DEMARCHES ADMINISTRATIVES
4 grands services publics épinglés pour leur (in)accessibilité au téléphone
Le magazine 60 millions de consommateurs a passé plus de 1 500 appels téléphoniques à 4 grands services publics. Dans la moitié des cas, ses “usagers mystères” n’ont jamais eu personne au bout du fil. Dans l’autre moitié, la qualité des réponses n’a pas été au rendez-vous.
Personne ne remettrait en question les avantages d’un service public numérisé, accessible en quelques clics et à toute heure. Plus personne n’ignore non plus que cette dématérialisation à marche forcée complique la vie d’un grand nombre d’usagers dès lors qu’ils font face à un problème. Avec, au premier rang, les usagers déjà vulnérables, que ce soit parce qu’ils ne maîtrisent pas bien le français ou les outils numériques, ou parce qu’ils n’ont tout simplement pas accès à Internet.
“Le numérique est un progrès, mais uniquement s’il s’accompagne du maintien d’un accès alternatif et de qualité aux services publics”, a rappelé Daniel Agacinski, délégué à la médiation auprès de la défenseure des droits, à l’occasion de la présentation, ce jeudi 26 janvier, d’une enquête réalisée avec le magazine 60 millions de consommateurs pour vérifier dans la pratique si le téléphone constitue bien l’une de ces alternatives au numérique.
Entre fin septembre et début novembre derniers, ses usagers mystères ont passé plus de 1 500 appels téléphoniques auprès de 4 grands opérateurs de l’État afin d’obtenir des informations sur leurs prestations et d’effectuer des formalités de base : l’assurance maladie, l’assurance retraite, Pôle emploi et la Caisse nationale d’allocations familiales (Cnaf).
Les appelants ont endossé 4 rôles : celui d’un usager maîtrisant Internet, d’un senior, d’un usager à l’accent étranger prononcé, et enfin d’un usager d’âge moyen mais n’ayant pas accès à Internet.
Le ministère de l’Intérieur rappelé à l’ordre sur la dématérialisation des démarches
Seule conclusion positive : les appelants ont globalement eu affaire à des agents cordiaux et polis. Mais ça, c’est pour les appels ayant abouti. Car dans bien plus de la moitié des cas (57 %), personne n’a décroché le téléphone. Et quand c’était le cas, la qualité des réponses n’a pas été satisfaisante, les agents se contentant bien souvent de renvoyer vers le site Internet de l’opérateur… même lorsque les usagers avaient précisé n’avoir aucun accès à Internet.
La Sécurité sociale à la traîne
Les différents organismes testés affichent toutefois des résultats très différents. L’assurance maladie est bonne dernière, avec seulement 28 % d’appels décrochés. “La Cnam est quasiment injoignable, et quand l’appel aboutit, la réponse est rarement satisfaisante”, observe Lionel Maugain, qui a piloté l’étude pour 60 millions de consommateurs. Seuls 22 % des usagers disent avoir obtenu une réponse “acceptable” à leur demande d’information sur les formalités nécessaires pour obtenir ou renouveler leur carte Vitale, et seulement 5 % disent avoir obtenu une réponse conforme à la demande.
“Il n’est pas acceptable de laisser les usagers jouer à la loterie pour espérer accéder à une information de qualité”, a déploré Lionel Maugain, à qui l’assurance maladie explique ne pas parvenir à recruter suffisamment d’opérateurs pour répondre à la hausse des demandes des usagers depuis la pandémie.
84 % des démarches phares de l’État sont réalisables sur Internet
L’assurance retraite affiche, elle, un bon “taux de décroché” : 72 %. Mais là encore, la qualité des réponses laisse à désirer : seuls 5 % des enquêteurs ont obtenu une réponse précise quant à leur âge de départ à la retraite. Seul Pôle emploi fait figure de bon élève.
Ses agents ont répondu à 84 % des appels et donné une information satisfaisante dans la moitié des cas à la question “comment toucher l’allocation chômage après un CDD de six mois payés au Smic ?” Certains ont même eu droit à une simulation par téléphone, même si la plupart ont été renvoyés vers le site Internet de Pôle emploi.
Maintenir de véritables canaux alternatifs
Malgré des points positifs par rapport à sa précédente enquête, menée en 2016 – comme la fin des numéros surtaxés, le lancement d’un “plan téléphone” par le gouvernement et le recul des discriminations liées à l’âge ou à l’origine des appelants –, 60 millions de consommateurs fait le constat d’un service public très inégalement accessible pour les personnes éloignées du numérique. “Certains enquêteurs sont parvenus à obtenir une réponse conforme à la demande, ce qui montre que c’est possible, même par téléphone, mais cela reste trop rare”, conclue Lionel Gaudin. L’organisme de défense des consommateurs fait notamment siennes les recommandations portées depuis plusieurs années par le défenseur des droits.
Accès au service public : la défenseure des droits veut stopper le “tout-numérique”
60 millions de consommateurs plaide ainsi pour inscrire dans la loi le maintien de plusieurs modalités d’accès au service public, en parallèle du numérique, et pas seulement en complément pour apporter une forme d’assistance aux démarches en ligne. “Les acteurs publics portent un discours très fort sur le multicanal, le développement du téléphone et l’accessibilité, mais cela doit être suivi par des actes”, estime Daniel Agacinski, qui préconise également de déployer partout des guichets de services publics composés de spécialistes de chaque organisme et pas seulement des agents d’accueil. Comme le proposent, tant bien que mal, les France services, où des rendez-vous en “visio” peuvent être réservés avec des agents spécialisés.
“Ce qui importe, c’est la capacité de l’agent à savoir et à pouvoir intervenir sur le dossier de l’usager, mais aujourd’hui, l’accès à ces techniciens en France services est très inégal en fonction des départements”, constate le délégué général du défenseur des droits.
ACTEURS PUBLICS : article publie le jeudi 26 janvier 2023 & EMILE MARZOLF