ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES
ÉLECTIONS PROFESSIONNELLES
Faut-il s’attendre à des surprises ?
Les résultats des élections professionnelles qui se tiennent ce jeudi 6 décembre diront beaucoup de l’état du dialogue social dans la fonction publique et de la légitimité des organisations syndicales à porter les revendications des agents, notamment dans le cadre de la réforme à venir de la fonction publique.
Jour J. Ce jeudi 6 décembre, plus de 5 millions d’agents publics étaient appelés aux urnes pour désigner leurs représentants au sein des instances de dialogue social. Un scrutin à forts enjeux (et à hauts risques) tant pour le gouvernement que pour les syndicats du secteur public. Selon de premières remontées syndicales, le taux de participation serait notamment en hausse au ministère de l’Intérieur. À 12 heures, le taux de participation au comité technique ministériel était ainsi de 78 % (contre 68,2 % au final en 2014). Aux Finances, le taux de participation au comité technique ministériel de Bercy s’élevait (dans l'après-midi) aux alentours de 73,49% (contre 82,1 % en 2014 à l’issue du scrutin). À l’Éducation nationale, à 16H30, le taux de participation au comité technique ministériel atteignait quant à lui 42,37% (contre 41,7% au final en 2014).
Des tendances plus précises devraient être communiqués dans la soirée par le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt. Seront notamment connus le taux de participation des agents et les premières tendances en matière de représentativité des organisations syndicales dans la fonction publique d’État.
Dans ce versant, la remontée des résultats s’annonce en effet plus rapide en raison du recours massif des administrations au vote électronique. Ouvert depuis le jeudi 29 novembre, ce mode de scrutin concerne cette année 72 % des électeurs de la fonction publique d’État et notamment l’ensemble des agents des ministères économiques et financiers, des ministères de l’Intérieur et de l’Éducation nationale, mais aussi, de manière partielle, ceux des ministères des Solidarités et de la Santé et des Armées. Quant aux versants territorial et hospitalier, la remontée s’annonce beaucoup plus longue compte tenu de la multiplicité des employeurs.
Incertitude sur la participation
Premier élément qui sera donc scruté à la loupe : le taux de participation Celui-ci dira beaucoup de l’état du dialogue social et de la légitimité des organisations syndicales à porter les revendications des agents publics, notamment dans le cadre de la réforme à venir de la fonction publique. Les représentants du personnel espèrent bien sûr que cette participation globale soit supérieure à celle observée lors du précédent scrutin, en 2014, à savoir 52,8 %.
Reste que, pour mobiliser, les protagonistes ont dû jongler avec plusieurs problématiques de fond qui sont autant de risques pour le taux de participation. Le sentiment d’une perte de confiance des agents envers leurs représentants tout d’abord (actuellement seuls 30 % des agents publics environ feraient confiance aux syndicats, selon le Cevipof). Signe de cette perte de vitesse : la lente érosion du taux de syndicalisation dans le secteur public (19,1 % en 2016 contre 19,8 % en 2013) et l’essoufflement de la mobilisation lors des dernières journées de mobilisation. Au-delà, l’infléchissement en question s’explique surtout, selon les leaders syndicaux, par la difficulté à tenir le bras de fer avec les exécutifs successifs et donc à infléchir les politiques gouvernementales à l’égard des agents publics.
Preuve en est la succession de mesures annoncées depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron : le gel de la valeur du point d’indice, le rétablissement du jour de carence dans le secteur public, sans oublier la suppression envisagée de 50 000 postes à l’État d’ici 2022 ou encore la concertation lancée au mois de février sur la réforme du cadre statutaire des agents publics et qui doit aboutir à la présentation d’un projet de loi début 2019. Une concertation où les positions des représentants du personnel n’ont que peu pesé (et c’est le moins que l’on puisse dire), tant le gouvernement semble déterminé à faire aboutir les chantiers engagés dans ce cadre (simplification des instances de dialogue social, recours accru aux contractuels, développement de la rémunération au mérite, développement des dispositifs d’accompagnement des agents dans leurs transitions professionnelles, avec les fameux plans de départs volontaires).
L’impact du mouvement des “gilets jaunes”, une inconnue
Un autre facteur pourrait aussi peser dans la balance, à savoir le mouvement de contestation sociale actuel, dit des gilets jaunes. Difficile néanmoins de dire si ce mouvement impactera véritablement à la hausse ou à la baisse le taux de participation dans le secteur public. Les représentants du personnel, en tout cas, ne s’aventurent pas à faire des pronostics sur le sujet. Plusieurs hypothèses sont néanmoins émises par les organisations syndicales du secteur public. Soit les agents publics, solidaires du mouvement des “gilets jaunes”, décident de profiter des élections professionnelles pour exprimer leur mécontentement et donc de voter en masse. Soit ils décident de boycotter leurs instances représentatives et les organisations syndicales, et donc de s’abstenir.
Comme l’expliquait dans nos colonnes Dominique Andolfatto, professeur de science politique à l’université de Bourgogne, “dans ce dernier cas, on rejoint l’esprit du mouvement des « gilets jaunes » : un mouvement dispersé qui s’est développé en dehors de toute logique syndicale”. Et parfois même, donc, en opposition aux structures syndicales qui, selon certains agents publics, seraient de plus en plus incapables de peser réellement sur les politiques gouvernementales [cliquez ici pour consulter notre article].
Nouveau paysage syndical ?
Au-delà du seul taux de participation, c’est aussi la problématique de la représentativité de chaque organisation qui sera scrutée à la loupe à l’issue du scrutin. Pour les plus “petits” syndicats (en termes de représentativité syndicale), il s’agira avant tout de ne pas disparaître du paysage syndical et de maintenir leur position. L’objectif des organisations en milieu de tableau sera quant à lui de renforcer leur position, quitte à venir concurrencer les centrales en tête du classement. Pour la “pole position”, enfin, les enjeux seront de taille, étant donné qu’ils auront un impact sur le paysage syndical à l’échelle nationale.
À l’heure actuelle, entre les deux grandes centrales que sont la CGT et la CFDT, l’écart est seulement de 20 000 voix en faveur de la première. Le scrutin du 6 décembre sera donc juge de paix.
Pour rappel, sur l’ensemble de la fonction publique, la CGT était arrivée en tête en 2014 avec 23,1 % des voix (- 2,4 points par rapport aux élections précédentes), suivie de la CFDT à 19,3 % (+ 0,3 point), de Force ouvrière à 18,6 % (+ 0,5 %), de l’Unsa à 10,4 % (+ 1,1 point), de la FSU à 7,9 % (- 0,3 point), de Solidaires à 6,8 % (+ 0,3 point), de la CFTC à 3,3 % (- 0,7 point), de la CFE-CGC à 2,9 % (stable) et de la Fédération automne de la fonction publique (FA-FP) à 2,6 % (+ 0,1 point).
Reste donc à savoir si les lignes bougeront par rapport à 2014. Dans tous les cas, le paysage syndical qui découlera du scrutin du 6 décembre sera regardé de près, d’autant plus dans le contexte actuel de transformation de l’action publique et de réforme de la fonction publique. Autant d’organisations syndicales avec lesquelles le gouvernement devra composer (et négocier) dans les prochaines années pour mener à bien ses projets pour le secteur public. “Selon que le syndicat majoritaire sera contestataire ou réformiste, la réforme et sa méthode ne seront pas les mêmes”, expliquait récemment l’universitaire Dominique Andolfatto. Encore faut-il que l’exécutif prenne en compte les positions syndicales, ce qui est loin d’être le cas depuis le début de la concertation sur la réforme de la fonction publique.
Les rendez-vous des jours à venir
Comme l’explique le secrétariat d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, la remontée de l’ensemble des résultats devra être terminée le 11 décembre, date à laquelle sera communiquée de manière officielle la représentativité nationale des syndicats de la fonction publique. À compter de la proclamation des résultats, les représentants du personnel disposeront d’un délai de cinq jours pour contester la validité des opérations électorales. Dans un communiqué du 4 décembre, la CGT a déjà fait état de “graves dysfonctionnements dans les opérations”. Et de mettre en avant ceux qui sont intervenus notamment avec le vote électronique (à l’éducation nationale, par exemple, la plate-forme de vote était en panne le premier jour du scrutin, le 29 novembre), mais aussi avec le vote par correspondance. L’organisation pointe ainsi de “multiples erreurs dans le matériel de vote, dans l’adressage de celui-ci et, forme de cerise sur le gâteau, « l’oubli » pur et simple de certains bulletins de vote dans un nombre significatif d’endroits”. À partir des résultats définitifs des comités techniques, la répartition des sièges entre les organisations syndicales au sein de chaque conseil supérieur sera quant à elle déterminée le 20 décembre. La composition du Conseil commun de la fonction publique en découlera.
acteurs publics : article publie le jeudi 06 decembre 2018 & BASTIEN SCOR