PRIMES
Primes au mérite : toujours à la recherche de la formule gagnante
Malgré les réformes successives de la fonction publique, on n’a jamais trouvé la botte secrète pour une mise en place satisfaisante de la rémunération au mérite des fonctionnaires. Cet article fait partie de l’enquête consacrée au sujet parue dans le numéro 171 d’Acteurs publics.
La question de la rémunération au mérite des fonctionnaires revient régulièrement dans le débat comme une petite musique qui pourrait effacer tous les maux du secteur et notamment régler la question de l’attractivité. “Il faut avouer que l’on est très loin des questions urgentes auxquelles la fonction publique est confrontée, déplore Marylise Lebranchu, ancienne ministre de la Fonction publique. Mais la question des primes au mérite peut facilement servir de paravent aux autres questions.”
Les premières primes, appelées alors “de rendement”, ont été instaurées d’abord au profit des personnels du ministère des Finances par un décret du 22 mai 1926, modifié en 1945. Un décret du 6 février 1950 “relatif à certaines indemnités dans les administrations centrales” vient ensuite étendre ces primes à d’autres ministères “en vue d’obtenir des économies de personnel par l’accroissement de l’efficacité du travail”.
Échec de la PFR
Maurice Thorez, alors vice-président du gouvernement et secrétaire général du Parti communiste français, évoquait aussi le sujet dans le cadre des discussions autour du projet de loi créant le statut général des fonctionnaires, en 1946. “Le statut prévoit aussi l’extension des primes de rendement individuelles et collectives qui permettront de proportionner la rémunération du fonctionnaire ou d’un groupe donné de fonctionnaires à l’intensité et à l’efficacité de l’effort”, avait-il déclaré à l’époque.
Un décret datant de février 1959 devait en théorie permettre de moduler les primes des fonctionnaires, mais dans les faits, il semble qu’il n’ait finalement jamais été réellement appliqué. Près de quatre-vingts ans après et à la suite de nombreuses réformes, la bonne formule n’a toujours pas été trouvée. En 2008, la prime de fonctions et de résultats (PFR), instaurée sous Nicolas Sarkozy et son ministre du Budget Éric Woerth, n’a pas remporté le succès escompté. S’il n’existe pas d’évaluation à proprement parler du dispositif, les spécialistes estiment que 70 000 agents ont été concernés par la PFR, principalement chez les cadres.
La PFR a aussi été vivement critiquée car la part liée aux résultats individuels des agents était très peu élevée alors que l’objectif était bel et bien de récompenser la performance. En cause notamment, un problème culturel. À l’époque, les agents et directeurs d’administration restaient peu ouverts au principe-même de mérite individuel. Par ailleurs et à l’image des réformes qui ont suivi, la PFR n’a pas bénéficié des crédits budgétaires pour attribuer des sommes significatives aux agents méritants.
Une contrainte trop forte pour les ministères
Le principe de la PFR avait pourtant pour ambition de simplifier le système et notamment les nombreux régimes indemnitaires qui coexistaient au sein de l’État, mais à l’époque, chaque ministère a continué à déterminer son propre niveau indemnitaire des agents en fonction de sa stratégie, mais aussi de ses moyens financiers.
Dans ce contexte, Éric Woerth a alors voulu montrer l’exemple à Bercy en essayant de mettre en place un système d’intéressement collectif, en fixant des objectifs chiffrés aux services. Encore une fois, c’est au niveau des moyens financiers que le bât a blessé, avec des primes dont le montant ne dépassait pas les 150 euros. Une somme jugée, à l’époque, largement insuffisante.
“La PFR a représenté une contrainte importante autant en matière de dialogue social que sur le plan technique pour un résultat dont les ministères mesuraient mal les côtés positifs”, confirme un responsable des ressources humaines dans un établissement public. Selon lui, pour les ministères n’appliquant pas précédemment de rémunération au mérite, arriver à l’imposer aux syndicats, par nature hostiles à tout type d’individualisation de la rémunération, n’a pas été sans poser quelques difficultés. “La cohabitation de systèmes de primes différents rendait les comparaisons entre corps au sein d’un même ministère ou encore entre corps de différents ministères plus complexes, masquant ainsi plus facilement les disparités, ce qui pouvait arranger certaines administrations”, poursuit le même responsable.
Selon différents retours de terrain, certains ministères ont joué le jeu, mais d’autres ont déployé la PFR avec des parts variables réduites au strict minimum afin de contourner la contrainte du système, tout en profitant des enveloppes catégorielles de l’époque.
Complexité du Rifseep
Autre écueil, la PFR a été déployée sur la base du volontariat, ce qui a indéniablement représenté un frein à son déploiement. Un aspect qui a été corrigé avec le Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (Rifseep), en rendant le dispositif obligatoire. “Certains ministères ont toutefois obtenu plus d’exceptions à la règle que d’autres”, glisse un autre responsable RH.
Au moment du lancement de la PFR, l’objectif affiché était aussi de mettre de l’ordre dans toutes les primes existantes. “Il était primordial de s’attaquer à la structure de la rémunération des fonctionnaires”, se souvient un ancien secrétaire général de ministère.
Au-delà du grade détenu et de l’ancienneté indiciaire, la PFR est venue ajouter un étage à la rémunération en fonction des résultats de l’agent, indépendamment du poste dans lequel il exerce ses fonctions. Une petite révolution à l’époque. “Si le mérite comprend indéniablement une connotation morale, la PFR avait pour ambition de récompenser les résultats au sens de l’investissement, traduit un observateur du secteur. Il s’agit de définir et récompenser ce que l’agent apporte de plus en occupant son poste, ce qui n’est pas une chose aisée.”
Réponse du berger à la bergère ou plutôt de la gauche à la droite, en 2015, la mise en place du Rifseep et du complément indemnitaire annuel (CIA) avait, quant à elle pour ambition initiale de tenir compte de l’engagement professionnel et de la manière de servir du fonctionnaire.
Mais une fois de plus, la mise en place du Rifseep a rencontré des difficultés. “Les ministères arrivaient juste à stabiliser la PFR que le Rifseep est arrivé, témoigne un spécialiste du sujet. Certains ont dépensé de l’argent dans le déploiement de moteurs de primes pour la gestion de la PFR dans leur SIRH, qu’il a fallu modifier avant même leur mise en service pour les adapter au Rifseep.” Il ne faut également pas perdre de vue que le déploiement du Rifseep s’est fait sans qu’il y ait la moindre enveloppe supplémentaire attribuée aux ministères, ce qui rend évidemment la tâche plus complexe.
Le Rifseep est aussi décrié pour sa complexité. “Se contenter de changer les parts respectives “fonctions” et “résultats” de la PFR aurait été beaucoup plus simple pour atteindre le but consistant à réduire la part variable des primes de fonctionnaires, mais la question était à l’évidence, politique”, poursuit un observateur du secteur.
Manque de souplesse
Indéniablement politique, la question est également philosophique. “La mise en place du Rifseep donne la possibilité de prendre en compte des objectifs individuels ou collectifs avec la part CIA, expose Murielle Fabre, secrétaire générale de l’Association des maires de France (AMF). Cela permet certes de mettre en place un élément financier pour récompenser le mérite, mais la définition reste subjective.”
En tant que maire de Lampertheim, une petite commune du Bas-Rhin, elle observe par ailleurs que les outils mis à disposition aujourd’hui, et en premier lieu le CIA, restent difficiles à mettre en place. “Au-delà d’éventuellement réinventer un système, il faudrait réinterroger les dispositifs déjà existants pour leur permettre plus de flexibilité, développe l’élue. Pour moi, il n’est pas forcément utile de créer un nouvel outil, cela apporterait encore plus de confusion.”
Le manque de souplesse pour les employeurs reste un élément de blocage important, tout comme le manque de transparence autour du dispositif. “Les employeurs publics n’ont pas suffisamment de marges de manœuvre pour récompenser un agent jugé méritant, résume Murielle Fabre. Pour les faire entrer dans les dispositifs collectifs, il faut notamment respecter le ratio des taux de promotion. Ce n’est pas toujours applicable sur le terrain.” Il est, selon elle, urgent d’avoir une main plus directe sur ces outils à la fois pour gratifier et pour faire évoluer plus rapidement les agents.
La question des critères revient également dans les freins identifiés à une mise en place satisfaisante du Rifseep. “On n’a jamais trouvé les bons critères pour qu’ils soient justes, en particulier au niveau du travail en équipe”, reconnaît Marylise Lebranchu. Et d’illustrer : “Prenez un service d’urgence d’un petit hôpital dans lequel tout le monde court de box en box, poursuit-elle. Sur la vingtaine d’ASH [agents de service hospitalier, ndlr], comment déterminer lequel a plus de mérite que les autres ?”
En définitive, la philosophie apportée par le Rifseep était très proche de la PFR avec une part de rémunération aux résultats à la main de l’employeur et des plafonds à respecter. Pour certains employeurs publics que nous avons interrogés dans le cadre de ce dossier, l’IFSE, qui rémunère les fonctions, et le CIA, qui prend en compte la part des résultats, proposent une solution plutôt satisfaisante.
Courage managérial
Dans d’autres administrations, pourtant, le principe reste tabou. D’anciens hauts fonctionnaires nous ont par exemple rapporté qu’à Bercy, à l’exception des agents de catégorie A, toute le monde percevait les mêmes primes. Une situation que les syndicats défendent bec et ongles, même si la situation semble avoir un peu évolué ces dernières années. “Dans de nombreux services déconcentrés et dans les services qui dépendent de Bercy, il n’y a pas réellement de primes fondées sur les résultats”, souffle un ancien de la DGAFP.
Si la situation reste différente d’un ministère à l’autre, la question de la rémunération cache derrière elle celle du courage managérial. “Pour avoir la paix, c’est plus facile de donner la même chose à tout le monde, pour ne pas avoir à justifier les raisons d’une éventuelle baisse”, tranche une haute fonctionnaire. Justifier la baisse des primes d’un agent, c’est aussi se préparer à aller au-devant de la contestation et l’éventuelle mobilisation des syndicats.
Au-delà des outils, le sujet de la rémunération au mérite apparaît finalement davantage comme un sujet de management de proximité et de soutien de l’institution envers ses managers.
ACTEURS PUBLICS : article publie le mardi 12 novembre 2024 & Bastien Scordia