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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

DEMATERIALISATION

6 Octobre 2023 , Rédigé par FO Services Publics 51

Quand la dématérialisation se heurte à la réalité du terrain

Oubli des agents instructeurs, complexité reportée sur l’usager, invisibilisation de ceux qui font l’intendance… La dernière étude approfondie d’une démarche numérisée, par le laboratoire d’innovation publique de Bretagne, révèle les travers de la dématérialisation. Mais elle offre aussi quelques pistes pour mener une “bonne” dématérialisation.

Dématérialiser avec modération. Et surtout avec réflexion. C’est, en résumé, le message que l’on pourrait retenir de la toute dernière étude menée par le LabAccès du laboratoire d’innovation publique de Bretagne sur la dématérialisation, le Ti Lab. L’équipe du LabAccès s’est intéressée de très près, et pendant plusieurs années, à la dématérialisation d’une aide financière à la formation professionnelle à la région Bretagne.

Un exemple pas forcément représentatif de toutes les numérisations, mais révélateur des principaux écueils qu’elles peuvent présenter, et notamment, de la difficulté pour les acteurs publics de penser une dématérialisation dans sa globalité et d’anticiper tous ses effets, pour les usagers comme pour les agents publics, mais pas seulement. “La recherche vise aussi à évaluer les conséquences de l’adoption du Portail numérique sur le travail des agents de cette direction [de l’emploi et de la formation, ndlr] ainsi que sur l’accessibilité auprès des bénéficiaires d’une aide à la formation professionnelle ainsi dématérialisée”, indique le TiLab dans l’introduction de son étude de près de 130 pages, fondée sur une trentaine d’entretiens avec des jeunes confrontés à la démarche numérique et avec des agents encadrants ou gestionnaires de la région, ainsi qu’avec le personnel d’un organisme de formation.

Dématérialisation des démarches : une nouvelle méthode d’évaluation pour gagner en qualité

Retour en arrière. En 2018, la direction de la formation du conseil régional de Bretagne veut numériser la demande d’aide financière à la formation professionnelle sur une plate-forme collaborative mettant directement en relation les bénéficiaires que sont les stagiaires avec les agents instructeurs. Un projet enveloppé d’un discours sur “l’amélioration de la relation administrative, mais aussi sur la rationalisation, y compris budgétaire”, et qui s’impose par l’arrivée imminente du prélèvement à la source, a expliqué l’auteur principal de l’étude, Florian Pedrot, lors de sa présentation, le 14 septembre.

Contraintes sous-estimées

Le processus est pourtant loin de se limiter à la simple numérisation d’une démarche, mais s’accompagne de changements non négligeables pour les stagiaires. Il leur appartient en effet désormais de faire la demande eux-mêmes, là où les organismes de formation s’en chargeaient auparavant. La transition est donc “chaotique” pour les stagiaires. Les appels téléphoniques affluent dans les services instructeurs, rapidement débordés, et “la délivrance finale des aides repose sur un travail sous-terrain de différents professionnels externes au conseil régional”, rapporte Florian Pedrot. Les personnels des centres de formation se démènent dans l’ombre pour “assurer l’intendance de la dématérialisation” et “faire tenir l’édifice”.

Une cartographie de la “vulnérabilité e-administrative” pour ajuster l’offre de services publics aux besoins

L’étude met ainsi le doigt sur les sources de “déperdition” entre la promesse initiale et le résultat d’une dématérialisation, et notamment sur les contraintes qui grippent la machine en cours de route. D’abord, les utilisateurs ont été perçus, et donc problématisés par l’administration sous une seule catégorie, le stagiaire, oubliant tous les utilisateurs potentiellement touchés par cette dématérialisation, et sans s’appesantir sur leur faculté à remplir une démarche en ligne.

 “Il y a bien eu une volonté de monter des panels usagers, mais cela n’a pas pu être fait, pour des questions de délais, d’investissement, et d’engagement des directions”, relève Florian Pedrot. Résultat : l’équipe-projet a complètement omis de ses réflexions les agents de traitement, qui n’ont découvert le logiciel que tardivement, sans que celui-ci ne réponde à leurs contraintes. À tel point qu’une agente avait comptabilisé la bagatelle de 50 clics à effectuer pour instruire un dossier.

Prendre le temps de la concertation

“On dit souvent que les politiques savent à quoi s’attendre lorsqu’ils dématérialisent, et qu’ils le font en sachant que cela va se reporter sur d’autres acteurs, mais je n’en suis pas persuadé”, a reconnu Florian Pedrot. Son collègue François Morin abonde : “La croyance dans la modernisation informatique comme source d’efficacité est encore assez vivace et je ne suis pas certain que cette idée d’une dématérialisation destructrice soit si connue du top management.”

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Dans leur rapport, les chercheurs insistent au contraire sur la complexité réelle de ce type de projets, qui ne doit plus être sous-estimée. Pour éviter de répéter les mêmes erreurs, il n’y a pas de solution miracle, si ce n’est de prendre le temps de concerter l’ensemble des parties prenantes pour anticiper tout grain de sable susceptible d’enrayer la “machine à dématérialiser”.

ACTEURS PUBLICS : article publie le lundi 02 octobre 2023 & EMILE MARZOLF

 

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