GESTION PERSONNEL
La Cour des comptes critique
la gestion
des agents territoriaux
Effectifs, temps de travail, absentéisme… Les marges de progrès sont nombreuses dans la fonction publique territoriale, affirme la Rue Cambon dans son rapport annuel sur les finances publiques locales, rendu public mardi 11 octobre.
L’actuelle gestion des ressources humaines dans la fonction publique territoriale hérisse les sages de la Rue Cambon. Dans son rapport annuel sur la situation financière des collectivités territoriales, rendu public mardi 11 octobre, la Cour des comptes dresse, une nouvelle fois, un portrait peu flatteur des pratiques managériales en vigueur dans la fonction publique territoriale.
“Alors que l’évolution des dépenses de personnel des collectivités locales constitue un enjeu majeur de la stratégie de redressement des comptes publics nationaux, la gestion publique territoriale présente d’importantes marges de progrès”,souligne la juridiction administrative dans son rapport, basé sur l’étude de 130 collectivités [cliquez ici pour consulter le rapport]. Acteurs publics liste les principaux leviers de maîtrise de la masse salariale suggérés par la Cour des comptes.
Endiguer l’augmentation des effectifs. À en croire les chiffres fournis par le rapport, la croissance des effectifs dans la fonction publique territoriale est toujours “vive”. Ainsi, entre 2002 et 2013, les effectifs se seraient accrus de 27,5 %, soit 405 000 agents supplémentaires. Concernant l’année 2014 et malgré la première tranche de la baisse des dotations de l’État (à hauteur de 1,5 milliard d’euros), aucun ralentissement de la croissance de la masse salariale n’a été constaté par la Cour des comptes. Bien au contraire, les effectifs ont augmenté de 1,5 %, soit 30 100 agents supplémentaires. Néanmoins, en 2015, sous la pression d’une baisse accélérée des dotations, certaines collectivités ont “engagé des efforts de gestion de leur masse salariale”, précise le rapport.
“Pour que cette démarche soit durable et efficace”, la Cour des comptes appelle à remédier aux faiblesses de gestion des effectifs au sein de la fonction publique territoriale.
Cela passerait notamment par “une remise à plat des missions”, par “une estimation rigoureuse des besoins correspondants” et par le développement des outils de gestion des effectifs. Les données sont, en effet, “discordantes” sur le suivi des ressources humaines, souligne le rapport. “La plupart des collectivités ne disposent pas d’une vue complète et précise de leurs effectifs […]. Leur comptabilisation est très souvent biaisée car elle n’est pas effectuée en équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT)”. Pour remédier à ce suivi “imprécis” des ressources humaines, la Cour des comptes propose donc de rendre obligatoire l’ETPT comme unité de mesure des effectifs dans les documents budgétaires.
Sur le sujet, le rapport de la Cour des comptes recommande enfin de développer la gestion prévisionnelle des effectifs en agissant notamment sur le levier de la mutualisation et du non-remplacement systématique des départs à la retraite. Ce non-remplacement des départs “est susceptible de réduire la masse salariale des collectivités territoriales et de leurs groupements d’environ 350 millions d’euros par an”.
De la rigueur dans la gestion du temps de travail. Comme l’a fait Philippe Laurent, le président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), dans son rapport sur le temps de travail dans la fonction publique, la Cour des comptes pointe une durée annuelle de travail “rarement conforme à la réglementation” dans la territoriale. Ne disposant pas de statistiques nationales sur la durée de travail dans la fonction publique territoriale, l’institution s’est donc appuyée sur son échantillon de 103 collectivités. Ainsi, la durée théorique de travail des agents dans les collectivités contrôlées était en moyenne de 1 562 heures par an, alors que la durée annuelle de travail est initialement fixée à 1 607 heures par an dans la fonction publique.
Compte tenu de la possibilité pour les collectivités de maintenir des régimes de travail inférieurs à la durée réglementaire (pour celles ayant adopté un régime de travail avant 2001), la Cour des comptes préconise d’abroger cette disposition.
Harmoniser les congés. Le nombre de jours de congés des agents de la fonction publique territoriale dépasse également la norme réglementaire, à savoir 25 jours, pointe la Cour des comptes. Pour citer quelques communes contrôlées par l’institution, les agents de la ville de Vannes (Morbihan) ont droit à 33 jours de congés et ceux d’Alès à 32 jours. Les agents du département des Deux-Sèvres ont, quant à eux, droit à une semaine d’absence exceptionnelle appelée “semaine du président”.
“Ces minorations du temps de travail [octroyées de manière discrétionnaire par le président de l’exécutif local, en sus de la réglementation] amputent le potentiel disponible pour assurer les services publics locaux”, affirme la Rue Cambon. En supprimant ces jours de congés “irréguliers”, l’allongement de la durée annuelle effective de travail par son alignement sur la durée légale “ne dégrade pas la productivité et constitue un gain net pour la collectivité, précise le rapport. Une économie de l’ordre de 1,2 milliard d’euros pourrait globalement être réalisée”.
Pour s’assurer de la bonne application de la réglementation horaire, la Cour des comptes propose donc de mettre en place une “revue périodique du temps de travail” dans les collectivités ou encore d’autoriser l’État à appliquer un mécanisme de pénalité financière.
Et ce à l’égard des collectivités ne respectant pas la loi en faisant travailler leurs agents moins longtemps que la durée réglementaire, “notamment du fait de l’attribution de jours de congés irréguliers”.
Lutter contre l’absentéisme et réinstaurer le jour de carence. Selon la Cour des comptes, le taux global d’absentéisme est en hausse dans les collectivités locales. Le dernier rapport de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) sur l’état de la fonction publique, publié en 2015, indiquait que la proportion des agents absents au moins un jour au cours d’une semaine était, en 2012, de 4,5 % dans la territoriale contre 2,9 % dans la fonction publique d’État.
Concernant le nombre d’arrêts de courte durée, celui-ci s’est stabilisé entre 2012 et 2013. À en croire la Cour des comptes, la baisse des arrêts maladie de courte durée serait la résultante de l’instauration d’un délai de carence d’un jour à compter du 1erjanvier 2012.
Son abrogation, à compter du 1er janvier 2014, semble avoir eu l’effet inverse. Le nombre d’arrêts de courte durée est ainsi reparti à la hausse en 2014, selon les magistrats. Pour endiguer cette hausse de l’absentéisme dans les collectivités locales, la Cour des comptes émet donc l’idée du rétablissement de ce même jour de carence ou encore la prise en compte de l’assiduité dans le régime indemnitaire. Une mesure censée devenir un “élément important de motivation des agents”, qui existe déjà dans la commune de Roissy-en-Brie (Seine-et-Marne), relève le rapport.
Un régime indemnitaire à moduler et à réguler. Constituant la part la plus dynamique des dépenses de rémunération (5,54 milliards d’euros en 2015, soit une augmentation de 14,3 % depuis 2011), les régimes indemnitaires des agents territoriaux reposent le plus souvent sur de multiples primes “peu ou pas modulées en fonction de la valeur professionnelle des agents”,souligne la Cour des comptes.
Dans de nombreuses collectivités, des primes sont également versées “sans qu’aucun texte législatif ne le prévoie”, déplore la Rue Cambon. Des “primes de fin d’année”, des “primes de conseil général” ou encore des “enveloppes complémentaires” qui ne sont pas nécessairement irrégulières dès lors que leurs modalités d’attribution ont fait l’objet d’une délibération avant l’entrée en vigueur de la loi de 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Tel est le cas de la métropole lilloise, qui verse une prime annuelle forfaitaire de 2,8 millions d’euros.
Une gouvernance appelée à évoluer. Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP), direction générale des collectivités locales (DGCL), Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) et Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT)… “La multiplicité des acteurs et des dispositifs de suivi de la gestion de la fonction publique territoriale se traduit par un manque de complémentarité et de coordination”, affirme la Cour des comptes.
Est notamment pointé du doigt le déficit d’un système d’information permettant de suivre l’évolution de l’emploi, des rémunérations, des carrières et des compétences des agents de la fonction publique territoriale. L’occasion pour la Cour des comptes de remettre sur le devant de la scène l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales, créé par la loi de 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). La mission de centralisation et d’analyse des informations sur la gestion locale de la fonction publique territoriale pourrait lui être exclusivement confiée, assure la Rue Cambon.
Acteurs publics le lundi 11 OCTobre 2016 PAR BASTIEN SCORDIA