FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE
TEMPS DE TRAVAIL
Au gré des différents « cycles de travail », les agents n’effectuent pas tous les 1 607 heures par an légales correspondant aux 35 heures effectives depuis 2002 dans la FPT.
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Temps de travail : les fonctionnaires territoriaux travaillent-ils assez ?
En matière de temps de travail, la générosité des employeurs territoriaux défie la rationalité. En dépit du rapport sur les finances publiques locales de 2013, qui souligne d’importantes marges de progrès, remarque réitérée par la Cour des comptes dans son rapport public annuel 2014, les rapports d’observations des chambres régionales des comptes (CRC) continuent, en 2015 et en 2016, à mettre en évidence des horaires inférieurs de 50 à 100 heures à la durée légale de 1 607 heures par an.
Par exemple, la CRC Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine précisait, en février, que les 1 362 agents de Charleville-Mézières (49 000 hab., Ardennes) n’effectuent que 1 547 heures par an. Huit jours de congés supplémentaires ou exceptionnels leur sont pourtant accordés en plus des 25 jours réglementaires dus par l’employeur pour 35 heures de travail par semaine (décret du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels).
Coût des heures non effectuées : 1,5 million d’euros, soit 48 équivalents – temps plein (ETP), selon la CRC.
Régimes dérogatoires maintenus
Sans justification autre qu’une délibération de 2001 entérinant le passage aux 35 heures, la mairie de Charleville-Mézières assure que ce régime plus favorable a été organisé dans les années 80, avant les 35 heures. Car les régimes dérogatoires antérieurs au décret n° 2000-815 du 25 août 2000 relatif à l’aménagement et à la réduction du temps de travail (ARTT) dans la fonction publique de l’Etat, applicable à la FTP, peuvent être conservés.
En outre, des dérogations existent pour des sujétions particulières (nuit, dimanche, horaires décalés, travaux pénibles ou dangereux). Mais, là encore, les services de Charleville-Mézières ne trouvent pas trace de délibération ou règlement attribuant des jours à certains régimes de travail.
Interprétation de la loi sur les 35 heures
Et ce n’est pas tout. Fête patronale, foire-exposition et journée du maire justifient d’autres congés exceptionnels auxquels s’ajoutent des jours pour compenser ceux fériés qui tombent un dimanche, un jour non ouvré ou un mercredi, et des demi-journées pour les veilles et lendemains de fête. Une gestion créative que les mutualisations n’ont pas rationalisée : alors que la communauté d’agglomération (CA) aujourd’hui dénommée Ardenne métropole (65 communes, 636 agents, 129 000 hab.) a calé ses horaires sur les 1 607 heures légales, les agents transférés de la ville-centre sont restés à 1 547 heures, durée finalement appliquée à tout le personnel de la CA avant d’être relevée à 1 561 heures en 2013.
Le manque à gagner pour la CA est évalué à 192 000 euros, soit 6,7 ETP.
Le cas de Charleville-Mézières traduit de fréquentes et anciennes libéralités à la discrétion des exécutifs locaux et de plus récentes libertés d’application à la fonction publique de la loi sur les 35 heures. En dépit des règles du secteur privé, les territoriaux bénéficient souvent de la réduction du temps de travail et de jours compensatoires, alors que la loi prévoit l’une ou l’autre formule.
Cette désinvolture coûterait, selon la Cour des comptes, 800 millions d’euros par an aux collectivités si la moitié d’entre elles n’effectuaient que 1 560 heures au lieu de 1 607. Et les petites communes ne sont pas en reste : à Fleury (3 800 hab., Aude), les 121 agents ont travaillé 1 505 heures en 2014 tout en disposant de 38 jours de congés et d’heures supplémentaires compensées à hauteur de huit jours par agent. Une perte estimée par la CRC Languedoc-Roussillon – Midi-Pyrénées à 6,6 ETP alors que les absences pour maladie, maternité et accidents s’élèvent par ailleurs à 39 jours par an…
Moins de 1 500 heures
Hors normes, ces pratiques ne sont pourtant pas si rares. Elles ont été relevées au moins en partie par les magistrats financiers à Chilly-Mazarin, Orly, Monteux, Saint-Lô, Aimargues, Bron ou Nice pour ne citer que quelques rapports d’observations récents.
Dans leurs réponses aux CRC, les maires de ces communes promettent de revoir ces régimes avantageux, mais pas tous.
Maire de Bron jusqu’en 2015, la sénatrice Annie Guillemot (PS) invoquait pour les maintenir la grande disponibilité des agents communaux les week-ends, jours fériés et hors des horaires habituels d’ouverture des services. Un argument discutable quand les dotations diminuent et la dette augmente.
A Goussainville (31 200 hab., Val-d’Oise), les 653 agents n’ont effectué, en 2013, que 1 498 heures, soit 109 heures de moins que le régime légal. Les autorisations spéciales d’absence pour événements familiaux s’élevaient à 7 jours au lieu de 5 habituellement pour mariage, 5 jours au lieu de 3 pour une naissance, 6 jours au lieu de 5 pour un enfant malade sans compter 3 mois de congés « libérables » avant la retraite. Une liste à laquelle s’ajoutent des congés d’ancienneté de un à 5 jours dès cinq ans de service et une semaine de plus après 25 ans.
Or les heures « sup » ont coûté de 658 000 à 833 000 euros par an dans cette ville, sans contrôle automatisé du « service fait » pourtant obligatoire en cas de paiement d’heures supplémentaires – une quinzaine d’agents effectuant plus que les 25 heures mensuelles autorisées… En 2015, le maire, davantage préoccupé par des emprunts toxiques depuis son élection en 2009, a promis aux magistrats financiers d’acheter des badgeuses pour, enfin, rationaliser le temps de travail des agents municipaux, après avis du comité technique.
« Harmoniser et réguler sans jeter le discrédit »
Président de l’ADRHGCT (1) et directeur général adjoint chargé des RH et du dialogue social de Clermont-Ferrand, Johan Theuret a été auditionné par la mission sur le temps de travail des fonctionnaires.
Que penser des chambres régionales des comptes qui convertissent l’écart entre temps de travail effectif et durée légale en équivalents – temps plein (ETP) ?
Ce n’est pas si simple. Le delta entre durées effective et légale, souvent de 20 heures par an, ne fait pas économiser mécaniquement des postes : 100 ETP ne sont pas 100 postes car le temps gagné peut se répartir sur 1 000 agents. Quel travail réel rapportent quelques minutes de plus par jour ?
Auditionné par la mission « Laurent », qu’avez-vous souligné ?
L’ADRHGCT a rappelé que nombre d’agents ne comptent pas leurs heures par sens du service public. Nous avons toutefois demandé l’harmonisation des réductions de temps de travail liées à des sujétions, aujourd’hui laissées à la discrétion des employeurs. Elles nécessitent un cadrage national, les autorisations spéciales d’absence aussi, pour mieux les réguler. Leur durée n’est pas toujours fixée faute de décrets et certaines sont des créations locales. Le volume des compensations devrait être prévu pour éviter des abus. Autre question épineuse, la surrémunération des temps partiels à 80 et 90 % ne nous paraît plus justifiée. Un poste à 80 % devrait être rémunéré 80 % et non 85,7 %.
Faut-il généraliser les badgeuses ?
La réponse technique ne peut être la seule, notamment sur les sites éclatés. Les heures supplémentaires traduisent aussi une hausse d’activité liée aux saisons ou événements. Elles sont parfois favorisées par les réductions d’effectifs. On pourrait les limiter aux 25 heures réglementaires, mais il ne faut pas les discréditer. Elles sont justifiées par l’efficacité du service public, les astreintes, les horaires décalés. On doit les contrôler, sans attendre un gain énorme au regard des enjeux. Il faut plutôt harmoniser, inciter à l’annualisation et développer les plages variables.
La gazette des communes-Article publié le 04/05/2016 • Mis à jour le 03/05/2016 • Par Martine Doriac