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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

QUALITE DE VIE AU TRAVAIL

5 Décembre 2020 , Rédigé par FO Services Publics 51

La fonction publique tâtonne

encore sur le télétravail

Le confinement sanitaire du printemps a permis de tester le télétravail des agents de la fonction publique à grande échelle et a montré que toutes les administrations n’étaient pas prêtes. Dernier volet de notre dossier consacré à la qualité de vie au travail.

Dans le secteur de l’édition, on appellerait cela un succès de librairie. Le “Guide du management à distance en situation exceptionnelle”, rédigé par une quinzaine d’agents de la région Grand Est entre le 15 et le 16 mars derniers, a été l’un des best-sellers de ce début de confinement. Quelques jours après sa rédaction, il était en ligne sur des dizaines de sites, dont celui du ministère de la Fonction publique. “Créé pour un usage interne, le guide a été diffusé sur le réseau social d’une de nos collègues, il a ensuite été très relayé, sans doute parce que notre offre rencontrait un besoin”, racontent les deux initiateurs du guide, Clément Cambon, délégué à l’innovation et à la modernisation de l’action publique de la région Grand Est, et Guillaume Colinmaire, chef de mission à Manag’Est, l’école des managers de la région. Le succès de ce document d’une quinzaine de pages est surtout un indicateur du niveau d’impréparation des administrations à passer au télétravail massif.

Certes, le confinement a pris tout le monde de court, mais il faut dire aussi que le télétravail était jusqu’ici peu pratiqué dans la fonction publique : pour 2019, 3 % des agents en bénéficiaient au moins une fois par semaine – même proportion que dans le secteur privé : 6,4 % dans la fonction publique d’État, 1,2 % dans la territoriale et 0,1 % à l’hôpital, selon une enquête du ministère du Travail*. “Le télétravail régulier était plutôt mobilisé au cas par cas sur des enjeux plutôt sociaux (handicap, retour de longue maladie, parentalité) qu’en tant que modalité de souplesse organisationnelle”, analyse Karine Babule, chargée de mission sur le télétravail à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). À la préfecture des Hauts-de-Seine (500 agents dans le centre administratif départemental de Nanterre), 4 agents télétravaillaient avant la crise sanitaire.

La préfecture dispose d’une centaine de postes pour travailler à distance, “plutôt en situation de crise qu’en temps normal”, explique Vincent Berton, son secrétaire général.

Disparités en termes d’équipement

Au moment du confinement, la région Grand Est venait de débuter une expérimentation du télétravail auprès de 80 agents. Cette collectivité emploie 7 500 agents dans 15 sites administratifs et 250 lycées. Comme le reconnaît Clément Cambon, “nous avions peu d’expérience du télétravail mais nous pratiquions le travail à distance”. De son côté, la ville de Montreuil (2 200 agents permanents dont 70 % d’agents de catégorie C) s’apprêtait à démarrer une expérimentation au moment du confinement. “Le déploiement du télétravail s’est fait avec les moyens du bord, les agents ont eu la possibilité d’embarquer chez eux leur ordinateur fixe de bureau”, expliquait ainsi sa directrice des ressources humaines, Louise Harguinteguy, lors d’un webinaire organisé en avril par l’Anact.

Toutes les administrations ne sont pas également dotées en ordinateurs, logiciels métiers (paie, comptabilité…) et connexion sécurisée. La crise du Covid-19 a souligné ces disparités. “Le manque d’équipement n’a pas permis de mettre tout le monde en télétravail, constate Karine Babule. Certaines administrations ont dû prioriser.” La région Grand Est a réussi rapidement à faire télétravailler 2 000 agents, grâce à son stock d’ordinateurs portables, mais elle a aussi dû puiser dans celui des lycées et compter sur les ordinateurs personnels des agents. La situation est différente à la région Île-de-France, dont 70 % des 1 700 agents du siège pratiquent le télétravail un jour ou deux par semaine depuis 2018. Et “jusqu’à 97 % au moment des grèves des transports de décembre 2019”, précise Fabienne Chol, directrice générale adjointe en charge des ressources humaines. Interrogée deux jours avant le confinement, elle estime que la région “est prête à passer en télétravail massif”.

Temps de transport réinvesti

Le matériel ne fait pas tout. La mise en œuvre réussie du télétravail suppose aussi de respecter les 3 fondamentaux du management à distance : la confiance de l’encadrement envers les agents, l’autonomie de ces derniers, le management par objectifs. “Des cadres mais pas de règles” : c’est ainsi que Fabienne Chol résume l’état d’esprit dans lequel la région Île-de-France pratique le télétravail. “Nous ne vérifions pas que les agents ouvrent leur ordinateur à 9 heures, résume-t-elle. Nous leur fixons des objectifs clairs et quantifiables et peu importe comment ils les atteignent.” En situation de confinement, “l’adaptation s’est faite rapidement là où il existait déjà une culture du travail par objectifs”, témoigne Guillaume Colinmaire.

En situation normale, le télétravail choisi, préparé, encadré est réputé facteur de productivité et réducteur d’absentéisme. Une étude célèbre publiée en 2015 conclut dans ce sens [lire le premier encadré ci-dessous]. Ses résultats ont irrigué la littérature managériale, mais ils ne sont pas transposables partout. “Il n’existe aucune étude probante”, selon Karine Babule. Si les administrations qui pratiquent le télétravail témoignent toutes d’une efficacité accrue, elles admettent aussi qu’il est impossible d’isoler ce facteur parmi tant d’autres (management, réorganisation…). Fabienne Chol constate ainsi que la grève de décembre 2019 “n’a pas ralenti la productivité” et que, durant cette période où de nombreux agents télétravaillaient, “tous les amendements budgétaires prévus ont été examinés”. Mais elle estime qu’il est impossible de conclure définitivement sur ce seul critère. À la métropole de Lyon, qui a généralisé le télétravail début 2020, près de la moitié du temps de trajet économisé par les agents a été réinvestie dans leur travail, selon une enquête auprès de ces derniers.

Le bénéfice avéré du télétravail se trouve en fait dans l’amélioration des conditions de travail des salariés. Toutes les études de satisfaction convergent : le télétravail, en supprimant le temps de trajet et en libérant l’organisation du travail, permet une meilleure conciliation entre la vie professionnelle et personnelle et réduit le stress. Les employeurs y trouvent également leur compte. Interrogées par Ipsos en 2018 pour le compte du groupe de protection sociale Malakoff Médéric, 46 % des entreprises estiment que le télétravail permet de fidéliser les salariés.

Mais les études convergent aussi pour dire que les bénéfices du télétravail diminuent lorsqu’il est pratiqué à temps plein, l’idéal se situant à deux ou trois jours par semaine. “La loi permet trois jours de télétravail, mais nous avons préféré le limiter à deux car la littérature pointe un risque d’isolement”, explique Fabienne Chol.

Risque d’isolement

Passé l’épisode du confinement, les administrations vont-elles pérenniser le télétravail ? Un décret assouplissant ses modalités est paru en plein confinement [lire le second encadré ci-dessous]. Du côté des agents, “les demandes de télétravail vont augmenter”, prédit Vincent Berton. Selon un sondage de l’Anact réalisé au mois d’avril auprès de 4 152 télétravailleurs, dont un peu moins de la moitié employés par une structure publique, 88 % se disent prêts à poursuivre après le confinement. Or “le télétravail en confinement n’est pas du télétravail normal”, analyse Louise Harguinteguy. Exercé cinq jours par semaine, il permet difficilement le maintien d’un collectif de travail et crée un risque d’isolement pour le salarié. Si le matériel et les locaux sont inadaptés et qu’en plus, il faut garder des enfants, la productivité baisse. Ainsi, 48 % des salariés ayant répondu à l’Anact disent ressentir une moindre efficacité au travail, particulièrement ceux qui ne pratiquaient pas le télétravail avant, et la moitié se déclarent plus fatigués qu’à l’accoutumée. Ce télétravail-là ne sera pas pérennisé.

Logiquement, les administrations sont partagées sur sa pratique à l’avenir. Vincent Berton n’y est “pas opposé par principe”, mais il estime que, compte tenu de “l’organisation très pyramidale, très présentielle [de la préfecture], il faut au préalable une vraie réflexion managériale”. Clément Cambon, tout en reconnaissant que le confinement a généré des situations de télétravail dégradées, estime que l’épisode “a fait gagner des années”. “Il faudra poursuivre ce système apprenant et responsabilisant”, déclare-t-il.

* “Quels sont les salariés concernés par le télétravail ?”, Dares, novembre 2019.

Les télétravailleurs sont 13 % plus performants, selon une étude
Une étude*, publiée en 2015 dans le Quarterly Journal of Economics, a été menée par Nicholas Bloom, professeur à Stanford. Celui-ci a comparé les performances et l’épanouissement de 2 groupes de salariés d’un centre d’appels chinois employant 500 personnes. Dans le premier groupe, les salariés ont travaillé depuis chez eux quatre jours par semaine pendant neuf mois ; les salariés de l’autre groupe travaillaient au bureau. Le chercheur a mesuré une performance des télétravailleurs supérieure de 13 % à celle des autres salariés. Cette meilleure performance tient pour 9 % à un temps de travail quotidien supérieur (moins de pauses et moins d’arrêts maladie) et pour 4 % à un plus grand nombre d’appels par minute (attribué à un environnement plus propice à la concentration). Avec moins de locaux à louer et moins de turn-over, l’entreprise réalise 2 000 dollars d’économies par employé et par an. C’est d’ailleurs dans cet objectif qu’elle envisageait le télétravail. À la fin de l’expérience, la moitié des télétravailleurs décident de revenir au bureau, notamment parce qu’ils craignent pour l’évolution de leur carrière.

 

Les modalités du télétravail assouplies
Attendu depuis la loi de transformation de la fonction publique, le décret no 2020-524 paru au Journal officiel du 6 mai 2020 assouplit les conditions de mise en œuvre du télétravail des agents des trois fonctions publiques. Lorsque son état de santé le justifie ou en cas de “situation exceptionnelle perturbant l’accès au service ou le travail sur site”, l’agent peut demander une autorisation temporaire de télétravail et dépasser la limite de trois jours par semaine maximum, qui reste la règle. Le télétravail n’est plus seulement régulier, puisqu’il peut être pratiqué au cours de “jours flottants”. L’agent peut utiliser son matériel personnel en cas de télétravail sur des jours flottants ou de télétravail temporaire. Le décret précise que “l’employeur n’est pas tenu de prendre en charge le coût de la location d’un espace destiné au télétravail”.

acteurs publics : article publie le vendredi 27 novembre 2020 & EMMANUEL FRANCK

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