ETAT - FONCTION PUBLIQUE
Pourquoi le gouvernement peine à recruter un DRH pour la fonction publique
Le poste de directeur général de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) n'a toujours pas été pourvu, sept mois après le lancement du processus du recrutement. En pleine réforme du secteur, la question du profil reste centrale. Au-delà du cas de la DGAFP, la question de l’ouverture de ces postes à des non-fonctionnaires pose la question de l’attractivité notamment salariale.
Sept mois après avoir engagé le processus de recrutement d'un nouveau directeur général de l'administration et de la fonction publique (DGAFP), le pouvoir macronien semble dans l'impasse. Point de nomination à l'horizon. Comme l'avait révélé en mars Acteurs publics, le gouvernement d'Edouard Philippe a en effet décidé de remplacer Thierry Le Goff, en fonction depuis octobre 2015. Le timing tardif a surpris dans la mesure où le processus a été engagé juste après le lancement en février de la grande réforme de la fonction publique. Le gouvernement veut recourir davantage au contrat, réviser les modes de rémunération davantage axés sur les mérites collectifs ou individuels, et rationaliser les processus de mobilités (mutations ou promotions), quitte à désinvestir les syndicats d'un rôle d'influence que leurs homologues du privé n'ont pas.
Une réforme dont le patron de la DGAFP est en coulisse un rouage essentiel mais que le processus de remplacement a contribué à fragiliser, sinon à démonétiser. Thierry Le Goff tient pourtant la barre du navire dans cette période d'incertitude qui pourrait durer.
Au cours du mois de mars, des auditions de candidats ont eu lieu, comme le prévoit la procédure mise en place en 2016 par le gouvernement Valls. Un décret prévoit en effet que les candidats à des postes de directeurs d’administration centrale soient auditionnés par un comité composé de hauts fonctionnaires et le plus souvent présidé par le secrétaire général du gouvernement (SGG), le conseiller d’État, Marc Guillaume. L’autorité politique n’est évidemment pas liée juridiquement par l’avis. Plusieurs candidats ont été auditionnés : une DRH 100 % public ; un haut fonctionnaire spécialiste des ressources humaines actuellement dans le privé et pourvu d’une forte expérience dans le public ; un DRH d’une société de près de 10 000 salariés au parcours 100 % privé et ayant officié à l’international.
S'ouvrir au privé ou pas ?
"L'idée de départ, c'était quand même de prendre un profil externe pour pousser vers une DGAFP plus DRH groupe, moins statutaire, plus tournée vers l'innovation, mais il y a des rigidités internes qu'il faut connaitre", note un très haut fonctionnaire à la manœuvre.
Entré dans le processus car il incarnait dans son entreprise une DRH groupe, le candidat 100 % privé « a fait une bonne audition », poursuit la même source, avant d'ajouter : « certains à Matignon ont estimé que le pari était trop risqué, compte tenu du fonctionnement très particulier de l'Etat. Ils n'avaient pas tort mais, en même temps, c'est ce qu'on cherchait !"
Les deux autres candidats fonctionnaires ont, eux, été jugés pas assez en rupture par rapport avec la DGAFP des années passées et ont semblé en retrait eu égard certaines priorités gouvernementales, en particulier le recours au contrat.
Au début de l'été, et alors qu'aucun consensus ne se dégageait entre Matignon et le cabinet du ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin (lesquels se partagent la tutelle de la DGAFP), un deuxième cycle d'audition a été organisé avec cette fois-ci un seul candidat : un profil mixte public-privé. Un processus également infructueux… Le poste serait-il peu attractif ? "Quand c'est infructueux au bout de deux tours, c'est qu'il n'y a pas beaucoup de monde à vouloir y aller !", tranche un haut fonctionnaire. Le cabinet Darmanin a préféré ne pas donner suite aux sollicitations d'Acteurs publics. Le jeune ministre est réputé favorable à un recrutement d'un DRH du privé pour favoriser des changements culturels à la DGAFP créée lors de la renaissance du statut en 1945 et qui n'a jamais été confié depuis lors à un contractuel ou même à un fonctionnaire ayant une expérience du privé.
Attractivité des postes
Depuis le départ, cette ombre du rapport au privé semble planer au-dessus du processus alors qu’Emmanuel Macron n'a, pour l'instant, pas du tout tenu l’un de ses engagements de campagne : recruter un quart des directeurs d’administration centrale en dehors de la fonction publique. "Le constat que nous portons collectivement, c'est que nous avons une difficulté à recruter et à effectuer nos nominations dans ce cadre-là, du fait d'une moindre attractivité de nos postes, raconte un hiérarque de l'administration. En creux, apparaissent les hésitations et les contradictions du pouvoir macronien. Indépendamment des réticences liées à l'acculturation de directeurs issus du privé, la rémunération pèse sur l'image de l'administration et pose question, vu l'état du marché. Un directeur d’administration centrale (DAC) gagne en général entre 10 et 12 000 euros bruts par mois, là ou un équivalent dans le privé tournera plutôt entre 20 et 30 000. Juridiquement, le recrutement sous contrat permet de s'aligner, ce qui n'est pas le cas pour un DAC fonctionnaire tenu par des barèmes propres au système. "Le débat existe : c'est quoi la rémunération d'un DAC ? poursuit la même source. Peut-on prendre le risque qu'un directeur sous contrat décroche par rapport à un autre directeur titulaire ? Si on apprend qu'on paie un DAC 200 000 euros en net en annuel, cela fera désordre".
La question peut aussi se poser dans l'autre sens : quel est le juste prix du statut et de ses protections ? Le débat est d'autant plus biaisé que la hiérarchie salariale au sommet de l’État parait très déstructurée. Un DAC fonctionnaire gagne en effet déjà plus que son propre patron. Un ministre de plein exercice sur les épaules duquel pèse une plus grande pression encore touche 9 440 euros bruts, suite à une baisse de 30 % décidée en 2012 en raison d'un impératif d'affichage politique. Cet été encore, lors de l'ouverture aux contractuels des emplois de chefs de service et de sous-directeurs au sein de l'administration de l'État, le gouvernement Philippe a donné le sentiment de vouloir tenir la ligne générale en décidant qu'ils auraient un niveau de rémunération identique à celui des fonctionnaires, alors que le différentiel de rémunération public-privé commence en général à s’accentuer à partir de ce niveau de responsabilité.
Publicité des postes
En coulisse, certains estiment par ailleurs que si l'objectif du gouvernement est vraiment de recruter des DAC dans le privé - notamment à la DGAFP -, alors il convient de réaliser une réelle publicité de ces postes en lieu et place du bouche-à-oreille du petit milieu administratif. Traditionnellement et contrairement à l'un des engagements de rupture du programme électoral d'En marche, les recrutements de DAC ne font l'objet d'aucune transparence. Ce mode de fonctionnement peut nuire à la conduite du processus même si l'on peut juridiquement s'interroger sur la constitutionnalité d'une telle publicité, en l'état des choses.
Enfin, en coulisse, la stratégie de recrutement est également questionnée. "Rétrospectivement, je pense qu'on ne s'est pas assez dit de manière précise ce que l'on voulait en amont, juge un haut fonctionnaire. La fiche de poste est très clairement écrite (renforcer la DRH groupe, s'enrichir des meilleurs pratiques privé-public, créer de l'innovation, être plus pragmatique et moins juridique), mais on n'a pas fait l'exercice de profiler la personne qu'on voulait avoir. Pour la DGAFP, on aurait dû prendre un cabinet de chasseurs de têtes, via un marché public. D'autant que dans les comités d'auditions, on est entre fonctionnaires, et parfois un peu juges et parties."
Dans ce contexte d'interrogations autour de la désignation de son futur directeur, la direction générale de l'administration et de la fonction publique vit dans l’incertitude. En attendant, Thierry Le Goff semble bien parti pour célébrer, dans un mois, ses trois ans à la tête de la DGAFP…
La numéro 3 de la DGAFP pas remplacée ?
Au printemps, cette direction interministérielle a vu l'un de ses piliers historiques écarté, selon une méthode qui a marqué les esprits. La numéro 3, Véronique Gronner, a été débarquée le 8 mai de son poste de cheffe du service des parcours de carrière, des politiques salariales et sociales, et nommée au contrôle général économique et financier, un corps d'inspection de Bercy. Dans la haute administration de l’État, les emplois de chefs de service sont attribués pour trois ans, sauf s'il s'agit d'une primo-nomination à ce niveau hiérarchique. La nomination ne vaut alors que pour un an, renouvelable deux ans. Le concept de primo-nomination avait été introduit en 2015 surtout pour permettre de corriger des erreurs de « casting » au plan managérial, ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
L'exécutif a simplement profité du fait que l'intéressée était arrivée au terme de sa première année pour écarter celle qui, selon plusieurs sources, symbolisait trop une DGAFP tournée vers le statut et dont le rôle institutionnel en interne a longtemps consisté à trier parmi les revendications des ministères.
Ironie de l'histoire, c'est Véronique Gronner - un temps chargée de l'ancienne sous-direction du statut et de l'encadrement supérieur à la DGAFP - qui avait supervisé en 2015, la réforme de l'accès aux emplois fonctionnels et l'introduction de la primo-nomination. "Le cabinet Darmanin a laissé courageusement Le Goff lui annoncer la nouvelle. Super management !" commente une source en coulisse.
Depuis mai, le poste n'a pas été pourvu et l'avis de vacance pas publié. Certains s'interrogent : attend-on l'arrivée du nouveau directeur général pour lancer le recrutement ou hésite-t-on sur le maintien du poste créé à l'occasion d'une réorganisation en février 2017 de la DGAFP qui a pu créer des doutes en interne autour du "qui fait quoi" ?
ACTEURS PUBLICS : ARTICLE DIFFUSE LE LUNDI 3 SEPTEMBRE 2018 & PIERRE LABERRONDO