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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

SIMPLIFICATION

31 Décembre 2024 , Rédigé par FO Services Publics 51

La réduction des compétences de la Commission nationale du débat public passe mal

Le jour-même de sa censure, le gouvernement démissionnaire a déposé un projet de décret pour supprimer l’obligation d’organiser un débat public avant d’autoriser les projets industriels. La Commission nationale du débat public (CNDP), qui voit ainsi ses missions entravées, dénonce une atteinte au droit environnemental et aux droits des citoyens.

“Un grave retour en arrière”“antidémocratique”“irresponsable”… Ces commentaires ne représentent qu’un infime échantillon des contributions citoyennes publiées sur le site du ministère de la Transition écologique, à la suite de la mise en consultation, mercredi 4 décembre, d’un projet de décret visant à supprimer l’obligation de solliciter la Commission nationale du débat public (CNDP) avant le lancement de projets industriels. Avec près de 700 contributions à ce jour, le moins que l’on puisse dire est que cette mesure, dans les cartons depuis plusieurs mois avant d’être officialisée par Michel Barnier lors de son discours de Limoges le 29 novembre dernier, semble faire l’unanimité contre elle.

“Je suis convaincu, comme toute la Commission, que les transitions ne peuvent pas se faire sans l’implication des citoyens dans les débats, déclare auprès d'Acteurs publics le président de la Commission nationale du débat public, Marc Papinutti. Ce décret implique deux enjeux : la régression du droit de l’environnement et des droits des citoyens. Cela représente tout de même la suppression de la capacité d’être informé et de s’exprimer concernant les projets industriels.”

Un calendrier qui interroge

“Le second point, sur le fond, est une question simple : est-ce vraiment pendant des périodes où le gouvernement gère les affaires courantes que l’on transforme ce genre de procédure ?” poursuit le président de la CNDP. Déposé in extremis par le gouvernement Barnier le jour-même du vote de sa motion de censure, ce projet de décret défend la volonté “d’accélérer l’implantation des projets industriels”. Et ce au détriment de leurs potentiels impacts environnementaux, selon ses détracteurs.

Il vise à répondre aux attentes de certaines entreprises, qui pointeraient le coût financier de la procédure, son inutilité et sa longueur, ainsi que le fait qu'elle ne mène jamais à un consensus entre les parties prenantes. “Les acteurs économiques expriment, mais jamais publiquement, une forme d'incompréhension”, explique Arnaud Gossement, avocat spécialisé en droit de l’environnement et en droit public.

La fibre écologique de Michel Barnier à l'épreuve de la crise politique et budgétaire

Hier qualifiée de progrès pour le droit de l’environnement, elle est désormais considérée comme superflue. Le plus étonnant est que ce retour en arrière provient du créateur même de la CNDP : le Premier ministre démissionnaire, Michel Barnier. Depuis 1995 et la “loi Barnier” qui l’a fait naître, la Commission nationale du débat public a vu progressivement ses compétences s’élargir. Elle a obtenu le statut d’autorité administrative indépendante en 2002 et a pour mission d’organiser des débats publics sur les projets ayant un impact significatif sur l’environnement.

Mais si le décret finit par être adopté, les projets de construction d’équipements industriels, quels que soient leurs coûts, ne seront plus soumis à l’obligation de faire l’objet d’un débat. “Toute la partie antérieure au dépôt du dossier de demande d’autorisation serait supprimée”, poursuit Arnaud Gossement.

Symbole de la lutte contre la complexité juridique

Cette décision représente un camouflet de plus pour la Commission nationale du débat public, dans le cadre d’un conflit qui l'oppose à l'État depuis plusieurs années. Car en tant qu’autorité administrative indépendante, elle agit au nom de l’État, mais ne reçoit de sa part ni ordre ni instruction. Comme l'explique Arnaud Gossement, “ce décret n’est pas une surprise, le bras de fer s’est engagé depuis 2005”.

Avant sa chute, Michel Barnier a lancé une mission sur la simplification administrative

Les chefs de l’État successifs, de Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron, ont tous annoncé un choc de simplification au profit du développement de l’activité économique du pays. “C’est assez prégnant : le discours politique de ces dernières années met en cause la complexité du droit, relate l’avocat. Dans ce contexte, la CNDP est devenue le symbole de la complexité du droit de l’environnement. Considérée comme coûteuse, longue et de nature à remettre en cause des projets jugés nécessaires au pays, tels que les grandes infrastructures portuaires, aéroportuaires et les équipements industriels, la Commission nationale du débat public est devenue progressivement le symbole de cette lutte contre la complexité juridique.

“Le débat s’est cristallisé au moment de la crise des « gilets jaunes », à la sortie de laquelle la CNDP a été écartée de l’organisation du Grand débat national”, poursuit Arnaud Gossement. Rebelote en 2019 : pour orchestrer la Convention citoyenne pour le climat, le gouvernement lui préfère le Conseil économique, social et environnemental (CESE). “La CNDP a été écartée alors que son expertise lui aurait permis de procéder à l’organisation de ces grands débats publics”, commente l’avocat.

Une instance décriée

Les critiques qui ciblent l’autorité administrative ne sont pas seulement liées à une logique de simplification des procédures administratives. “Le problème de fond est la culture de dialogue environnemental, analyse Arnaud Gossement. Bien souvent, les consultations sont lancées lorsque les décisions sont déjà prises et les financements déjà débloqués.”

Cette remarque revient régulièrement au sein de l’écosystème écologiste, dont un certain nombre de personnalités engagées appellent à la création d’un dialogue environnemental, sur le modèle du dialogue social.

Un projet de décret prévoit de réformer l’autorité environnementale

“D’un côté, la CNDP est décriée, car les débats sont tardifs, et de l’autre l’État a du mal à concevoir une remise en cause d’un projet validé par des décideurs élus”, résume Arnaud Gossement. Acteurs publics, économiques et même militants, chacun, pour des raisons qui lui sont propres, remet régulièrement en cause cette autorité et sa procédure.

Mais bien qu’il soit favorable à une réforme de la CNDP, l'avocat assure qu’elle n’en est pas moins une instance démocratique fondamentale. “Le dialogue environnemental, ce n’est pas seulement consulter les citoyens, c’est disposer de corps intermédiaires, assure Arnaud Gossement. À défaut de trouver un accord, la CNDP a l’avantage de présenter une cartographie des consensus et dissensus.” Une grille d’analyse qui permettrait selon lui aux décideurs politiques, ainsi qu’aux maîtres d’ouvrage, d’amender les dossiers d’autorisation en tenant compte des positions exprimées.

La Commission nationale du débat public en témoigne : certains porteurs de projets salueraient même l’utilité de la procédure, qui permettrait d’accélérer le dialogue avec les territoires. “Nous avons de nombreux témoignages de maîtres d’ouvrage qui assurent que la concertation a été riche et dense”, assure son président. 

Gain de temps surestimé ?

On peut en effet lire dans le bilan de la concertation préalable du groupe Holosolis, à Hambach, que “ce processus a permis de nourrir le dialogue autour des enjeux du projet et d’intégrer les préoccupations des citoyens. Les échanges ont été riches et constructifs, contribuant à façonner le projet dans le respect des attentes du public”. Même son de cloche chez ST Micro electronics, à Grenoble : “Cette concertation, rythmée par une diversité d’événements sur tout le territoire et permettant l’expression libre et transparente de tous, marque une étape importante dans la vie de ce projet. Nos équipes se sont nourries des contributions et des échanges recueillis au cours de ce dialogue avec le public.”

Alors qu’elle met le feu aux poudres, la réforme pourrait ne même pas avoir d’effet concret sur l’accélération des procédures d’autorisation. “Il est toujours étonnant de constater que la principale critique à l’égard de la CNDP est qu’elle prolongerait les délais, relève Marc Papinutti. Je suis absolument convaincu que ce n’est pas le cas, car les débats interviennent avant la finalisation des instructions techniques et les études d’impact.”

D'autant que comme l’indique la présentation du projet de décret, la suppression de l’obligation “n’empêchera pas la tenue de concertations préalables sous l’égide d’un garant nommé par la CNDP puisque les projets soumis à évaluation environnementale, hors du champ de la CNDP, peuvent faire l’objet d’une telle concertation”. Concertation, mais pas débat public, une procédure exclusivement commanditée par la CNDP.

Erreur d’interprétation ?

Selon l’analyse de l'avocat Arnaud Gossement, la mesure pourrait même avoir l’effet inverse : “Ce temps gagné risque d’être perdu par les hésitations à organiser une concertation.” “Les maîtres d’ouvrage risquent de se retrouver avec un Ersatz de débat public, et les élus locaux, qui n’ont pas toujours envie de se trouver en première ligne face aux opposants, ne disposeront plus du tampon que représente la CNDP”, ajoute l’avocat. Les maîtres d’ouvrage n’auront en effet aucune garantie de ne pas être soumis à une consultation préalable, et seront prévenus plus tardivement.

Simplification : nouvelle réforme de la procédure d’autorisation environnementale

Alors, si un rétrécissement des délais n’est pas à la clé, comment expliquer cette volonté de l'exécutif ? Selon Marc Papinutti, cette décision résulterait d’une erreur d’interprétation sur ce qu’est concrètement la concertation préalable. Elle serait confondue avec les étapes qui arrivent ensuite, notamment l’enquête publique, qui a été récemment modifiée par la loi Industrie verte. “C’est une confusion des genres”, en déduit le président de l’autorité administrative. Reste à voir si le prochain gouvernement réanalysera les enjeux ou signera le décret. Il disposera en tout cas d’une consultation terminée, celle-ci devant prendre fin le 27 décembre.

ACTEURS PUBLICS : article publie le jeudi 12 decembre 2024 & Philippine Ramognino

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