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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

HAUTE FONCTION PUBLIQUE

15 Juillet 2023 , Rédigé par FO Services Publics 51

Une incitation financière pour pousser les hauts fonctionnaires à exercer leur droit à l’erreur

Véritable changement culturel, le “droit à l’erreur” promis par la Première ministre, Élisabeth Borne, pourrait passer par l’introduction d’un critère spécifique dans le régime indemnitaire des cadres supérieurs de l’État, qui récompenserait “ceux qui tentent des choses même s’ils n’y parviennent pas”. Une idée perçue de manière positive par certains. Les hauts fonctionnaires attendent néanmoins des exemples concrets.

Les hauts fonctionnaires vont-ils désormais pouvoir se “planter” sans pour autant en subir les conséquences ? Devant un parterre issu de la haute fonction publique, mi-mai, la Première ministre, Élisabeth Borne, avait surpris son monde en promettant la reconnaissance d’un droit à l’erreur en faveur des cadres supérieurs de l'État, tout en les appelant à innover pour accélérer l’exécution des réformes du gouvernement.  

“Qu’on essaie, qu'on tente ou qu’on invente de nouvelles manières de fonctionner, il y a un corollaire : parfois on échoue, et dans notre culture administrative, on n’aime pas beaucoup l’échec, il est souvent perçu comme une faute qui pourrait peser sur un parcours de carrière”, avait souligné la cheffe du gouvernement. Avant de lancer aux cadres supérieurs : “Vous avez, vous aussi, le droit à l’erreur sans que celui-ci puisse vous être reproché, l’initiative et l’audace ne doivent jamais être préjudiciables.” Reste encore à mettre en œuvre ce droit à l’erreur, ce qui, dans la haute fonction publique, représente un vrai changement culturel.  

“Valoriser davantage la prise de risque” 

À Matignon, on le promet, l’incarnation de ce droit à l’erreur ne passera pas par les textes, mais par un changement des pratiques RH. Cette question “est liée aux sujets d'expérimentation et de dérogation aux normes”, explique l‘entourage d’Élisabeth Borne, laquelle a d’ailleurs appelé les préfets à utiliser davantage leur pouvoir de dérogation aux normes.  

Surtout, ajoute-t-on à Matignon, “il faut sans doute changer la façon dont on évalue actuellement les cadres supérieurs pour donner plus de liberté à ceux qui veulent tester des choses, et valoriser davantage la prise de risque”. L’ambition affichée par le gouvernement rejoint ici la philosophie de la récente réforme des rémunérations de la haute fonction publique et notamment du régime de primes des hauts fonctionnaires (le Rifseep), dont la part variable (le complément indemnitaire annuel, ou CIA) récompense désormais “davantage l’engagement” et les “résultats”.  

Dans cette part variable, le gouvernement ambitionne aussi d’introduire un “critère qui encourage l’innovation et l’expérimentation”. “Autrement dit un droit à l’erreur, confirme-t-on dans l’entourage d’Élisabeth Borne. Ce critère permettrait de récompenser les cadres qui tentent quelque chose même s’ils n’y parviennent pas”, développe-t-on. De belles promesses qui doivent encore être concrétisées dans les faits.  

Frein psychologique et “syndrome du bon élève”

Toujours est-il que les propos de la Première ministre n’ont pas laissé les hauts fonctionnaires indifférents. “Le sujet du droit à l’erreur est très profond, commente l’un d’entre eux. Surtout auprès de ceux à qui on a appris à ne jamais dire « je ne sais pas »”. 

Pourtant, l’incitation à la prise de risque était déjà dans le principal message d’Emmanuel Macron lors de ses premiers vœux aux corps constitués en tant que président de la République, en 2018. “Ce qui m’est paru essentiel et plus original dans le message de la Première ministre, c’est l’invitation à penser l’action publique dans une logique de coalition avec des collectivités locales, des entreprises, des associations, analyse un haut fonctionnaire. C’est une évolution majeure du discours gouvernemental, déjà mise en avant par le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques, Stanislas Guerini, et désormais portée de manière encore plus forte.”  

Pour autant, le premier frein à la prise de risque des hauts fonctionnaires semble être de nature psychologique. “Nous, hauts fonctionnaires, nous interdisons trop souvent d’incarner l’intérêt général et de faire confiance au bon sens, estime l’un d’entre eux. Nous avons le syndrome du bon élève et rechignons à explorer au-delà de ce qui est formellement validé. Nous devons sortir de l’anonymat et accepter d’être un visage, un cœur battant de la République.” 

Sortir de l’anonymat 

Si cette fameuse notion de “droit à l’erreur” peut être perçue de différentes manières, certains la comprennent davantage comme une incitation à oser et à ne pas se censurer dans une interprétation systématique de la norme. Il s’agirait en somme de sortir de l’attitude qui consiste à “identifier de préférence les risques au lieu de les apprécier, ne pas saisir l’opportunité du silence du droit et préférer ne rien faire si le terrain n’est pas balisé”, souligne une haute fonctionnaire.  

Car la prise de risque peut produire des erreurs et ses effets sur l’usager, la hiérarchie et potentiellement sur la carrière du haut fonctionnaire peuvent être significatifs. “Je comprends donc l’injonction de la Première ministre comme une injonction au courage à la créativité et à la prise de risque, détaille l'une d’entre eux. Ce courage nécessite une solidarité qui est également à démontrer.” 

Dans un monde en profonde transformation, y compris dans la sphère publique, il semble normal que les hauts fonctionnaires contribuent activement à ce mouvement en investissant les marges de manœuvre possibles. “Qu’ils assument une part du risque que cela implique n’est pas non plus choquant, poursuit une cadre supérieure de l’État. Cela nécessite un discours fort sur le droit à l’erreur, mais surtout des preuves et des exemples de ce que cela implique.”

Marges de manœuvre encore insuffisantes

Pour l’heure, les marges de manœuvre laissées aux administrations centrales semblent insuffisantes. “Il faut inventer de nouvelles manières, non quantitatives, de se soucier de l’impact de l’action publique. Cela suppose de s’éloigner de la logique des tableaux de bord et des indicateurs de performance, conclut un haut fonctionnaire. Ce qu’il faut faire advenir, c’est la logique des coalitions d’acteurs mentionnée avec force par la Première ministre dans son intervention.”

Une prise de risque qui ne se fera donc pas sans “renverser la table”. Neanmoins, ce changement de culture ne se décrète pas et reste difficile à mettre en œuvre du jour au lendemain. D'autant que la question de la prise de risque en pose une autre : celle de la responsabilité, en cas de problème.

Un point clé à résoudre pour susciter la confiance chez les hauts fonctionnaires et qui reste à ce stade absent du discours gouvernemental, hormis peut-être au travers de sa récente réforme du régime de responsabilité des gestionnaires publics. Elle implique que cette responsabilité ne peut désormais être engagée que pour les fautes “les plus graves” commises par les gestionnaires publics, à condition que le préjudice financier soit “significatif”. “Cette réforme renvoie la responsabilité financière sur la tête de l’ordonnateur : la Cour des comptes tiendra-t-elle compte de cette nouvelle recommandation gouvernementale… ?” s’interroge un haut fonctionnaire. 

ACTEURS PUBLICS : article publie le vendredi 30 juin 2023 

BASTIEN SCORDIA, MARIE MALATERRE ET EMILE MARZOLF

 

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