DIALOGUE SOCIAL FORCE OUVRIERE
La stratégie isolationniste de Force Ouvrière
dans la fonction publique fait débat
La ligne solitaire du syndicat et sa volonté d’initier de nouvelles formes d’action contre la politique du gouvernement dans la fonction publique interrogent et ne manquent pas d’être critiquées. Même le résultat de cette stratégie fait débat.
Dans le milieu syndical de la fonction publique, on en est convaincu : le choix de Force ouvrière (FO) de faire cavalier seul ne portera pas ses fruits. “Jouer solo, c’est peine perdue”, juge même un leader syndical. La stratégie de la centrale, déjà ancienne mais accentuée ces dernières semaines, consiste à se “désolidariser” de l’intersyndicale et de tracer sa propre route de contestation syndicale et d’opposition à la politique du gouvernement.
Dernières preuves en date : son choix de ne pas se joindre à un communiqué unitaire, le 15 janvier dernier, où les 8 autres organisations syndicales du secteur public (CGT, CFDT, Unsa, FSU, Solidaires, FA-FP, CFE-CGC et CFCT) réclamaient la suspension du projet de loi de réforme de la fonction publique ou encore de ne pas signer la pétition lancée le 21 janvier par ces mêmes organisations pour réclamer notamment une revalorisation salariale globale pour les agents publics.
Une pétition ? Pas suffisant
Si FO ne s’oppose pas (bien entendu) à ces revendications, elle considère néanmoins que la réponse “n’est pas à la hauteur des enjeux”. “La situation sociale actuelle, les attaques sans précédent contre les fonctionnaires et leur statut, mais le manque de considération du gouvernement pour le dialogue social nécessitent une réaction plus forte”, estime ainsi le secrétaire général de FO Fonction publique, Christian Grolier.
L’occasion pour celui-ci de critiquer l’initiative prise par les autres organisations syndicales avec leur pétition : “C’est un peu décalé, les agents ne veulent plus de pétition, et surtout, ce n’est pas efficace […]. Des fois, je me demande si nous vivons tous dans le même monde.” À l’heure actuelle, près de 55 900 personnes ont signé la pétition en faveur du pouvoir d’achat des agents publics. “La France compte en tout plus de 5 millions d’agents [publics]”, tient à relativiser Christian Grolier.
Forte de ce constat et sachant que l’hypothèse d’une mobilisation est loin d’être acquise au sein de l’intersyndicale, Force ouvrière a décidé d’entreprendre une démarche “innovante”, selon ses propres termes, à savoir un “périple” organisé entre Le Havre et Paris. Partie le 3 février du fief du Premier ministre, la délégation de Force ouvrière – “forte des revendications et des inquiétudes du terrain” – terminera son parcours par une manifestation “nationale” jeudi 7 février, avec comme point d’arrivée l’esplanade des Invalides. Mot d’ordre de cette action : “Tous à Matignon pour chercher le pognon”. Un slogan qui fait sourire certains représentants du personnel, tant cette revendication peine et peinera, selon eux, à être satisfaite par le gouvernement.
Stratégie interrogée et critiquée
Derrière cette initiative symbolique, c’est en effet le bien-fondé de la stratégie en quelque sorte isolationniste de Force ouvrière qui est interrogé. Une démarche que certains représentants du personnel ne se privent pas de critiquer. Sous couvert d’anonymat néanmoins. “Force ouvrière doit faire très attention, juge-t-on ainsi. À force de jouer contre son propre camp, elle risque, à l’avenir, d’être encore plus fragilisée au sein de l’intersyndicale.” L’organisation syndicale “est en train de se décrédibiliser au sein de l’intersyndicale et auprès du gouvernement”, abonde-t-on.
Une opinion d’autant plus partagée depuis la publication par FO d’une lettre datée du 18 décembre dernier, dans laquelle cette organisation annonçait son souhait de ne pas signer le protocole relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique. “FO Fonction publique ne signera pas un protocole dont le seul objet est, finalement, de partager des choix gouvernementaux néfastes aux intérêts particuliers et moraux des fonctionnaires et agents publics”,estimait-elle. Des propos qui sont mal passés au sein de l’intersyndicale.
L’initiative de Force ouvrière est “dans la droite ligne de ses positions antérieures”, souligne Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques à l’université de Bourgogne, en référence notamment à la position de l’organisation et de son ex-secrétaire général Jean-Claude Mailly vis-à-vis des ordonnances dites Travail, à l’automne 2017. FO avait en effet décidé de se joindre à la contestation après l’avoir refusée dans un premier temps. Cette organisation “a un peu un complexe de supériorité, ajoute l’universitaire. Elle aime bien jouer solo et, comme souvent, ne souhaite pas être noyée dans une intersyndicale où, quelle que soit la stratégie retenue, celle-ci mène régulièrement dans l’impasse”.
“Pas d’étiolement”
Reste désormais à savoir si sa décision de faire bande à part sera efficace. “Pas sûr, d’autant plus que le manque de considération des salariés envers les organisations syndicales est grandissant”, analyse Dominique Andolfatto.
Au sein de l’intersyndicale, par ailleurs, on ne manque pas de rappeler que le positionnement de Force ouvrière au cours des derniers mois et des dernières années s’est ressenti dans les urnes lors des élections professionnelles du 6 décembre dernier.
Son choix de s’opposer, en 2015, au protocole de revalorisation des carrières dit PPCR (protocole sur les parcours professionnels, les carrières et les rémunérations) ou encore de ne pas signer le protocole sur l’égalité femmes-hommes fin 2018 “n’a pas joué en leur faveur”, dit-on dans une organisation syndicale. “À force de ne pas vivre avec son temps, Force ouvrière a vu sa présence s’étioler”, assène-t-on même.
Comme l’indiquent des données de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), Force ouvrière a bien perdu des voix lors des dernières élections (plus de 48 000). Pour autant, elle n’est pas la seule organisation syndicale à avoir engrangé moins de suffrages en comparaison au scrutin de 2014. La CGT, par exemple, a ainsi perdu plus de 76 000 voix et la CFDT, 45 000. Seule la FSU a engrangé de nouvelles voix (+ 2 000 environ) lors des élections du 6 décembre 2018. Un scrutin qui, rappelons-le, a aussi été marqué par une baisse de la participation (49,8 %, contre 52,8 % en 2014). Pour être complet, il faut aussi rappeler le contexte particulier de ces élections, intervenues un peu moins de deux mois après le scandale qui a conduit le secrétaire confédéral de FO, Pascal Pavageau, à démissionner après les révélations par la presse d’un fichier peu amène sur ses cadres.
Du côté de Force ouvrière, l’on réfute “tout étiolement”. L’organisation syndicale met au contraire en avant le fait qu’elle a conservé sa première place au sein de la fonction publique d’État, qu’elle se maintient à la troisième place dans la territoriale, mais aussi qu’elle a ravi dans l’hospitalière la seconde place à la CFDT. “Ces résultats démontrent bien que nous ne nous sommes pas trompés et que la stabilité de nos positions sur PPCR notamment a porté ses fruits”, juge ainsi Christian Grolier.
L’ampleur de la mobilisation le 7 février à Paris dira si la stratégie de FO portera elle aussi ses fruits et si le “pognon” tant escompté sera accordé aux agents publics. Pas sûr, compte tenu de la détermination du gouvernement à ne rien concéder aux organisations syndicales.
ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE MERCREDI 06 FEVRIER 2019 & BASTIEN SCORDIA