INNOVATION
En Occitanie, une fabrique à robots pour automatiser les tâches répétitives des agents
Après avoir expérimenté avec succès plusieurs robots pour automatiser certaines tâches, mineures mais nombreuses et répétitives, des agents des différents départements, la préfecture de région Occitanie va mettre sur pied son propre centre mutualisé de conception et de développement de ces petits robots, très efficaces pour gagner du temps et absorber les pics de charge.
Loin des promesses lointaines et pas toujours très réalistes de l’intelligence artificielle, les “RPA” font leur bonhomme de chemin dans le secteur public. Derrière cet acronyme barbare, se cache la “robotisation des processus”, ou comment automatiser une série de petites tâches manuelles réalisées par un agent pour instruire un dossier, par exemple. “Plus le volume est important, et plus les gains le sont également”, résume Jérôme Bellurot, chef du pôle numérique de la préfecture du Tarn-et-Garonne. Il fut l’un des premiers à solliciter le laboratoire d’innovation d’Occitanie (Lab’O) pour expérimenter ces petits robots.
Tout a commencé au moment du Brexit, lorsque ses services se sont retrouvés saturés de demandes de titres de séjour de la part des Britanniques habitant la région. Face au pic d’activité, la préfecture recourt à la bonne vieille méthode du recrutement de vacataires pour vérifier les dossiers et ressaisir un certain nombre d’informations, mais ne parvient toujours pas à résorber le stock. “En quinze jours, nous avons construit et déployé un robot fonctionnel et fait passer la durée de traitement de chaque dossier de 30 minutes à seulement 5 minutes”, poursuit le chef de pôle. En trois semaines, le robot écoule le stock et les vacataires peuvent même être redéployés sur d’autres tâches.
Un coût de 15 000 à 40 000 euros et un délai de quinze jours
Rétrospectivement, Jérôme Bellurot comme le Lab’O reconnaissent qu’il ne s’agissait peut-être pas du cas le plus pertinent d’automatisation, car le robot n’a finalement été déployé que pendant quelques semaines. “L’automatisation est vraiment intéressante lorsqu’on se concentre sur les processus les plus récurrents, à gros volumes, et donc les plus irritants”, souligne Alice Vilcot, la responsable du Lab’O, dont l’un des principaux champs d’action est justement la dématérialisation des procédures non couvertes par des applications développées et mises à disposition au plan national.
C’est dans l’interstice de ces applications nationales que les RPA ont toute leur place, pour combler leurs lacunes. “La conception et le déploiement d’un robot pour un coût situé entre 15 000 et 40 000 euros selon son degré d’intelligence prend une quinzaine de jours seulement”, précise Alice Vilcot. Quand la mise à jour ou le développement d’une application nationale peut prendre des mois, voire des années.
Robots à tout faire
Fort de l’expérience du robot “spécial Brexit”, le Lab’O a poursuivi ses explorations et a déployé aujourd’hui une petite dizaine d’automates dans différents services pour accomplir toutes sortes de tâches, du moment qu’elles sont répétitives. Dans le Tarn-et-Garonne, le traitement de plusieurs démarches liées aux étrangers, dont les services instructeurs sont régulièrement saturés, a ainsi été automatisé, avec des gains de temps importants pour les agents : 60 heures par an pour la demande de changement d’adresse des étrangers. Sans compter que les robots pourraient, si nécessaire, travailler nuit et jour, 7 jours sur 7, pour absorber les pics de charge et garantir la continuité du service.
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En Haute-Garonne, la préfecture a déployé un robot pour automatiser l’instruction des demandes de dotations aux collectivités. La préfecture traitait plus de 1 000 dossiers par an, avec une durée moyenne de traitement, par l’agent, de 5 minutes.
Cela ne paraît rien, mais cumulées, ces 5 minutes par dossier représentent tout de même 84 heures de travail de ressaisie par an. D’autant qu’un robot peut ensuite être dupliqué pour être déployé dans un autre département.
C’est notamment le cas d’un robot destiné à faciliter le recrutement et la gestion des nombreux vacataires mobilisés pour la mise sous pli de la propagande pour les élections, développé pour le Tarn-et-Garonne, puis repris par la Haute-Garonne. Le robot est chargé de vérifier la fiabilité du dossier et de ressaisir un certain nombre de données dans diverses applications, pour s’assurer par exemple que le nom figurant sur le RIB ou la carte Vitale et celui inscrit dans le dossier déposé coïncident bien. “Le gain est radical : simplement avec un robot à 30 000 euros, et en projetant les gains obtenus dans le 82 [Tarn-et-Garonne, ndlr] sur les 2 autres départements, on économise 42 semaines de travail, soit un temps plein pendant dix mois”, souligne Alice Vilcot.
Besoins partagés, réponse commune
Le Lab’O s’est rendu compte, petit à petit, en déployant des robots pour différentes préfectures de département de la région, que les besoins étaient relativement proches, pour ne pas dire équivalents. Et surtout très nombreux, trop nombreux. À tel point que le Lab’O a dû mettre un coup de frein. Soit il arrêtait tout, soit il repensait en profondeur le modèle de cette usine à robots, dont le développement était confié à EY, l’un des 3 prestataires du laboratoire d’innovation. “Le prestataire nous a proposé de constituer un centre régional pour développer en interne des robots adaptés aux besoins des différents départements tout en harmonisant les pratiques et processus”, explique Alice Vilcot. Et ainsi adapter les robots au fonctionnement des services, plutôt que l’inverse…
Ledit centre sera lancé le 19 octobre et fonctionnera grâce à une vingtaine d’agents des différents départements, formés pour l’occasion au développement ou à l‘analyse fonctionnelle pour identifier les besoins et processus métiers. Le prestataire, EY, est chargé de la structuration du centre, mais n’interviendra ensuite plus qu’en soutien sur les robots les plus complexes.
Reste encore à définir la feuille de route et le plan de charge pour les services qui y envoient certains de leurs agents, mais le Lab’O regorge déjà d’idées d’automates, dans les domaines de la gestion RH et budgétaire notamment.
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Le modèle dessiné par la préfecture de région Occitanie pourrait d’ailleurs bien essaimer ailleurs en France. “Depuis que nous avons présenté le projet en juillet aux autres Sgar [secrétaires généraux pour les actions régionales, ndlr], je suis assaillie d’appels”, témoigne Alice Vilcot. Après la mutualisation au niveau régional, le plus intelligent ne serait-il pas de mutualiser au niveau national ?
ACTEURS PUBLICS : article publie le vendredi 30 septembre 2022 & EMILE MARZOLF