CONCERTATION SOCIALE
Concertation sur la réforme de la fonction publique : un dialogue de sourds
Sur le fond comme sur la forme, les discussions sur les deux premiers chantiers de la réforme de la fonction publique (révision des instances de dialogue social et recours accru aux contractuels) sont loin de satisfaire les organisations syndicales de fonctionnaires. Et la pression n’est pas près de retomber…
Les organisations syndicales de fonctionnaires et le gouvernement campent chacun sur leurs positions. Mercredi 18 juillet, les représentants du personnel et le secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt, ont une (nouvelle fois) constaté leurs désaccords sur les deux premiers chantiers de la concertation sur la réforme de la fonction publique, à savoir la révision des instances de dialogue social et le recours accru aux contractuels dans le secteur public.
“Nous ne pourrons pas être d’accord sur tout”, a notamment expliqué – comme s’il faisait un constat définitif – le secrétaire d’État, ce 18 juillet, lors d’un premier “point d’étape” de la concertation engagée par l’exécutif en février dernier en vue de réformer le cadre statutaire des agents publics. Moins avancées, les discussions sur les deux autres chantiers de la réforme (évolution de la politique de rémunération et renforcement de l’accompagnement des agents pendant leur carrière) se poursuivront pour leur part à la rentrée.
Qualité du dialogue social pointé du doigt
Les griefs des organisations syndicales portent tout d’abord sur la forme de la concertation initiée par le gouvernement. Dans leur viseur notamment : le calendrier très dense des discussions sur les chantiers relatifs aux instances de dialogue social et au recours accru aux contractuels (cinq réunions techniques pour le premier depuis le mois d’avril et trois pour le second depuis le mois de mai) ou encore le manque de prise en compte de leurs revendications par le gouvernement.
“La qualité du dialogue social n’est pas égale à la quantité de réunions et les préjugés dogmatiques ne font pas un argumentaire, a ainsi déclaré la CGT lors de la réunion. Plus que jamais nous constatons que, sur l’essentiel, il n’y a pas de véritable espace de concertation qui soit ouvert.” Un constat que partage également l’Unsa Fonction publique qui, à l’issue du point d’étape de la concertation, a affiché sa “déception” et déclaré que le gouvernement “en ne retenant quasi aucune proposition des organisations syndicales, semble avancer avec une boussole idéologique sur la fonction publique, remettant en question la démocratie sociale”.
Autre reproche commun à plusieurs leaders syndicaux : le timing selon lequel les documents préparatoires des réunions leur sont transmis. La plupart du temps, ces documents leur ont été adressés par le ministère la veille ou quelques heures avant les réunions, voire présentés sur table. “Nous sommes fatigués et en colère de cette façon de faire […], dans de tels cas il est impossible pour nous de rentrer dans le détail des pistes évoquées par l’exécutif mais aussi de recueillir un mandat de nos organisations”, explique Gaëlle Martinez, de Solidaires Fonction publique.
Autant de reproches qu’Olivier Dussopt semble donc avoir entendus. “Je mesure à quel point ce calendrier très dense de concertation vous a particulièrement mobilisés et je sais aussi […] à quel point les conditions de préparation (des) réunions n’ont pas toujours été satisfaisantes pour vous et vos mandants, a affirmé le secrétaire d’État lors de la réunion en se référant à l’agenda social dans sa globalité. Ce point d’étape doit nous permettre de dresser ce type de constats et de voir comment prévenir ces situations de saisines en urgence ou de transmission tardive des documents de travail.” Et d’ajouter qu’il prenait “l’engagement” de “veiller à limiter ces situations pour l’avenir”. Banco ? Les représentants du personnel le prennent en tout cas au mot.
Réforme “préjudiciable”
Sur le fond de la concertation, la liste des désaccords entre gouvernement et syndicats est longue comme le bras. Concernant le chantier relatif à la révision et à la simplification des instances de dialogue social, l’exécutif maintient en effet son cap au grand dam des représentants du personnel. Du côté des instances chargées des questions collectives, une “nouvelle instance” devrait ainsi être créée à partir des comités techniques (CT) et des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) existants. En fonction d’un seuil d’effectifs (restant à définir), une formation spécialisée pourrait néanmoins être obligatoirement créée au sein de la nouvelle instance collective. Cette formation serait chargée de se prononcer sur les enjeux de santé et de sécurité au travail en lieu et place de l’assemblée plénière.
“Deux instances en une, c’est deux fois moins de temps alloué au travail essentiel des actuels CT et CHSCT, ce qui sera préjudiciable à la qualité de traitement des dossiers sur toutes les questions collectives”, explique notamment la FSU.
Quant aux questions individuelles de travail, la nouvelle organisation des commissions administratives paritaires (CAP) voulue par l’exécutif devrait recentrer ces instances sur leur rôle en matière disciplinaire et en tant qu’organes de recours. Les compétences des CAP, tant sur les mobilités que sur les promotions, pourraient pour leur part disparaître. “Réduire les CAP aux seuls recours et sujets disciplinaires relèverait d’une conception du dialogue social bien peu engageante”, répond notamment la CFDT Fonctions publiques.
Concernant l’élargissement du recours au contrat (par le biais notamment d’un “contrat de mission” d’une durée maximale de six années), ce chantier fera encore l’objet de discussions à la rentrée. Le périmètre pour lequel l’élargissement du recours au contrat est voulu par l’exécutif est effet toujours flou, ce que reprochent les leaders syndicaux au gouvernement.
Nouvelles discussions à la rentrée
Selon le ministère de l’Action et des Comptes publics, ces pistes d’évolution ne sont pas conclusives. La concertation se poursuivra en effet à la rentrée, en particulier sur les chantiers relatifs aux contractuels (leurs conditions d’emploi en particulier), à la révision des politiques de rémunération, avec la fameuse rémunération au mérite, et au renforcement de la politique d’accompagnement des agents publics pendant leur carrière.
La concertation sera ensuite suspendue, probablement fin octobre, pour tenir compte des élections professionnelles du 6 décembre prochain. Elles reprendront ensuite début 2019, avant la présentation d’un projet de loi au premier semestre.
Quoi qu’il en soit, les discussions de la rentrée s’annoncent tout autant agitées que celles intervenues depuis le lancement de la concertation. Une rentrée d’autant plus agitée que les élections professionnelles pousseront davantage les organisations dans des positions de posture.
“Il est indispensable et urgent que vous changiez de cap dans l’intérêt des agents de la fonction publique, des missions publiques et de la population”, a notamment lancé la CGT au secrétaire d’État Olivier Dussopt lors du point d’étape du 18 juillet. “La négociation doit trouver sa place”, estime de son côté la CFDT, rejointe par la Fédération autonome de la fonction publique (FA-FP), qui se dit “prête à s’impliquer dans une réelle démarche de négociation” mais ne “soutiendra jamais et refusera d’accompagner des mesures dont le seul objectif vise à vider le statut de tout son sens”.
La concertation sur la réforme de la fonction publique aura-t-elle (enfin) vraiment lieu ? Pas sûr, tant le gouvernement semble déterminé à faire aboutir ses ambitions concernant le cadre statutaire des agents publics. De quoi pousser certains représentants du personnel à envisager de nouveaux boycotts de réunions et claquements de portes.
ACTEURS PUBLICS / ARTICLE PUBLIE LE MARDI 24 JUILLET 2018 & BASTIEN SCORDIA
Comment les lanceurs d’alerte pourront procéder dans la fonction publique
En application de la loi Sapin II, une circulaire prévoit les conditions d’organisation de la procédure de recueils des alertes.
Les lanceurs d’alerte s’ancrent un peu plus dans la fonction publique. Après la loi sur la déontologie des fonctionnaires d’avril 2016, qui avait instauré une protection pour ces personnes, puis la loi Sapin du 9 décembre 2016, qui a défini les procédures mises en œuvre pour recueillir les signalements, une circulaire de la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP) publiée le 20 juillet vient préciser l’application de cette dernière loi (cliquez-ici pour lire la circulaire).
Pour rappel, est un lanceur d’alerte, en vertu de la loi, “une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance”.
La procédure décrite dans la circulaire du 20 juillet s’applique notamment aux administrations de l’État (administrations centrales, services à compétence nationale, services déconcentrés des administrations de l’État), aux communes de plus de 10 000 habitants, départements et les régions, ainsi que les établissements publics en relevant et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre regroupant au moins une commune de plus de 10 000 habitants. Sont aussi concernées les autorités publiques indépendantes d’au moins 50 agents et les autorités administratives indépendantes, de même toute autre personne morale de droit public ou de droit privé d’au moins 50 agents ou salariés (établissements publics, groupement d’intérêt public, etc.).
Alerter le référent plutôt que le supérieur
L’article 8 de la loi Sapin II, qui s’applique à la fonction publique comme au secteur privé, indique que le destinataire d’un signalement est le supérieur hiérarchique, direct ou indirect, l’employeur ou un référent désigné par celui-ci. Mais la circulaire recommande que le signalement soit plutôt porté à la connaissance du “référent alerte”. Et ce pour préserver l’auteur du signalement des “conséquences” d’un signalement mal orienté. “En tout état de cause, le destinataire, une fois choisi, constitue le seul interlocuteur pour l’auteur du signalement”, dit aussi le texte.
“Les administrations de l’État disposent d’une grande marge de manœuvre quant à l’organisation de la procédure de recueil des signalements et à la désignation du référent alerte, à l’instar de l’organisation existante pour le référent déontologue”,précise la circulaire. Ainsi, un référent alerte peut être désigné pour une ou plusieurs directions d’un même ministère, voire pour plusieurs ministères. De même, le choix peut être fait de mettre en place une organisation collégiale, “mieux à même de répondre aux besoins de l’administration concernée”.
Pour ce qui concerne les conflits d’intérêts, la circulaire rappelle qu’ils ne peuvent faire l’objet d’un signalement, au sens de l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016, que s’ils constituent un délit de prise illégale d’intérêts, une violation grave et manifeste de la loi, ou une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général.
Vérifier la crédibilité des faits
D’une manière générale, la procédure de signalement prévoit une gradation. Le premier niveau de la procédure reste constitué par le signalement interne – procédure de droit commun que les services sont tenus de mettre en place. Pour la DGAFP, l’essentiel des signalements devrait pouvoir être traité à ce stade.
Vient ensuite un deuxième niveau, avec un signalement externe (à des autorités extérieures compétentes), que l’on peut activer en “l’absence de suite donnée dans un « délai raisonnable » au signalement interne”. Le troisième niveau est, lui, constitué par la divulgation publique. “La divulgation au public ne peut intervenir qu’en dernier ressort à défaut de traitement du signalement par ces autorités extérieures dans un délai de trois mois”, indique la circulaire.
Détail qui n’en est pas un : le contrôle de la recevabilité “n’implique pas une vérification approfondie”. En pratique, le destinataire doit “au moins” être en mesure de vérifier dès ce stade si les faits sont suffisamment crédibles.
Le traitement interne constitue une obligation qui repose sur l’autorité publique disposant des moyens d’agir pour mettre fin aux faits et actes qui font l’objet du signalement. “L’absence de diligence de cette autorité pourra avoir pour effet d’engager sa responsabilité et de permettre à l’auteur du signalement de saisir les autorités compétentes externes concernées”, dit le texte.
L’agent mis en cause bénéficie de son côté de garanties de confidentialité. “Les éléments de nature à l’identifier ne peuvent être divulgués, sauf à l’autorité judiciaire, qu’une fois établi le caractère fondé du signalement”, rappelle la circulaire.
ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE MERCREDI 25 JUILLET 2018 & PIERRE LABERRONDO