Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

REMUNERATION

6 Décembre 2024 , Rédigé par FO Services Publics 51

La mise en place de la rémunération au mérite se heurte au contexte budgétaire

La situation économique dans laquelle se trouve la France rend peu ­crédible la mise en place d’un nouveau système de rémunération au mérite des fonctionnaires, notamment en raison du coût qu’il représente. Cet article fait partie de l’enquête consacrée au sujet parue dans le numéro 171 d’Acteurs publics.

L’instauration d’une rémunération au mérite dans l’administration française n’a rien d’une sinécure. En cause notamment, une multiplicité d’objectifs émanant de l’État ou des collectivités territoriales, souvent mal définis en amont et surtout non hiérarchisés. Les responsables RH évoluant dans le secteur public nous l’ont répété, les réformes successives en la matière ont péché, en premier lieu, par leur manque de souplesse et de transparence, rendant une mesure objective des performances et des mérites des agents quasiment impossible.

“Beaucoup de pays ont essayé de rémunérer les agents publics en fonction de leurs mérites et les études de l’OCDE ont montré que les résultats sont mitigés, avance François Ecalle, spécialiste des finances publiques et fondateur du site Internet Fipeco. Dans les entreprises, l’objectif ultime reste de maximiser le bénéfice en respectant les contraintes réglementaires et il est relativement simple de mesurer la contribution des salariés aux résultats.” Un exercice en revanche difficile, sinon impossible, concernant la fonction publique.

Primes au mérite : toujours à la recherche de la formule gagnante

Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il faille renoncer à chercher la bonne formule pour mettre en place un dispositif satisfaisant de rémunération au mérite des fonctionnaires. François Ecalle estime d’ailleurs que c’est non seulement possible, mais aussi souhaitable, à condition de tenir compte de certains préalables, notamment la clarté des objectifs donnés aux agents sur l’évaluation de leurs résultats. “En France, elle pourrait certainement être étendue, mais il n’est pas nécessaire de créer de nouveaux outils, ajoute l’économiste. Le complément indemnitaire du Rifseep [le CIA, ndlr] devrait avoir cette fonction, mais encore faudrait-il qu’il soit généralisé et qu’il représente une part plus importante de la rémunération.”

Recherche d’économies omniprésente

Or si la réforme de Stanislas Guerini est bel et bien enterrée, son successeur au ministère de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, n’a pas abandonné l’idée d’instaurer une rémunération au mérite, la question devant faire l’objet de discussions avec les syndicats. Se poserait alors la question du coût de ce type de réforme. Est-il sérieux d’évoquer le sujet dans une période aussi tendue sur le front des dépenses publiques et alors que la recherche d’économies est omniprésente dans l’ensemble des administrations ? “La mise en place d’un régime ambitieux, et donc coûteux, de rémunération au mérite est en effet difficilement compatible avec la nécessité de réduire le déficit public, sauf si elle était budgétairement gagée par des économies réalisées dans d’autres domaines”, soutient un analyste.

En d’autres termes, si l’on s’en tenait à la masse salariale publique, elle pourrait être compensée, par exemple, par une revalorisation limitée du point d’indice ou la suppression de dispositifs tels que le supplément familial de traitement. “Si le système de rémunération au mérite mis en place était efficient et permettait d’améliorer la productivité des services publics, cette compensation budgétaire pourrait toutefois être seulement partielle”, tranche une source. Un point de vue qui, socialement, passerait plutôt mal et notamment auprès des syndicats, déjà largement opposés au principe-même de rémunération au mérite et d’autant plus d’un point de vue individuel.

Pour mettre en place un système satisfaisant, il semble primordial d’éviter l’écueil des mesures catégorielles qui montraient une véritable iniquité entre les ministères sous la Présidence Sarkozy. “Les mesures catégorielles répondent souvent moins à des besoins objectifs de revalorisation des rémunérations qu’à l’écho médiatique des revendications des catégories concernées ou à l’impact de leurs mouvements de grève sur les usagers”, estime François Ecalle.

Le mérite des fonctionnaires, une reconnaissance a minima sur la fiche de paie

Mesures catégorielles qui ont d’ailleurs fortement augmenté à partir de 2017 et il semble encore aujourd’hui compliqué de déterminer quels corps de fonctionnaires devraient bénéficier d’une revalorisation en priorité. “Les comparaisons internationales qui sont parfois mises en avant pour justifier ces revalorisations sont souvent trop anciennes, note un hiérarque de l’administration. Il faudrait qu’un organisme indépendant, comme la Cour des comptes, objective les besoins, au-delà de la revalorisation du point, sur la base d’indicateurs tels que le taux de sélectivité des concours ou d’une analyse plus approfondie des difficultés de recrutement dans chaque corps.”

Il semble de toute façon que les iniquités des années Sarkozy existent toujours. “Il y a, pour l’encadrement supérieur, un alignement par le haut des primes et un coup de pouce sur les attachés d’administration pour restaurer une équité entre les ministères, mais c’est loin d’être exhaustif”, témoigne une ancienne secrétaire générale de ministère.

Le contexte actuel de recherche d’économies est donc mis en avant par de nombreux spécialistes comme principal obstacle à la mise en place d’un nouveau système de rémunération au mérite pour les fonctionnaires. “L’option est peu crédible et même risquée”, juge un haut fonctionnaire. En cause, selon lui, plusieurs éléments principalement liés à l’organisation de l’administration.

Coûts sociaux et politiques

En premier lieu, installer un tel système nécessiterait des investissements initiaux significatifs pour développer des outils d’évaluation, former les managers et mettre en place des processus administratifs nouveaux. Autant de coûts qui viendraient s’ajouter à des contraintes budgétaires déjà importantes, “ce qui serait difficilement justifiable en période de restrictions financières”, poursuit-il.

Autre élément à ne pas négliger, d’un point de vue budgétaire, évaluer la performance des fonctionnaires de manière équitable reste un exercice complexe et coûteux. “Créer, même progressivement, des indicateurs adaptés à la diversité des postes et gérer les évaluations de manière transparente pourrait entraîner des dépenses supplémentaires dans le temps long compte tenu de l’évolution des métiers et des synergies”, ajoute ce même expert.

Élise Penalva-Icher : “Le mérite ne correspond jamais à l’étalon de justice attendu”

Sans oublier que la mise en place d’un nouveau système impliquerait probablement la suppression de l’actuel complément indemnitaire annuel (CIA, un élément important de la rémunération des fonctionnaires), qui entraînerait sans aucun doute une forme importante de mécontentement ainsi que des coûts à la fois sociaux et politiques non négligeables. Un point de vue largement partagé par Alexandre Guigue, professeur de droit public à l’université Savoie-Mont Blanc, qui explique qu’un nouveau système nécessiterait de déboulonner le système actuel de traitement des fonctionnaires, pour le moduler, encore plus qu’aujourd’hui en fonction du mérite des agents. “Ce mouvement aurait également des conséquences sur les finances publiques, ce qui est le cas de toutes les réformes, développe l’universitaire. Si l’on passe à un nouveau système laissant une part importante de rémunération au mérite et que l’on ne baisse pas la rémunération, c’est-à-dire en laissant certains agents à leur niveau actuel quand d’autres seraient augmentés, le système coûtera nécessairement plus cher.”

Des gagnants et des perdants

En d’autres termes, dans l’optique d’une nouvelle réforme, les capacités de financement devront automatiquement être augmentées, car il est impensable de revoir à la baisse la rémunération des agents. Une perspective que l’universitaire juge peu envisageable car elle nécessiterait immanquablement une augmentation des dépenses publiques qui ne serait, dans le même temps, pas compatible avec les engagements européens de la France. “Un tel système de rémunération au mérite des fonctionnaires nécessitera de mobiliser de nouveaux crédits en faisant éventuellement des économies ailleurs”, appuie le spécialiste, tout en rappelant également l’apparition d’autres coûts, comme la mise en œuvre de la réforme en elle-même ou encore l’évaluation du mérite des agents. “Ou alors, ajoute Alexandre Guigue, il faudra compenser les augmentations en rémunérant moins bien les « moins méritants », ce qui sera difficile à faire accepter politiquement.”

En résumé, si la réforme devait être menée à coût constant, elle nécessiterait de réaliser des économies sur d’autres pôles de dépense avec, dans cette perspective, indéniablement des gagnants et des perdants. Une ligne également défendue dans la fonction publique territoriale depuis plusieurs années. “Pour mettre en place un système satisfaisant de rémunération au mérite, nous avons besoin de possibilités financières supplémentaires, estime Murielle Fabre, secrétaire générale de l’Association des maires de France (AMF). Aujourd’hui, les collectivités territoriales n’en ont pas les moyens et ce point constitue un frein important.” Un constat dressé dans un contexte où les collectivités sont souvent considérées comme dépensières alors qu’elles ont l’obligation de tenir des comptes équilibrés.

“Notre priorité numéro 1 reste de rendre la fonction publique territoriale à nouveau attractive, poursuit Murielle Fabre. Et cela ne passera pas par un nouveau dispositif de rémunération au mérite. La réforme doit se placer dans une réflexion plus large.” En jeu notamment, la mise en place de réformes statutaires d’envergure afin de rendre la rémunération plus adaptée au contexte dans lequel la fonction publique va évoluer dans les années à venir.

ACTEURS PUBLICS : article publie le jeudi 14 novembre 2024 & Marie Malaterre

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article