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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

TRANSITION ECOLOGIQUE

18 Janvier 2025 , Rédigé par FO Services Publics 51

Comment le budget vert se déploie dans la sphère publique

Initialement appliqué à l’État seul, le dispositif qui classe les ­dépenses selon qu’elles sont “favorables” ou “défavorables” à l’environnement s’impose progressivement aux autres ­composantes du secteur public. Cet article fait partie de notre dossier consacré au budget vert, paru dans le n° 172-173 d’Acteurs publics.

Aligner les finances publiques avec les ambitions climatiques de l’Accord de Paris, telle est la mission du “budget vert” de l’État. Ce concept a souvent été mésinterprété, la terminologie pouvant laisser penser à des investissements destinés à la transition écologique ou à la réalisation d’un budget carbone. Elle nous vient de l’anglais green budgeting et traduit en réalité le fait d’analyser les dépenses publiques au regard de leur impact sur l’environnement. Dans l’optique d’éclairer les choix budgétaires, les ­crédits sont alors cotés “bruns”, “verts”, “mixtes” ou “neutres”.

Tout commence en décembre 2017. La France organise alors le One Planet Summit, une série de réunions internationales autour du financement de la transition écologique. À cette occasion, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) lance le “Paris Collaborative on Green Budgeting”, une démarche pour aider les pays à adapter leurs dépenses budgétaires et fiscales dans une logique climatique. Peu de pays saisissent la perche mais le ministre de l’Écologie de l’époque, Nicolas Hulot, s’engage à ce que la France mette en place un “budget vert” de l’État. Elle est depuis devenue un modèle et a inspiré d’autres États, qui ont développé leur propre méthodologie.

L’administration ne s’était pas directement mise en ordre de marche pour tenir cette promesse. “Lorsqu’il était à l’Élysée, Antoine Pellion [conseiller« environnement, énergie et transports » à la présidence de la République de 2017 à 2019, ndlr], disait que l’administration traînait des pieds”, rapporte un observateur. 

Volonté de transparence

“Il y avait cette impulsion internationale, et on ne savait pas trop comment cela allait se décliner opérationnellement. Cela n’a pas tout de suite avancé, on a retourné le sujet dans tous les sens, témoigne l’économiste Vincent Marcus, chef de service au ministère de l’Agriculture. Puis nous avons été rattrapés par des considérations franco-françaises, avec la crise des « gilets jaunes » déclenchée par la taxe carbone en 2018”, poursuit celui qui était, au moment de la création du budget vert, responsable d’une sous-direction chargée des études économiques sur les sujets environnementaux au ministère de la Transition écologique.

Face aux méfiances, l’administration souhaitait partager des informations concernant les dépenses publiques et les recettes fiscales liées à la transition écologique. “Il y avait une volonté interne d’expliquer l’action du gouvernement par rapport aux objectifs climatiques”, poursuit Vincent Marcus. “La démarche reste centrée autour de l’idée de transparence, de lisibilité et de compréhension de l’action publique, abonde le chercheur en droit financier public Messaoud Saoudi. Il s’agit d’une forme de recherche de légitimité pour l’État, en empruntant une méthodologie de revue des dépenses budgétaires et fiscales.”

Alors que la démarche était plutôt gouvernementale à l’origine, c’est finalement un amendement déposé par la députée LREM Bénédicte Peyrol lors du projet de loi de finances pour 2020, puis retenu, qui a officiellement créé le budget vert de l’État. “L’amendement a été déposé pour donner une certaine assise au dispositif, mais aussi montrer que les parlementaires souhaitaient s’en saisir et étaient en attente”, analyse une source. En présentant les effets sur l’environnement du projet de loi de finances, le budget vert est notamment censé éclairer le débat parlementaire. L’épreuve des faits démontre néanmoins que quatre ans après, il n’a pas atteint cet objectif.

Appropriation par Bercy

“L’initiative parlementaire était plutôt symbolique, et s’est faite en bonne coordination avec l’administration”, note un haut fonctionnaire. Le gouvernement a alors confié une mission à 2 corps d’inspection, l’inspection générale des Finances et le Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD, devenu depuis l’IGEDD), afin de proposer un prototype de budgétisation verte testé sur certains programmes ministériels. Une fois le rapport des inspections – “Green Budgeting : proposition de méthode pour une budgétisation environnementale” – rendu, en septembre 2019, un groupe de travail a été lancé pour passer à la phase opérationnelle. De 2019 à 2020, il mobilisait à la fois des représentants du ministère de la Transition écologique et de celui des Finances au sens large, à savoir la direction du budget, la direction générale du Trésor et la direction de la législation fiscale. “Ce type de groupe de travail interministériel n’était pas courant et s’est plutôt bien déroulé”, relève Vincent Marcus, qui faisait à l’époque partie de ce petit comité de 5-6 personnes.

La première édition du budget vert a finalement été présentée par le gouvernement à l’automne 2020, pour le projet de loi de finances (PLF) pour 2021. La direction du budget coordonne les travaux et centralise le budget vert, qui est juridiquement une annexe au PLF, un “jaune budgétaire”. “Au tout début, Bercy voyait l’exercice d’un œil prudent et n’était pas forcément très allant. Mais finalement, le processus s’est vraiment intégré à l’activité de la direction du budget, ce qui n’était pas du tout gagné d’avance, se souvient Vincent Marcus. C’est peut-être l’un des acquis les plus remarquables de toute cette histoire : les services de Bercy ont évolué positivement et l’impact des dépenses sur l’environnement est devenu explicite, visible.” Selon l’ancien sous-directeur de l’économie et de l’évaluation du Commissariat général au développement durable (CGDD), le dispositif serait même devenu un facteur d’attractivité interne : “Les jeunes qui sortent de l’INSP se bousculent pour aller travailler au budget vert à la direction du budget.”

Collectivités proactives

À noter que le budget vert de l’État reste bien un rapport d’information sur l’impact environnemental du budget de l’État : ses effets dépendent donc de l’usage qui en est fait par les acteurs publics et politiques. Il s’inscrit dans la logique de la Lolf et des projets annuels de performance inscrits dans les PLF. “La tendance de gestion par la performance est en hausse, en lien avec une culture de la gestion publique centrée sur les résultats, analyse Messaoud Saoudi. Il s’agit d’analyser le budget de l’État selon des objectifs d’efficacité, d’efficience et de qualité de l’action publique.” Cette analyse n’est donc par nature pas contraignante. L’objectif sous-jacent est bien, in fine, d’intégrer la dimension environnementale dans les négociations budgétaires, mais comme pour les parlementaires, l’utilisation du budget vert par les ministères reste encore marginale.

Depuis plusieurs années maintenant, la notion de budgétisation verte n’est pas cantonnée à la sphère étatique. Le dispositif a suscité l’attention de certaines collectivités, qui cherchaient elles aussi à verdir leurs actions. Avec l’appui de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), un petit groupe de collectivités se sont mobilisées dès 2020. Elles ont coproduit ce qui est aujourd’hui la méthodologie d’évaluation climat des budgets la plus largement utilisée au niveau local.

Certaines sont même allées très loin dans la démarche et ont dépassé l’État, en faisant du budget vert un outil concret d’arbitrage . La plupart des collectivités pionnières dans le domaine partagent le même constat : au-delà du verdissement des dépenses, le dispositif a permis de sensibiliser les agents, d’embarquer tous les services et a ouvert de nouvelles réflexions au moment de la procédure budgétaire.

Lorsqu’il était député, Thomas Cazenave avait constaté le potentiel de l’outil et souhaitait le rendre obligatoire à toutes les collectivités de plus de 3 500 habitants. “Une grande partie du levier dépend en réalité des élus locaux, des collectivités locales et de leurs propres arbitrages budgétaires”, souligne l’ancien ministre des Comptes publics. C’est désormais chose faite : la loi de finances de l’an dernier a adopté cette mesure, dont le décret d’application est paru cet été.

Deux groupes de travail sont actuellement sur le dossier : l’un est piloté par la direction générale des finances publiques – qui tient la comptabilité des collectivités locales – et réunit le groupe de travail du budget vert de l’État et la direction générale des collectivités locales. L’autre est partagé avec des associations d’élus locaux, plusieurs collectivités commençant à expérimenter la méthode retenue. Pour rendre la démarche accessible et se concentrer sur les dépenses les plus impactantes, les collectivités devront coter uniquement leurs dépenses d’investissement et l’analyse deviendra progressivement plus fine, jusqu’à 2027.

Une version adaptée au secteur de la santé

La prochaine étape consistera à déployer le budget vert chez les opérateurs. Comme pour les collectivités, un amendement avait été retenu par l’exécutif en ce sens dans la dernière loi de finances. Une expérimentation est en cours avec une quinzaine de volontaires, qui travaillent dans la sphère “environnement”, comme l’Ademe et l’Office français de la biodiversité, pour tester une méthodologie adaptée. L’arrêté ministériel officialisant la généralisation du budget vert aux opérateurs devrait être publié avant la fin du mois d’août 2025, l’exercice devant débuter pour le budget 2026.

Reste un grand pan de la sphère publique qui ne réalise pas encore de budget vert : les établissements de santé. À ce jour, aucun hôpital, CHU ou groupement hospitalier de territoire n’aurait mis en place ce type d’exercice. “Ce sujet est en chantier mais pas encore suffisamment abouti pour pouvoir s’exprimer”, indique notamment la Fédération hospitalière de France (FHF). Plusieurs raisons sont évoquées par l’écosystème, comme la recherche d’économies en cette période de disette et les problématiques de ressources humaines. Et surtout, les moyens étant limités, ils sont concentrés sur les priorités sanitaires. “Je crois que même si chacun est sensibilisé à cette nécessité, les procédures, protocoles et habitudes sont bien ancrés, analyse Patrice Moineau, directeur de la logistique au CHU de Nantes. Il faudra beaucoup de temps pour franchir ce cap.”

Au ministère de l’Économie, la direction du budget compte pourtant se pencher sur le sujet. “La sphère sociale reste avant tout organisée en établissements publics : si l’on met en place une méthodologie valable pour les opérateurs, elle sera applicable à la sphère sociale”, indique Thomas Espeillac, son sous-directeur “Écologie, logement et transports”.

Cette direction s’interroge encore sur le bon vecteur, car une large partie du secteur n’est pas directement concernée par les enjeux environnementaux. “Mettre en place notre méthodologie, qui reste quand même assez lourde, pour finalement coter des petits morceaux du PLFSS n’est peut-être pas la bonne méthode, poursuit Thomas Espeillac. Il nous semble que certains acteurs sont plus concernés que d’autres, et pourraient donc monter à bord avant d’aller coter tout le PLFSS.” Malgré les limites citées plus haut, la direction du budget pense justement à un budget vert adapté aux établissements de santé, qui font face à des enjeux importants en matière d’achats et de rénovation des bâtiments. La révolution ne fait que commencer.

ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE MERCREDI 08 JANVIER 2025 & Philippine Ramognino

 

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