REFORME DE LA FONCTION PUBLIQUE
Individuel ou collectif, le futur intéressement agite la fonction publique
Stanislas Guerini souhaite développer les outils d’intéressement collectif pour “récompenser l’engagement” des agents publics en fonction d’objectifs liés, par exemple, à la “qualité des services rendus au public”. Cette notion d’intéressement divise au sein de la fonction publique. Reste à savoir si l’intéressement collectif sera privilégié par rapport à l’intéressement individuel. La situation budgétaire pourrait compliquer l’équation.
Stanislas Guerini l'a déjà évoqué à de multiples reprises au cours des derniers mois et le répète encore aujourd'hui : il veut récompenser davantage l'engagement des agents publics via un développement de la rémunération au mérite dans le cadre de la nouvelle réforme de la fonction publique, qui sera présentée par le gouvernement Attal à l'automne prochain. À ce sujet, le ministre de la Fonction publique déclare régulièrement que la notion de “plans d'intéressement” – individuel comme collectif – ne doit être ni “un gros mot” ni un “tabou”.
Dans un entretien qu'il vient d'accorder à La Dépêche, Stanislas Guerini vient d'ailleurs de confirmer son souhait d'instaurer dans la fonction publique des “outils d'intéressement collectif pour pouvoir récompenser l'engagement d'un collectif de travail”, notamment en matière de “qualité de service” rendu. “On peut, par exemple, mesurer un délai pour avoir ses papiers d'identité, a illustré le ministre dans ce quotidien régional. On peut mesurer le remplacement de professeurs absents.” Il y a quelques mois, pour rappel, il avait aussi évoqué l'hypothèse d'un intéressement en partie lié à l'atteinte d'objectifs environnementaux par les agents publics et notamment des objectifs fondés sur le respect de la sobriété en matière de consommation d'eau ou d'énergie.
Réflexion autour des objectifs à fixer
L'entourage du ministre le confirme : l’instauration de nouveaux outils d'intéressement collectif est “une des orientations que l'on met sur la table pour mieux valoriser le mérite et l'engagement à travers la rémunération”. Certes, des dispositifs d'intéressement collectif existent déjà aujourd'hui dans la fonction publique. Mais, explique la même source, ceux-ci “sont complexes et très limités”, notamment en matière de montants, d'où leur faible niveau de mise en œuvre.
Des travaux autour d'un développement de ces outils d'intéressement collectif sont ainsi en cours, explique le cabinet du ministre. Ministre qui, ajoute-t-on, est donc en train de “réfléchir à fixer des objectifs pour les agents par exemple sur la qualité des services rendus au publics, sur la transition écologique et sur la sobriété énergétique afin de donner des marges de manœuvre aux employeurs pour valoriser des équipes administratives engagées dans ces missions, en lien direct avec l'efficacité du service public”.
L'entourage de Stanislas Guerini le promet néanmoins : la future réforme ne privilégiera pas un type d'intéressement sur un autre. “L'idée est d'avancer sur les deux mécanismes, individuel comme collectif”, explique le cabinet. Dans les rangs de la fonction publique, en tout cas, l'hypothèse d'un développement de l'intéressement collectif semble privilégiée plutôt que celle d'une montée en puissance de l'intéressement individuel.
L’intéressement collectif “bien mieux accepté”
“L'intéressement collectif est bien mieux accepté, mais il faut définir une démarche et des critères, et ce n'est pas facile”, affirme ainsi Philippe Laurent, le maire UDI de Sceaux et porte-parole de la Coordination des employeurs territoriaux.
Cofondateur du think tank Le Sens du service public, Johan Theuret se dit lui aussi davantage favorable à l'intéressement collectif afin, notamment, de ”mettre en avant le mode projet” ou d'éviter les “fonctionnements en silos”.
“À l'image du secteur privé avec l'épargne salariale, cet intéressement collectif peut aussi être un élément de fidélisation comportant des garanties pour les deux parties, les employeurs comme les agents, avec notamment des exonérations de cotisations”, ajoute celui qui est directeur général adjoint chargé du pôle “Ressources” de Rennes métropole et de la ville de Rennes. Johan Theuret voit aussi dans cet intéressement collectif un “véritable espace de dialogue social”.
Son think tank a d'ailleurs récemment réalisé un sondage en ligne auprès des agents publics, d'où il ressort un plus large plaidoyer en faveur de l'intéressement collectif que de l'intéressement individuel. Une majorité des sondés (60 %) souhaitent ainsi valoriser le mérite collectif, alors que 16 % des répondants seulement souhaitent actionner le levier du mérite individuel.
Les syndicats pointent une mise en concurrence
Dans les rangs syndicaux, en revanche, la notion d'intéressement irrite tout autant que celle de mérite. “Nous ne sommes pas plus favorables à l'intéressement individuel qu'à l'intéressement collectif, souligne ainsi Céline Verzeletti, de la CGT. Cela reste une forme de mise en concurrence soit entre les individus soit entre les services”. “Cela renvoie à une notion de rentabilité importée du privé alors que, selon nous, les missions de la fonction publique ne sont pas quantifiables ni mesurables en termes de résultats”, regrette-t-elle.
Le secrétaire général de la FSU, Benoît Teste, abonde dans ce sens : “L'intéressement collectif n'a pas plus de sens que l'individuel. Plutôt que de mettre en concurrence les agents, il met en concurrence des services entre eux, ce qui ne correspond toujours pas à une logique de service public.” Tout en évoquant une possible “usine à gaz”, le syndicaliste cite à ce propos l'exemple, dans l'éducation nationale, de la prime REP+ (Réseau d'éducation prioritaire renforcée) qui, selon lui, était “censée être différenciée selon les collèges d'un département”, mais pour laquelle il fut “impossible de définir des critères objectifs et acceptables”.
“S'il faut répondre à l'interrogation : oui, l'intéressement collectif est moins pire que l'individuel”, abonde Pascal Kessler de la FA-FP. Mais, ajoute-t-il, le fait que le gouvernement Attal mette en avant ce sujet “est un dérivatif par rapport au sujet de fond des rémunérations des carrières des agents publics”.
Critères en question
Pour ce syndicaliste comme pour ses homologues, l'urgence n'est en effet pas le développement de la rémunération au mérite, mais plutôt celle de mesures générales de revalorisation salariale des agents publics via, notamment, une hausse du point d'indice. “Notre priorité n'est pas l'intéressement, qu'il soit collectif ou individuel, mais l'amélioration de la grille indiciaire, confirme Christian Grolier, de Force ouvrière. Le Premier ministre, Gabriel Attal, a dit vouloir « de smicardiser » la France, cela passe prioritairement par de vrais déroulements de carrières et donc par une revalorisation des grilles indiciaires.”
D'autres syndicats se montrent moins critiques à l'égard d'un développement de l'intéressement collectif dans la fonction publique, comme l'Unsa Fonction publique. “Si, dans le cadre de la négociation sur les rémunérations à laquelle nous appelons, l'intéressement collectif apparaît comme un élément supplémentaire à la rémunération des agents, après l'amélioration de la valeur du point d'indice et des grilles, ainsi qu'après une revalorisation de la partie indemnitaire, alors nous pourrions en discuter”, affirme son secrétaire général, Luc Farré, tout en indiquant qu'il ne s'agit pas de la priorité de son organisation syndicale.
“Développer l'intéressement dans la fonction publique paraît une idée intéressante au premier abord, cependant, quels sont les critères qui permettront de distinguer les services éligibles ? Interroge Stanislas Gaudon, de la CGE-CGC. Doit-on imposer des critères et des objectifs chiffrés lorsque l'on traite de l'humain ? Doit-on faire de la bâtonnite et du rendement en matière de lits hospitaliers, d'interventions police-secours ou du nombre de dossiers d'une secrétaire de mairie ?”
Problématique budgétaire
La CFDT Fonctions publiques, par la voix de sa secrétaire générale, Mylène Jacquot, se dit pour sa part “traditionnellement favorable à une reconnaissance collective du travail des agents”. Une reconnaissance qui, selon elle, est “plus conforme ce qu'est l'organisation et l'essence de la fonction publique”. Si elle se déclare opposée à une accentuation des dispositifs d'individualisation, la syndicaliste se montre plus ouverte s'agissant de la notion d'intéressement collectif. “Il est déjà possible, mais sa mise en œuvre nécessite des mesures budgétaires plus que législatives”, explique Mylène Jacquot.
Cette question budgétaire est en effet l'une des principales problématiques à laquelle le gouvernement risque d'être confronté s'il souhaite développer l'intéressement collectif dans la fonction publique. Et ce d'autant plus dans les temps budgétaires contraints que nous connaissons en raison notamment de la dégradation du déficit public et des nouveaux plans d'économies annoncés par Bercy. “Si les ministères ne se sont pas lancés jusqu'alors dans l'intéressement collectif, c'est avant tout pour des raisons de manque d'argent, mais pas de contestation de principe”, indique un observateur averti du secteur public, tout en se montrant peu optimiste pour les mois et années à venir : “Aujourd'hui, on ne peut évidemment pas être contre cet intéressement collectif mais, devant la ressource budgétaire raréfiée, il est certain que les sommes, surtout si on les veut réellement intéressantes, seront rognées sur les actuelles primes individuelles et le CIA [le complément indemnitaire annuel], ce qui ne rendra pas le système très incitatif”.
ACTEURS PUBLICS : article publie le mardi 07 mai 2024 & BASTIEN SCORDIA