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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

TRANSITION ECOLOGIQUE

13 Décembre 2023 , Rédigé par FO Services Publics 51

Les chambres régionales des comptes se lancent dans l’évaluation des politiques environnementales

Au-delà de leur mission traditionnelle de contrôle des comptes des collectivités, les juridictions financières comptent bien se saisir des nouvelles opportunités offertes par la loi 3DS pour se mobiliser sur l’évaluation des politiques de transition écologique.

Les chambres régionales des comptes (CRC) vont-elles devenir les “Robins des bois” des finances publiques vertes – notamment via l’évaluation de la transition écologique au niveau local ? Dans le cadre du projet de transformation des juridictions financières, le fameux programme “JF 2025”, le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, ne cesse d’insister sur la vocation de son institution “à devenir l’acteur majeur dans la conduite” de l’évaluation des politiques publiques, qu’elles soient économiques, sociales mais aussi environnementales. Un effort auquel les chambres régionales et territoriales des comptes sont aussi amenées à contribuer, dans le prolongement de la loi 3DS (Décentralisation, Différenciation, Déconcentration et Simplification) de février 2022, qui a créé une compétence d’évaluation des politiques publiques pour ces CRC, rapprochant ainsi leurs missions de celles de la Cour des comptes.

Tous les acteurs des CRC en conviennent : ces structures ont un rôle majeur à jouer en matière d’évaluation des politiques publiques de transition écologique. Elles ont ainsi la capacité de contribuer, par leurs travaux, à la transformation environnementale du pays. “Nous sommes là non seulement pour veiller à la régularité et à la qualité de la gestion des collectivités, mais aussi pour faire émerger des débats de société autour, notamment, des questions de transition écologique”, confirme Christophe Strassel, président de la chambre régionale des comptes du Grand Est.

Sur ces sujets environnementaux notamment, “les juridictions financières permettent une prise de recul par rapport au temps de la décision publique, qui est de plus en plus contraint”, abonde Pierre Genève, le président du Syndicat des juridictions financières (SJF), qui représente les magistrats de CRC.

Les managers publics en attente d’outils concrets pour conduire la transition écologique

S’il reste encore du chemin à parcourir, les chambres régionales des comptes se mobilisent déjà en faveur de la transition écologique puisqu’elles intègrent dans leurs travaux un important volet consacré à l’évaluation des politiques publiques environnementales. “Les CRC sont amenées, de plus en plus, à aborder des sujets financiers portant sur la transition écologique et nous le faisons sous deux angles : l’atténuation du changement climatique et l’adaptation au changement climatique”, explique Bernard Lejeune, le président de la CRC d’Auvergne-Rhône-Alpes.

La clé d’entrée du contrôle de régularité

La première clé d’entrée dont disposent les CRC pour évaluer la transition écologique est leur mission originelle, à savoir le contrôle des comptes des collectivités. Que ce soit sur l’eau, les déchets ou les forêts, ce contrôle de régularité aborde en effet de plus en plus souvent des sujets qui ont trait à la préservation de l’environnement. “De manière totalement naturelle, les contrôles font de plus en plus apparaître des préoccupations environnementales, affirme Christophe Strassel. L’enjeu des finances rejoint par ricochet celui de la transition écologique.” Et de citer l’exemple du contrôle de la gestion d’un parc forestier, qui abordera la manière dont il est géré par la collectivité tout en prenant en compte des préoccupations environnementales.

“Ce travail sur la transition écologique n’est pas nouveau, les chambres peuvent par exemple évidemment regarder les dépenses faites par les collectivités en matière de consommation d’énergie et donc indirectement regarder leur contribution aux émissions de gaz à effet de serre”, indique Bernard Lejeune.

L’occasion pour ce magistrat d’évoquer aussi les contrôles menés par les CRC sur l’éclairage public au sein des collectivités ou la rénovation énergétique de leurs bâtiments, contrôles qui ont pu mettre l’accent sur de bonnes pratiques de sobriété énergétique et donc inciter les collectivités à faire attention à leur facture d’énergie.

Du “contrôleur des travaux finis” au conseiller

Mais ce président de CRC, comme d’autres, le concède : aborder les questions environnementales lors de contrôles peut parfois s’avérer délicat. Référence notamment au contrôle des collectivités sur la gestion de la politique de l’eau où, explique Bernard Lejeune, peuvent être abordés “le partage de la rareté de cette ressource”, “les difficultés posées par son utilisation aujourd’hui” ou encore “la nécessité de faire évoluer certaines pratiques”. “Certains nous disent que ce ne sont pas des sujets financiers, témoigne le président de CRC, et nous reprochent d’aller sur ce terrain-là, alors qu’il faut avoir un débat sur cette ressource qui a une valeur en tant que telle.” “Dans nos contrôles, poursuit Bernard Lejeune, il est donc rare d’avoir des sujets qui ne soient pas seulement financiers, ce qui nous laisse un spectre très large pour aborder le sujet de la transition écologique et de son évaluation.”

Au-delà de la prise en compte des questions environnementales dans leurs missions de contrôle, les chambres régionales des comptes entendent se saisir des nouvelles opportunités offertes par la loi 3DS pour se mobiliser sur l’évaluation des politiques de transition écologique. Outre leur possibilité d’auto-saisine pour mener des enquêtes ou des évaluations thématiques, ces chambres pourront être saisies par les régions, les départements ou les métropoles pour réaliser l’évaluation d’une politique publique relevant de la compétence de la collectivité auteure de la saisine. Un “droit de tirage” sur le modèle de celui dont disposent les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat pour demander des enquêtes à la Cour des comptes. Plusieurs collectivités ont d’ailleurs déjà saisi les CRC de leur ressort pour évaluer certains pans de leurs politiques publiques.

Le budget vert, un outil d’évaluation et de pilotage au potentiel sous-exploité

Autre innovation permise par la loi 3DS : la possibilité pour les CRC d’être sollicitées par les collectivités pour rendre un avis sur les conséquences de tout projet d’investissement exceptionnel dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par la collectivité à l’origine de la saisine. “La porte ouverte par cette loi est très intéressante puisqu’il ne s’agit pas d’une démarche de contrôle mais bien d’une démarche partenariale avec la collectivité auteure de la saisine, affirme Christophe Strassel. La possibilité, par exemple, d’étudier l’impact d’un investissement significatif nous permettra aussi de répondre à une demande sociale alors que l’on nous reproche parfois d’arriver après la bataille.”

”Le rôle de « contrôleur des travaux finis » est dépassé depuis longtemps, abonde Pierre Genève, du SJF. Les chambres régionales des comptes prennent leur part pour éclairer la décision publique locale au moment opportun.” Et de vanter un “rôle de conseiller” de la part des CRC auprès des décideurs locaux, l’échelon local étant selon lui “très pertinent pour penser les politiques publiques de demain”, au rang desquelles celle de la transition écologique. L’évaluation peut malgré tout “faire peur”, notamment aux collectivités, ajoute Pierre Genève. Mais, insiste-t-il, “garantir l’information du citoyen est l’une des voies pour restaurer leur confiance” dans la puissance publique.

Révolution culturelle et nouveaux profils

Si les CRC semblent avoir ajouté une touche “verte” à leurs travaux d’évaluation ou sont en passe de le faire, ce verdissement implique néanmoins une véritable révolution culturelle et intellectuelle pour ces structures. “L’utilisation des nouveaux outils et types de rapports tels que ceux sur l’évaluation pour les mettre au service des questions de transition écologique dépendra largement de logiques de pouvoir et institutionnelles”, estime une observatrice avertie des juridictions financières.

“Veut-on, ou pas, en faire une priorité absolue ? interroge cette experte. Cela renvoie à une question fondamentale : la culture institutionnelle des élus d’un côté, des magistrats des CRC et de la Cour de l’autre, est-elle portée sur ces problématiques ? Comme partout dans l’administration, non en première analyse, sauf exceptions individuelles, et le remplacement générationnel mettra du temps (trop) à créer de nouvelles configurations.” 

Plusieurs leviers sont déjà actionnés au sein des CRC pour mener à bien cette révolution du verdissement de leurs travaux. Cela passe notamment par la formation de leurs équipes ou par l’évolution de leurs référentiels de contrôle et d’évaluation, qui n’abordent plus systématiquement le volet financier de prime abord. Cela passe aussi surtout par la nécessité d’avoir des équipes en interne qui ont de l’expertise sur des sujets d’évaluation et de transition écologique.

Le recrutement au sein des CRC est ainsi amené à évoluer, comme le confirme Christophe Strassel : “On a recruté pendant longtemps des personnes qui avaient des compétences en analyse financière ou en contrôle de gestion et en audit. Mais sans faire disparaître ces compétences-là, nous devons aujourd’hui nous tourner vers des compétences nouvelles.” Il ne s’agit pas seulement de savoir traiter les questions liées à la transition écologique mais aussi de mener “correctement” les évaluations de politiques publiques. Ces évaluations “demandent la maîtrise de techniques quantitatives qui n’étaient pas toujours dans le périmètre de compétences des personnes qu’on a recrutées jusqu’à maintenant”, explique le président de la CRC Grand Est, selon qui ces juridictions financières sont donc désormais amenées à se tourner vers de nouveaux profils, comme des ingénieurs et des scientifiques.

Dans l’entreprise de verdissement de leurs travaux, les CRC misent aussi beaucoup sur le recours à l’expertise externe et au monde de la recherche. Plusieurs chambres régionales ont ainsi conclu des conventions de coopération avec des universités pour que ces dernières viennent les épauler dans leurs travaux. À titre d’exemple, dans le cadre de ses travaux sur l’adaptation des stations de montagne au changement climatique, la CRC d’Auvergne-Rhône-Alpes a fait appel à des scientifiques pour modéliser les situations futures. Une démonstration de plus de l’apport que la recherche peut apporter à la décision publique. 

ACTEURS PUBLICS : article publie le jeudi 23 novembre 2023 & BASTIEN SCORDIA

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