, favorisée par la crise sanitaire et la dématérialisation des relations. “Le temps d’être soi” par l’assurance retraite, “Pour que nature vive” par l’Office français de la biodiversité, “Les voix de l’AFT” à l’Agence France Trésor ou encore “100 jours pour réussir”, le podcast du ministère de la Santé pour accompagner les innovateurs en e-santé dans leur aventure semée d’embûches réglementaires, entre autres… Même la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, s’est prêtée au jeu en animant le podcast “Commandantes” pour mettre en avant les femmes dirigeantes du ministère de l’Intérieur.
Au total, Acteurs publics a recensé pas moins de 20 podcasts proposés par des entités publiques. Tous ont été lancés en l’espace de deux ans et couvrent une large palette de domaines : la santé, la sécurité, l’évaluation des politiques publiques, la conception de services numériques… C’est une manière pour elles de raconter les coulisses de l’action publique, de reprendre le contrôle du récit, de toucher un public moins sensible aux actions traditionnelles de communication, et même de créer du lien entre agents publics.
“Très vite, je me suis aperçu que toutes les personnes à qui je parlais dans les différentes administrations se sentaient plus ou moins seules face à un système contre lequel elles ne peuvent pas grand-chose, explique Frédéric Bardolle, à l’origine de l’un des tout premiers podcasts du secteur public pour le secteur public, « Hackers publics ». L’idée était d’abord de leur montrer qu’elles n’étaient pas seules à vouloir transformer la culture numérique de l’administration et de leur dire cela valait le coup d’aller au bout.” Au fil des épisodes, l’ancien responsable de l’incubateur du ministère des Armées interroge différentes figures du numérique public, d’Henri Verdier à Laura Létourneau, en passant par Sébastien Soriano, sur leur vision de l’État et de la transformation numérique afin d’inspirer les agents et de mettre en avant les bonnes pratiques et bonnes volontés, y compris pour les personnes extérieures à l’État.
“La communication est un moyen de légitimation du gouvernement, de l’autorité, du pouvoir”
Cette volonté de dialogue et de renforcement des liens de communauté, par-delà les silos administratifs, s’inscrit tout droit dans l’esprit des start-up d’État, proche de celui du programme des entrepreneurs d’intérêt général, par lequel Frédéric Bardolle est entré dans l’administration. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le réseau Beta.gouv a lui aussi lancé sa propre série de podcasts en interne. “« Beta » est avant tout un collectif de personnes avec des statuts très différents, mais avec la montée en puissance du dispositif, passé de 100 à 800 personnes en quelques années, l’intégration et l’accompagnement ne sont évidemment plus les mêmes”, explique Léry Jicquel, ancien coanimateur du programme Beta.gouv. Le podcast apparaît ainsi comme le meilleur moyen d’insuffler plus massivement la ”culture Beta” aux nouveaux venus pour faciliter leur intégration. “Il n’y a pas d’objectif marketing, c’est avant tout le podcast de Beta.gouv pour Beta.gouv”. Mais un peu de visibilité à l’extérieur ne peut pas faire de mal à la marque employeur de l’État.
Facilité déconcertante
“Tout le monde est gagnant à créer son propre contenu en supprimant les intermédiaires, cela permet de construire votre audience, sans dépendre de personne”, analyse Frédéric Bardolle pour expliquer la mode des podcasts dans le secteur public, lui qui a su, dit-il, repérer un créneau pour expliquer ce que faisait réellement l’État en matière d’innovation. Cette caractéristique propre au podcast a notamment conduit à une réappropriation de la parole sur Internet autour de sujets relativement peu traités par les médias traditionnels, comme les questions de genre et de féminisme, de sexe ou de racisme.
Pour Léry Jicquel, la tendance est aussi liée à la facilité déconcertante avec laquelle tout un chacun peut désormais créer et donc devenir un média. “Pour le podcast « Beta », relate-t-il, je ne me suis même pas posé la question, j’ai pris mon téléphone, profité d’un séminaire des membres de Beta.gouv pour interroger un maximum de personnes, puis utiliser l’outil de Spotify pour monter les émissions, récupérer des sons et pousser les contenus directement sur les plates-formes.”
Les innovateurs de l’État, déjà habitués à “pitcher”, bricoler et se raconter, ne sont pas les seuls, loin s’en faut, à investir le podcast. Nombre d’acteurs publics s’emparent de cette technique de narration très en vogue et facile d’accès pour se raconter auprès du grand public, vulgariser leurs missions et métiers, ou des travaux parfois arides. C’est notamment le cas de France Stratégie. Le très sérieux organisme de prospective et d’évaluation de politiques publiques mise, depuis avril 2020, sur ce nouveau format pour mieux faire connaître ses travaux sur toutes ses thématiques : chômage, inégalités, alimentation durable, politiques industrielles, etc.
“Nous mûrissions cette idée bien avant le confinement, car nous considérions ce format comme prometteur et particulièrement adapté et dynamique pour faire de la pédagogie autour de nos contenus”, explique le directeur de la communication, Mathias Le Fur. L’occasion, en outre, d’approfondir ou de mettre à jour les rapports. “Entre la publication d’un rapport et celle du podcast, il s’est passé du temps, ce qui nous permet de poursuivre la réflexion et de rebondir sur l’actualité”, poursuit-il.
Coulisses du métier
Sans doute pressée par l’actualité sanitaire, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) s’est elle aussi initiée aux podcasts avec sa série “Dans la seringue”, lancée en octobre 2021 afin que le grand public comme les médecins comprennent mieux “le quotidien des professionnels de santé et les étapes du parcours de soins dans des services d’excellence de l’AP-HP”. Le premier épisode comptabilisait 2 360 écoutes début janvier et un second a été mis en ligne le 27 janvier.
De son côté, la préfecture de police (PP), qui maîtrise sa communication au millimètre, a produit 2 séries de podcasts, de manière complètement internalisée. L’une sur l’histoire et les coulisses de la PP et l’autre sur les parcours de ses agents. “L’enjeu, explique sa porte-parole, Laetitia Vallar, était de faire connaître nos métiers auprès d’une population grand public et friande de podcasts, en leur offrant des témoignages, des anecdotes sur les affaires parfois insolites qui ont fait l’histoire de la PP”, pour mieux valoriser le travail de ses agents, en particulier sur les réseaux sociaux, identifiés par le nouveau préfet de police, Didier Lallement, comme un terrain de communication à conquérir.
Média sonore par excellence, le podcast apporte une solution à une équation a priori insoluble : les agents sont tiraillés entre l’envie de raconter leur métier et la peur d’être reconnus. “C’est beaucoup plus facile d’obtenir des interviews d’agents sans révéler leur visage, ou d’aller dans des lieux où toute captation d’images est interdite”, glisseLaetitia Vallar. Si elle ne dispose pas – ou ne souhaite pas communiquer – de chiffres d’écoute, la PP estime avoir rencontré son public, au-delà même de ses attentes.
Les réseaux sociaux, réel enjeu d’image et de pédagogie pour les forces de sécurité
En attendant, la mode des podcasts n’est sans doute pas près de se tarir dans le secteur public. Plus le temps passe et plus les acteurs publics raffinent leurs techniques de narration, n’hésitant pas à faire appel à des agences spécialisées pour cela. Dernier exemple en date avec la direction interministérielle du numérique, la DSI de l’État, qui devrait bientôt lancer une série audio sur l’accessibilité numérique.
Quatre histoires fictives racontées par des personnages eux aussi fictifs sur leurs péripéties numériques, mais inspirées du terrain afin de sensibiliser autrement les acteurs publics – mais pas seulement – aux enjeux de l’accessibilité des services publics en ligne.
acteurs publics : article publie le mercredi 09 fevrier 2022 & EMILE MARZOLF