REMUNERATION
L’entretien professionnel des fonctionnaires, un exercice à revisiter
Dans la fonction publique, l’entretien professionnel peine à jouer son rôle tant en matière d’évaluation qu’en vue de la fixation des primes et parts variables de rémunération des agents. Cet article fait partie de l’enquête consacrée à la rémunération au mérite parue dans le numéro 171 d’Acteurs publics.
L’évaluation professionnelle des fonctionnaires a totalement changé de visage ces dernières années. Obligatoire depuis la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, l’entretien professionnel annuel est en effet venu remplacer la traditionnelle et néanmoins très contestée notation comme mode d’appréciation de la valeur professionnelle des agents publics.
Si cette loi a généralisé le dispositif à l’ensemble de la fonction publique de l’État à compter de 2012, dans la fonction publique territoriale et hospitalière, l’entretien professionnel d’évaluation devient obligatoire en 2015. Il s’adresse à tous les agents, qu’ils soient titulaires, non titulaires ou stagiaires.
“L’entretien professionnel est, en soi, une petite révolution, appuie une ancienne de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Historiquement, l’ensemble des fonctionnaires, hors enseignants, avaient uniquement une note chiffrée.” Une note qui, aux dires des professionnels des ressources humaines publiques que nous avons interrogés dans le cadre de cet article, était toujours systématiquement élevée, voire très élevée et donc pas vraiment significative.
Bilan de l’année écoulée
Imposer l’entretien professionnel a donc été un véritable cap à passer. “L’ambition a aussi été d’élargir son champ, qui porte non seulement sur la valeur professionnelle mais qui essaye aussi d’objectiver les choses en réalisant un bilan de l’activité de l’année écoulée et en fixant des objectifs pour l’année à venir”, poursuit cette même spécialiste.
L’exercice passe notamment par l’établissement de grilles d’évaluation permettant d’établir des compétences et a été poussé très loin dans le détail dans certaines administrations. Des dispositifs assez lourds ont émergé, parfois difficiles à mettre en place pour les managers qui se retrouvent, dans certains cas, avec plusieurs dizaines d’agents à évaluer. “Cette situation rend difficile la véritable évaluation même si les outils mis en place sont extrêmement raffinés”, poursuit un autre responsable RH dans la fonction publique.
En effet, le plus souvent, les encadrants ont à leur disposition une grille d’évaluation avec une durée d’entretien indicative minimale et maximale. Un outil applicatif interministériel baptisé Esteve propose aussi une série de documents utiles à l’entretien professionnel, qui tracent l’ensemble du processus d’évaluation. Nombreux sont par ailleurs les ministères à mettre à disposition des managers des guides et supports complémentaires pour réaliser l’exercice.
Primes au mérite : toujours à la recherche de la formule gagnante
Mais selon les retours du terrain, l’entretien annuel reste difficile à mener et de surcroît dans les premières années d’encadrement. Un constat qui remet aussi en cause sa périodicité dans certains ministères. “Il faut placer un curseur et établir des priorités quand un même manager doit réaliser plusieurs dizaines d’évaluations en plus de son travail quotidien”, appuie un responsable RH.
La question semble donc ouverte dans la communauté RH, notamment au niveau de la fonction publique d’État, de réaliser l’entretien professionnel tous les deux ans. Un rythme qui permettrait également de mieux approfondir l’échange, les objectifs pour les années à venir et surtout de travailler de manière plus efficace sur les points d’amélioration. Cette contrainte de temps a en effet tendance, dans bon nombre de ministères, à mettre sous le tapis ce qui ne va pas dans les pratiques professionnelles des agents.
“C’est d’ailleurs pour cette raison que Stanislas Guerini [ministre de la Fonction publique dans le gouvernement Attal, ndlr] souhaitait revoir la procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle”, poursuit un observateur du secteur.
Niveau de détails très inégal
Dans la pratique, reprendre les comptes-rendus des entretiens professionnels ne permet pas d’avoir une photographie fidèle de la réalité et ne peut donc pas constituer une base solide afin de motiver un licenciement pour insuffisance professionnelle.
“C’est vraiment le côté insatisfaisant de l’exercice, pointe un ancien cadre de la DGAFP. Je l’ai observé dans la plupart de mes postes, la hiérarchie de proximité manque de temps pour mener les entretiens et n’a pas envie d’avoir d’ennuis avec un agent dont le travail ne donne pas pleinement satisfaction.”
Un constat d’autant plus vrai que le cadre de proximité ne semble pas toujours bénéficier du soutien de l’administration. En d’autres termes, pour que le dispositif fonctionne réellement, il faudrait que les cadres soient appuyés par la DRH pour tirer les conséquences d’un entretien professionnel qui révèle l’incompatibilité de l’agent avec les fonctions qu’il occupe.
Le mérite des fonctionnaires, une reconnaissance a minima sur la fiche de paie
Le compte-rendu de l’entretien professionnel en lui-même comporte d’ailleurs un niveau de détails très inégal d’une administration à l’autre. Selon certains observateurs, le document en question peut parfois être tellement long et détaillé qu’il perd un peu de signifiant et peut se résumer à l’appréciation finale. Par ailleurs, le sujet de la rémunération n’est pas l’objet principal de l’entretien d’évaluation. “L’agent est simplement informé s’il conserve son niveau de primes”, rapporte une responsable RH.
Il existe pourtant une cohérence entre le contenu de cet entretien et le montant du complément indemnitaire annuel (CIA), qui récompense le mérite du fonctionnaire. “L’entretien professionnel permet un pilotage par objectifs. Il s’agit d’apprécier si et dans quelle mesure les objectifs fixés pour l’année écoulée ont été atteints et, le cas échéant, si et dans quelle mesure les écarts entre les objectifs fixés et les objectifs atteints sont imputables à l’agent”, rappelle Chantal Bublot, déléguée interrégionale au sein du ministère de la Justice.
Nouveaux objectifs de formation
Elle précise également que cette discussion et la vision convergente sur laquelle elle débouche idéalement entre l’agent et son n+1 explicitent et justifient les décisions qui seront prises quant au montant de la rémunération au mérite, mais permettent aussi une détermination concertée, pour l’année en cours, des nouveaux objectifs d’action de formation en fonction des besoins et attentes de l’agent.
Dans la perspective de la mise en place d’un nouveau système de rémunération au mérite, notamment comme outil d’avancement, cet entretien peut donc indéniablement jouer un rôle central, à condition d’en simplifier les contours et éventuellement d’en revoir la périodicité.
ACTEURS PUBLICS : article publie le mercredi 13 novembre 2024 & Marie Malaterre