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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

TRANSITION ECOLOGIQUE

21 Janvier 2025 , Rédigé par FO Services Publics 51

Le budget vert bientôt généralisé dans les collectivités

Comme l’État, les collectivités vont devoir classer leurs dépenses d’investissement en fonction de leur impact sur l’environnement. Transformer les pratiques nécessitera du volontarisme politique. Cet article fait partie de notre dossier consacré au budget vert, paru dans le n° 172-173 d’Acteurs publics.

Les collectivités territoriales n’ont pas attendu que le budget vert devienne obligatoire pour se mobiliser. Car la planification écologique ne pourra se faire sans les territoires, qui se sont déjà mis en ordre de marche. Avant même la publication de la première évaluation des dépenses de l’État à l’aune de leur impact sur l’environnement, en 2020, des réflexions avaient démarré pour adapter ce nouvel exercice aux spécificités territoriales.

En 2019, plusieurs collectivités pionnières sont allées frapper à la porte de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) car elles souhaitaient, elles aussi, obtenir des informations quant à l’impact environnemental de leur budget. Le think tank, jugeant que les travaux n’avançaient pas suffisamment du côté de l’administration, venait en effet de mettre au point sa propre méthodologie du “budget vert de l’État”. “Nous trouvions super que les collectivités s’y intéressent, mais nous ne pouvions pas réaliser le travail que nous avions réalisé sur l’État pour les 36 000 communes”, relate Marion Fetet, experte du financement de la transition climatique des collectivités à l’I4CE. L’institut s’est alors lancé, avec les collectivités volontaires, dans l’élaboration d’une méthodologie adaptée aux spécificités locales. Les travaux ont d’abord été réalisés avec le bloc ­communal, avant d’attaquer le bloc régional en 2021.  

À chacune sa méthodologie

Selon une étude publiée l’an dernier par l’I4CE, plus d’une centaine de collectivités auraient mis en place un budget vert ou projetteraient de le faire. Qu’il s’agisse des régions, des départements, des intercommunalités ou des communes, on retrouve toutes les strates de du spectre territorial. Certaines ont repris la méthode de l’I4CE, tandis que d’autres ont décidé de développer leur propre dispositif. La communauté d’agglomération du bassin de Bourg-en-Bresse, Grand Bourg Agglomération, par exemple, s’est inspirée de la première, avant d’élargir son ­analyse à un panel de critères plus large. “Nous essayons en ce moment d’intégrer le volet biodiversité”, illustre Bertrand Devillard, directeur “Préservation et gestion des ressources” de cette agglomération.

Tout comme les éléments analysés, la finesse de l’évaluation est variable selon les collectivités. La région Grand Est, par exemple, regarde non seulement les dispositifs, mais aussi leurs bénéficiaires. Une manière de faire évoluer les pratiques, au-delà d’établir une classification binaire. “Par exemple, sur le budget « Jeunesse et sport », on n’a pas supprimé les participations événementielles, qui sont pourtant un secteur émetteur, illustre François Werner, vice-président chargé de la transition écologique de la région Grand Est. En revanche, on s’en sert pour inciter les organisateurs à progresser.” Le budget n’a pas baissé, mais est désormais orienté vers des politiques événementielles considérées comme vertueuses.

La région Grand Est a cherché à élaborer une méthode exigeante afin d’en faire un élément d’arbitrage crédible. “C’est un gros travail, mais il a l’avantage d’être inattaquable, il est d’ailleurs inattaqué. On a beaucoup de contradicteurs au conseil régional, mais pas sur ce sujet”, assure François Werner. Atteindre un tel degré de finesse n’est pas le plus important, selon Niels Mariat, directeur des finances et du budget à Grand Bourg Agglomération. “La méthode est toujours perfectible et c’est aussi l’intérêt de la nomenclature, relève-t-il. Comme on fait du multicritère, il y a nécessairement, parfois, des antagonismes.”

Par exemple, si l’on crée une nouvelle piste cyclable, on peut à la fois considérer que l’on décarbone les modes de déplacement et que l’on artificialise des sols. “Il ne faut pas se leurrer et se dire que l’on quantifie tout de manière exacte, nous n’avons pas la vocation de l’exhaustivité”, poursuit-il.

Comme pour nombre de collectivités pionnières, bien que Grand Bourg Agglomération ait réalisé une ­méthodologie fine, Niels Mariat assure que l’intérêt premier du budget vert reste d’encourager agents et élus à interroger les conséquences environnementales de leurs dépenses.

Alors qu’il était jusqu’ici seulement mobilisé de manière volontaire, le budget vert sera bientôt obligatoire pour les communes de plus de 3 500 habitants. Cette généralisation a un intérêt de taille : mesurer l’investissement des collectivités pour la transition écologique. Aujourd’hui, de tels chiffres n’existent pas de manière officielle. Un décret publié par le gouvernement et paru cet été contraint les collectivités à dresser un bilan chaque année, afin de parvenir à une vision agrégée au niveau national. “On pourra enfin savoir si les collectivités augmentent réellement leurs dépenses en faveur du climat”, apprécie Marion Fetet. Et ainsi, mieux adapter les mesures de territorialisation de la planification écologique.

L’obligation portera sur les dépenses d’investissement exécutées, et non sur les dépenses de fonctionnement ou les projets de budget. “Du point de vue de la planification écologique, il est utile que ce travail soit fait sur les comptes administratifs, car on a besoin de savoir ce qui a été dépensé. Mais du point de vue des arbitrages budgétaires, ce n’est pas à ce moment-là que sont prises les décisions”, regrette Marion Fetet.

Obligation à double tranchant

L’objectif sous-jacent du budget vert reste en effet de transformer les pratiques pour que les dépenses publiques soient alignées sur les objectifs environnementaux. Mais rendre cet exercice obligatoire permettra-t-il d’inciter les collectivités à le prendre en compte lors des arbitrages budgétaires ? “On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Si une collectivité n’a pas envie d’utiliser ce critère pour choisir ses dépenses, elle ne le fera pas”, alerte Marion Fetet.

“On est passé d’une logique de collectivités volontaires, qui avaient dégagé beaucoup de moyens d’ingénierie sur l’analyse environnementale, à une obligation, souligne Renaud Schroer, directeur adjoint de la santé à la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et coauteur d’une étude sur le budget vert. Les collectivités se sont trouvées un peu prises de court sur la manière de l’appliquer.” 

Estelle Yung qui, en plus d’être directrice générale adjointe au conseil départemental de Meurthe-et-Moselle, anime des formations sur le budget vert, observe les conséquences directes de cette annonce. “Le CNFPT m’a contactée il y a plusieurs mois car il cherche des formateurs à tout-va pour répondre aux besoins des services de former leurs collaborateurs”, témoigne la formatrice. Auparavant, elle accueillait surtout des profils opérationnels issus de services “Environnement”, qui venaient pour mettre en place une démarche globale dans leur collectivité. Aujourd’hui, ils appartiennent à 90 % aux services financiers.

Le risque, selon Estelle Yung, serait que la prochaine obligation dénature la démarche du budget vert. “Je me suis retrouvée face à des collègues qui cherchaient un service clés en main. Ce n’est pas péjoratif, ils sont dans une démarche utilitariste, pour répondre à l’injonction réglementaire”, témoigne la formatrice. Lorsqu’elle leur a demandé, en fin de formation, comment ils envisageaient la suite, la plupart ont admis n’avoir pas l’objectif de développer une démarche ambitieuse. Soit parce qu’ils n’ont pas le positionnement hiérarchique pour la porter, soit parce qu’ils se heurtent à un problème de compétences. “Il est difficile de se lancer, abonde Lou Lamure-Guigard, responsable des relations partenaires à l’Agence France locale (AFL). Il faut le soutien de tous les services, une vision transversale, des moyens financiers et numériques ainsi qu’un suivi politique fort qui dure dans le temps.”

Pour autant, l’imminence de l’obligation aurait eu également pour effet de relancer l’engouement autour du budget vert. Grand Bourg Agglomération, l’une des pionnières du budget vert, a formé entre 30 et 40 collectivités depuis trois ans. “Il y a eu un certain engouement lorsque les collectivités pionnières ont démontré leurs premiers résultats, puis ça s’était essoufflé. L’intérêt est remonté depuis la parution du décret cet été, témoigne Antonin Rat, chef de projet « Transition écologique » à la ville de Bourg-en-Bresse. Un certain nombre de collectivités nous ont confié vouloir profiter de cette occasion pour engager une vraie démarche.”

Besoin d’ingénierie

Mais pour qu’il atteigne son plein potentiel et que la contrainte se change en opportunité, le budget vert doit faire l’objet de pédagogie. À ce jour, toutes les collectivités ne seraient pas prêtes à mettre en place un tel exercice. “Parfois, on observe que la contrainte permet d’engager un mouvement, mais d’un autre côté, je pense que cela va être compliqué pour certaines, craint Lou Lamure-Guigard. On a échangé depuis l’été, et pour beaucoup, cela reste quelque chose de flou.” Selon la responsable de l’AFL, il est indispensable de mettre en place une démarche de formation, aussi bien pour les agents territoriaux que pour les élus.

“Nous avons besoin d’expertise dans un contexte où les services « Environnement » des collectivités sont encore balbutiants, abonde Renaud Schroer. Les collectivités mastodontes et volontaristes ont un centre interne de production d’expertise, comme la métropole de Lyon. Mais ce sont des exceptions, y compris parmi les grandes collectivités.” Pour résoudre ce problème d’ingénierie, les services de l’État travaillent actuellement à l’élaboration d’outils d’appropriation, en parallèle de la construction de la méthodologie. Les travaux, qui devraient être rendus prochainement, seront scrutés de près.

Volontarisme politique

Pour que cette nouvelle annexe ne devienne pas un énième document administratif qui dormirait dans les tiroirs, la formation s’avère nécessaire mais insuffisante : comme Estelle Yung, Lou Lamure-Guigard insiste sur la nécessité de mobiliser tous les services, agents comme élus. “Le risque, avec la nouvelle obligation, serait d’en faire un document qui ne soit pas mobilisé, alerte la représentante de l’AFL. Si c’est juste une initiative isolée, le budget vert ne se traduira pas en politique écologique, ce qui n’a pas d’intérêt.” Tous les acteurs sont unanimes : le volontarisme politique et une mobilisation de la hiérarchie autour du budget vert sont indissociables d’un changement des pratiques.

Une manière intéressante de sensibiliser l’ensemble des directions a été mise en œuvre à Bourg-en-Bresse. La ville comme l’agglomération proposent des “tours de table environnementaux”. Les experts du budget vert invitent les services en amont de la préparation budgétaire à reprendre avec eux l’ensemble des crédits qu’ils ont inscrit. 

“Ces tours de table sont là pour aider les collègues à aller plus loin et répondre à leurs questions, explique Bertrand Devillard. Même s’ils sont fondés sur le volontariat, 85 % des politiques publiques étaient représentées l’an dernier.”

Que les collectivités se rassurent, le bouleversement des pratiques est rarement immédiat. “Pour être tout à fait honnête, au début, le budget vert a été vu comme une contrainte et nous n’avons pas eu la mobilisation escomptée, relate François Werner. On est passés au-delà aujourd’hui, car l’ensemble de nos politiques ont été revisitées.” Pas de quoi s’inquiéter, de fait, si la mayonnaise ne prend pas dès le premier compte administratif analysé. Il faudra attendre quelques années avant de dresser un bilan de la nouvelle réglementation. 

ACTEURS PUBLICS : article publie le vendredi 10 janvier 2025 & Philippine Ramognino

 

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