TEMPS DE TRAVAIL
Ce que contient le rapport explosif de l’I.G.F sur le temps de travail dans la fonction publique d’État
Selon un rapport de l’inspection générale des Finances (IGF) révélé par Le Figaro, 310 000 agents de l’État travaillent moins que la durée légale de 1 607 heures. Pour 190 000 d’entre eux, cette situation résulte soit d’un “effet d’imitation”, soit du fait de la survivance de dispositifs anciens. Or la plupart de ces dérogations ne sont plus justifiées, estime la mission d’inspection, qui appelle une véritable remise à plat de ces régimes.
C’est un rapport explosif sur le temps de travail dans la fonction publique d’État, rédigé au pas de charge et qu’a remis en février l’inspection générale des Finances (IGF) au ministère de l’Action et des Comptes publics. Consacré spécifiquement aux régimes dérogatoires aux 35 heures dans ce versant de la fonction publique, ce document, dévoilé mardi 26 mars par Le Figaro, avait été commandé par le ministre Gérald Darmanin et le secrétaire d’État placé à ses côtés, Olivier Dussopt, en novembre dernier pour dresser un diagnostic “quantitatif et qualitatif” de ces situations et proposer des pistes d’évolution en cas de dérogations non justifiées. Le tout dans le cadre de la réforme en préparation de la fonction publique, qui prévoit déjà de revoir les régimes dérogatoires dans la territoriale.
Bilan de la mission d’inspection menée tambour battant (ses travaux ont duré deux mois environ) : sur le quelque 1,1 million d’agents dont les régimes horaires de travail ont été examinés (hors enseignants, magistrats, porteurs d’uniformes tels que les militaires et les gendarmes), 310 000 “au moins” ont une durée de travail inférieure au seuil légal de 1 607 heures annuelles.
Ce constat “a mis en exergue plusieurs cas d’incohérence et de régimes dépourvus de justifications. […] Sauf cas exceptionnels, les situations actuelles n’ont pas de raisons de perdurer et impliquent qu’il y soit mis fin”, explique le rapport de l’IGF, piloté notamment par l’inspecteur général des finances Alexandre Jevakhoff, ancien directeur adjoint du cabinet de Michèle Alliot-Marie au ministère de la Défense, de l’Intérieur, de la Justice et des Affaires étrangères.
Avec une trentaine de recommandations à la clé, la mission considère qu’“au-delà de la possibilité, voire de la nécessité, de remettre en cause la quasi-totalité des régimes dérogatoires actuels”, son constat “reflète l’absence de véritable politique de l’État s‘agissant des régimes horaires de travail applicables”. Mais compte tenu des délais impartis, “tous les éléments” figurant dans le présent rapport “n’ont pas pu donner lieu à une vérification contradictoire”, précise l’IGF, dont le rapport très sensible a visiblement été rédigé au pas de charge.
Effet d’imitation et dispositifs historiques injustifiés
Dans le détail, sur les 310 000 agents désignés par la mission, près de 120 000 agents bénéficient de compensations horaires liées à des sujétions particulière inhérentes à l’exercice de leurs fonctions et travaillent 1 538 heures par an. Des dispositifs marqués par plusieurs dysfonctionnements, que la mission d’inspection appelle à corriger, notamment pour les personnels affectés aux fonctions d’accueil du public et de la délivrance des titres en préfectures ou encore pour les inspecteurs vétérinaires (leur temps d’habillage notamment).
Les autres 190 000 bénéficient aussi de régimes de travail “plus favorables” que la règle des 1 607 heures et travaillent en moyenne 1 555 heures par an. Une situation qui résulte soit d’un “effet d’imitation” pour 160 000 d’entre eux, soit du fait “de la survivance de dispositifs historiques dont les justifications sont faibles, voire quasiment inexistantes” pour les 30 000 autres agents.
Dans la première situation, les personnels concernés bénéficient ainsi de compensation horaire de même nature que leurs collègues ayant des sujétions particulières mais “sans y être soumis pour autant”. C’est le cas notamment de près de 150 000 agents administratifs et techniques du monde de l’éducation, qui bénéficient d’un régime de travail assis sur le calendrier scolaire et dont le nombre de semaines de congés est supérieur aux cinq semaines légales accordées aux enseignants.
Parmi les exemples cités par la mission d’inspection : les quelque 13 000 conseillers principaux d’éducation (CPE), dont la durée annuelle de travail est estimée à 1 350 heures. Dans le viseur de l’IGF, notamment, les 4 heures hebdomadaires laissées sous leur responsabilité pour l’organisation de leurs missions, pour lesquelles l’inspection doute du contenu des tâches effectivement réalisées. Compte tenu de l’effectif global des CPE, “il ressort que plus de 3 200 000 heures sont dues à l’administration chaque année”, estime le rapport, soit près de 2 000 effectifs travaillant 1 593 heures par an (l’obligation de service de ces agents).
Concernant les quelque 6 500 psychologues de l’éducation nationale, ceux-ci bénéficient aussi du calendrier scolaire, “mais jouissent par ailleurs de durées hebdomadaires de travail réduites du fait de leurs déplacements”. Leur temps de travail est estimé à 1 306 heures annuelles. La mission note par ailleurs que 129 000 personnels des fonctions support de l’éducation en services déconcentrés et établissements d’enseignement et de formation bénéficient du décompte de jours fériés considérés comme travaillés.
Cet effet d’imitation concerne aussi le ministère de la Justice, où 5 300 agents chargés de fonctions administratives et techniques affectés dans les établissements pénitentiaires et directions territoriales de la protection judiciaire de la jeunesse bénéficient de 5 jours de repos compensateur “normalement dus aux surveillants et éducateurs”. La remise en cause de ces jours au bénéfice de ces agents “générerait un gain équivalent à 181 500 heures par an, soit 113 postes travaillant 1 607 heures”, estime l’IGF.
Semaines “Malraux”, “d’hiver” et jours “ministre”
S’agissant des dispositifs historiques maintenus lors du passage aux 35 heures, la mission d’inspection appelle notamment à mettre fin au dispositif des jours de fractionnement (jours supplémentaires) accordés aux agents de l’État, dont le caractère automatique n’a plus lieu d’être, selon elle. L’IGF pointe aussi le fait qu’au ministère des Armées, 30 000 personnels civils bénéficient d’au moins un jour de congé supplémentaire lié à leur ancienneté sans imputation sur le calcul des jours de RTT.
Dans plusieurs ministères par ailleurs, l’aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) “ont plutôt donné lieu à la consécration qu’à la remise en cause de jours chômés qui existaient jusqu’alors”, ajoute le rapport. Ainsi, au sein du secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales et de plusieurs de ses opérateurs, la mise en place de l’ARTT “n’a pas remis en cause” l’existence de 5 jours de congés s’ajoutant aux 25 jours de congés annuels, correspondant à la “semaine d’hiver”. En 2016, plus de 1 065 agents au sein des directions relevant du secrétariat général bénéficiaient ainsi de cette “semaine d’hiver”.
D’autres ministères sont également concernés par ce type de situation : au ministère de l’Intérieur, les agents bénéficient de 32 jours de congés dont 2 supplémentaires liés à la reprise des anciens “jours ministre”, tandis qu’au ministère de la Culture et dans les opérateurs qui en relèvent, les agents bénéficient de 7 jours de congés supplémentaires qui correspondent à la reprise des 5 jours chômés, hors cadre réglementaire, d’une semaine dite semaine Malraux et à 2 “jours ministres” qui existaient auparavant. Cette “semaine Malraux” avait déjà été épinglée par une mission interministérielle confiée au conseiller maître honoraire de la Cour des comptes, Jacques Roché, par le ministre PRG de la Fonction publique Émile Zuccarelli, en janvier 1999…
ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE MARDI 26 MARS 2019 & BASTIEN SCORDIA
La FSU dénonce une “manœuvre” gouvernementale
Suite à la fuite du rapport de l’IGF commandé par l’exécutif sur le temps de travail dans la fonction publique d’État, la FSU a dénoncé la “manœuvre gouvernementale” consistant à présenter, “une fois de plus”, la fonction publique “uniquement comme une dépense ou du gaspillage”. “Si des discussions doivent s'ouvrir sur le temps de travail des agents, ce ne peut être que sur un diagnostic sérieux et partagé et sur tous les sujets afférant au temps de travail”, a indiqué l’organisation syndicale. Et d’estimer qu’à la veille de la présentation du projet de loi de réforme de la fonction publique en Conseil des ministres, mercredi 27 mars, la “ficelle est vraiment trop grosse pour être honnête”. “Quelle aubaine que de pouvoir encore une fois stigmatiser (les agents) comme détenteurs de prétendus privilèges !” a-t-elle ajouté. Dans un communiqué, l’Unsa Territoriaux se dit pour sa part “pour le moins surprise” des propos tenus par le ministre Gérald Darmanin ce 26 mars sur RTL, où ce dernier a indiqué que les fonctionnaires territoriaux ne feraient que 1 578 heures au lieu des 1 607 heures annuelles réglementaires. Il s’appuie, affirme l’Unsa, “sur des chiffres anciens”, issus d’une étude réalisée sur la période 2013-2014 et citée dans le rapport de Philippe Laurent (le maire UDI de Sceaux) sur le temps de travail dans la fonction publique, publié en 2016. “Il fait fi, d’une part, du mouvement d’envergure mené par les élus locaux depuis cette date pour imposer sans compensation les 1 607 heures (et), d’autre part, des dispositifs particuliers qui permettent de réduire le temps de travail des agents qui travaillent de nuit, le dimanche, en horaires décalés, en équipes, ou qui subissent une modulation importante du cycle de travail ou réalisent des travaux pénibles ou dangereux”, précise l’organisation. Et d’ajouter que les fonctionnaires territoriaux “assurent des fonctions de proximité appréciées de nos concitoyens et ne bénéficient pas d’une rente de situation, comme le laissent penser les déclarations ministérielles”.