COMMISSION DEONTOLOGIE
Fonction publique : le détail du nouveau cadre de contrôle des pantoufleurs
Responsabilisation des administrations, recentrage de la Commission de déontologie sur les cas les plus sensibles, création d’un contrôle du rétropantouflage, nouvelles sanctions… Les dispositions relatives au cadre déontologique des agents publics sont nombreuses dans le projet de loi de réforme de la fonction publique. Passage en revue.
De l’aveu des observateurs, c’est une surprise, mais pas une mauvaise nouvelle en soi. Alors que rien ne le laissait présager, le projet de loi de réforme de la fonction publique présenté le 13 février par le gouvernement procède à une réforme en profondeur du cadre déontologique applicable aux agents publics. Et ce moins de trois ans après la promulgation de la loi relative à la déontologie, aux droits et obligations des fonctionnaires initiée par la ministre de la Fonction publique de François Hollande, Marylise Lebranchu, loi qui était venue renforcer les règles sur le cumul d’activités et les départs vers le secteur privé des agents publics.
L’objectif du gouvernement est aujourd’hui très clair et en accord avec les autres dispositions du projet de loi. Avec ce volet “Déontologie”, il s’agit de répondre aux “nouvelles possibilités” en matière de mobilité ou de recrutement via l’élargissement du recours aux contractuels. Et “d’assurer, dans le respect des règles déontologiques, une plus grande fluidité du parcours des agents publics entre le secteur public et le secteur privé afin de leur permettre d’acquérir et de développer des compétences nouvelles et nécessaires au bon fonctionnement des services”, dit l’exécutif dans l’exposé des motifs du texte.
Comme l’explique le député LREM Fabien Matras, le volet “Déontologie” du projet de loi “aura vocation à être enrichi lors de son examen parlementaire”. Un accord aurait été trouvé en ce sens avec le gouvernement Philippe. Pour rappel, ce parlementaire fut le coauteur avec le député LR Olivier Marleix d’un rapport publié en janvier 2018, issu des travaux de la mission d’information sur la déontologie des fonctionnaires et la prévention des conflits d’intérêts. Cette mission avait été instituée en octobre 2017 suite au refus des députés de la majorité d’intégrer dans les lois de moralisation de la vie publique des dispositions du Sénat visant à renforcer la lutte contre les conflits d’intérêts dans la fonction publique [cliquez ici pour consulter les propositions de cette mission d’information].
Affluence de dossiers
Le projet de loi présenté mi-février prévoit d’abord un allégement du nombre d’agents publics qui seront soumis à l’avis de la Commission de déontologie de la fonction publique (CDFP). Seront désormais uniquement concernés les agents occupant des emplois “dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient” et qui partent créer ou reprendre une entreprise ou qui quittent de manière définitive ou temporaire la fonction publique pour le secteur privé.
“Depuis l’entrée en vigueur de la loi du 20 avril 2016 et le caractère obligatoire de la saisine de la Commission dans tous les cas de départs, le nombre de dossiers n’a cessé d’augmenter, explique le conseiller d’État et président de ladite commission, Roland Peylet. Cet allégement des tâches est positif et nécessaire pour que l’on puisse se concentrer sur les cas les plus sensibles.”
Ce désengorgement de la Commission de déontologie est aussi salué du côté de Transparency International, “mais il reste encore une grosse interrogation, à savoir le détail des fonctions et emplois considérés comme les plus sensibles et sur lesquels la commission concentrera désormais son contrôle”, regrette Elsa Foucraut, responsable du plaidoyer au sein de l’ONG. Cette liste, non renseignée dans le projet de loi, fera en effet l’objet d’un décret.
Responsabilisation des administrations
En contrepartie de cet allégement des missions de la Commission de déontologie, le projet de loi prévoit de responsabiliser davantage les administrations sur le cas des “autres” agents – ceux aux fonctions et emplois les moins sensibles donc – qui souhaitent quitter le secteur public. Le circuit de traitement des demandes de l’agent sera ainsi profondément revu grâce à un renforcement du rôle de son autorité hiérarchique et du référent déontologue de son administration.
Ainsi, le fonctionnaire saisira “à titre préalable” l’autorité dont il relève afin d’apprécier la compatibilité de l’activité qu’il envisage dans le secteur privé avec les fonctions qu’il aura exercées au cours des trois dernières années dans le secteur public. Lorsque cette même autorité aura “un doute sérieux” sur cette compatibilité, elle pourra saisir pour avis, préalablement à sa décision, le référent déontologue de sa structure. Si ce dernier “ne s’estime pas en mesure d’apprécier la situation du fonctionnaire”, l’autorité devra alors saisir la Commission de déontologie.
Pour rappel, jusqu’à ce jour, l’ensemble des agents ou, le cas échant, les administrations dont ils relèvent, devaient saisir directement la Commission de déontologie. Et ce, donc, sans passer le filtre du référent déontologue, ce poste créé par la loi du 20 avril 2016 pour aider le fonctionnaire à respecter ses obligations déontologiques. “La déontologie sera désormais véritablement visible dans les administrations grâce à cette responsabilisation des encadrants et à cette légitimisassions du rôle des référents déontologues, et c’était une nécessité, souligne Emmanuel Aubin, professeur de droit public à l’université de Poitiers. La loi de 2016 manquait un peu de souffle”.
Contrôle du rétropantouflage
Autre innovation de taille dans le projet de loi de réforme de la fonction publique : la création d’un contrôle déontologique spécifique pour les agents (fonctionnaires ou contractuels) qui souhaitent revenir ou accéder à la fonction publique après avoir exercé une activité dans le secteur privé au cours des trois dernières années.
“On ne pouvait plus avoir un système qui marche sur une seule jambe, estime le député LREM Fabien Matras, dont le rapport plaidait pour la mise en place d’un contrôle du rétropantouflage. Il y a aujourd’hui une grande dissymétrie : le départ des agents publics dans le secteur privé est encadré et soumis à la Commission de déontologie mais aucune règle ne s’applique en cas de retour ou d’entrée dans le secteur public, ce qui peut entraîner de potentiels conflits d’intérêts”.
Le nouveau contrôle prévu par le projet de loi différera néanmoins selon la situation considérée. Lorsqu’un agent accèdera ou reviendra sur un emploi de directeur d’administration centrale ou de dirigeant d’établissement public de l’État nommé en Conseil des ministres, l’administration dont relèvera l’agent devra automatiquement saisir la Commission de déontologie, qui se prononcera dans un délai de quinze jours. “Ce contrôle était souhaité, mais nous verrons s’il marche vraiment compte tenu des délais assez brefs”, souligne Roland Peylet.
Pour les autres agents dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient (et dont la liste doit encore être précisée par décret), le mécanisme de contrôle sera calqué sur celui effectué par les administrations dont les agents quittent la fonction publique pour le secteur privé. À savoir le filtre éventuel du référent déontologue et, si celui-ci ne s’estime pas en mesure d’apprécier la situation de l’agent, la saisine de la Commission de déontologie. En revanche, aucune modalité de contrôle n’est prévue pour les “autres” agents en cas de retour ou d’arrivée dans le secteur public.
Nouvelles sanctions
Le projet de loi prévoit aussi la mise en place de nouvelles sanctions en cas de non-respect par les agents des obligations déontologiques. Ainsi, si l’agent public souhaitant rejoindre le secteur privé ne saisit pas préalablement son autorité hiérarchique, il se verra soumis aux mêmes sanctions que celles aujourd’hui applicables aux agents ne respectant pas les avis de la Commission de déontologie.
Au menu : des poursuites disciplinaires pour les fonctionnaires, une retenue sur pension dans la limite de 20 % pour les fonctionnaires retraités pendant les trois ans suivant la cessation de leurs fonctions, la rupture du contrat (sans préavis et sans indemnité de rupture) pour les contractuels et aussi l’impossibilité pour l’agent contractuel n’ayant pas respecté ses obligations d’être recruté par l’administration dans un délai de trois ans. Cette dernière sanction n’existait pas jusqu’alors.
ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE JEUDI 21 FÉVRIER 2019 & BASTIEN SCORDIA