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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

Didier Migaud : “La Cour des comptes ne réclame rien et n’a aucune prétention expansionniste”

16 Août 2016 , Rédigé par FO Services Publics 51

Didier Migaud :  “La Cour des comptes ne réclame rien et n’a aucune prétention expansionniste”

Didier Migaud :

“La Cour des comptes ne réclame rien et n’a aucune prétention expansionniste”

 

Dans un entretien exclusif à Acteurs publics, le Premier président de la Cour des comptes s’inquiète des dépenses supplémentaires annoncées au cours de l’année 2016 par le gouvernement, estimées à 0,3 point de PIB pour 2017. La Cour des comptes a dévoilé, mercredi 29 juin, son rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques. Didier Migaud dénonce aussi la faible culture de l’évaluation des politiques publiques en France.


 

Êtes-vous confiant quant au respect par la France de ses engagements sur le déficit pour 2016 ?
La prévision de déficit de 3,3 points de produit intérieur brut (PIB) en 2016 est atteignable. Mais la réduction du déficit, effectif comme structurel, serait limitée et ne permettrait toujours pas de faire baisser le poids de la dette publique dans le PIB, qui resterait donc supérieure à 96 points de PIB en 2016. Le respect de l’objectif de déficit exige toutefois une gestion très stricte des dépenses, notamment de l’État, pour lequel les risques de dépassement de la norme sont très élevés. Il ne laisse aucune place à des décisions nouvelles conduisant à des hausses de dépenses.

Le gouvernement promet de bâtir un budget 2017 avec un déficit de 2,7 % et, dans le même temps, de réduire l’effort sur la baisse des dotations aux collectivités, de relever le point d’indice des fonctionnaires et de faire un geste fiscal envers les ménages les plus modestes. Est-ce possible selon vous et si oui, à quelles conditions ?
Les nombreuses annonces de nouvelles dépenses publiques ne sont, pour le moment, ni financées ni gagées par des économies pérennes. Elles font peser en 2016 un risque sur le scénario de finances publiques sur lequel les pouvoirs publics sont engagés ; mais plus encore sur celui des années suivantes. De nombreuses dépenses supplémentaires annoncées au cours de l’année 2016, concernant la masse salariale notamment, pèseront en effet essentiellement en 2017 et continueront de monter en charge les années ultérieures.

Le gouvernement est-il bien parti pour respecter son programme de réduction de la dépense publique de 50 milliards d’euros entre 2015 et 2017 ?
L’analyse du programme de stabilité montre qu’il suppose une réduction inédite de la dépense publique en volume, hors charge d’intérêts, entre 2016 et 2019. Or le gouvernement ne documente pas les réformes qu’il faudrait mettre en œuvre pour atteindre un tel objectif et les politiques mises en œuvre ces dernières années ne sont guère porteuses d’économies à moyen terme. Au contraire, la hausse programmée des dépenses militaires, les mesures annoncées en début d’année concernant l’emploi, les mesures en faveur des jeunes, la modération de l’effort demandé aux communes et intercommunalités, la hausse du point de la fonction publique et les revalorisations annoncées des carrières de certaines catégories de fonctionnaires vont pousser les dépenses à la hausse, à hauteur d’environ 0,3 point de PIB en 2017. De plus, la Cour a estimé que le montant d’économies réalisé en 2015 (12 milliards d’euros) est réel, mais sensiblement inférieur au montant affiché par le gouvernement (18,1 milliards d’euros). Les risques qui pèsent sur la réalisation, dès 2017, de la trajectoire de dépenses et de solde du programme de stabilité sont donc très importants.

"La situation de déficit chronique des comptes sociaux me semble la plus inacceptable."

Le niveau de la dépense publique en France est-il trop élevé ?
La Cour n’a pas d’a priori idéologique sur le sujet. Le niveau des dépenses publiques, qui est le reflet d’un choix de société, relève de décisions politiques. La question importante, c’est de confronter le niveau de la dépense publique en France – objectivement et incontestablement élevé – avec les résultats des politiques publiques. Or en la matière, malheureusement, les résultats ne sont souvent pas à la hauteur des sommes engagées. Les travaux de la Cour montrent qu’il existe, au sein des crédits alloués aux politiques publiques, des marges d’efficacité et d’efficience qu’il convient d’exploiter avant de chercher à modifier le niveau des crédits alloués. Tout n’est pas qu’une question de moyens.

Des 3 piliers de la dépense publique (État, collectivités, Sécurité sociale), lequel vous paraît-il dans la situation la plus préoccupante ?
La situation de déficit chronique des comptes sociaux me semble la plus inacceptable, car il s’agit clairement d’un report vers les générations futures de dépenses courantes qui bénéficient principalement aux générations actuelles. C’est injuste !

La réforme territoriale conduite depuis 2012 va-t-elle permettre de réduire les dépenses des collectivités locales ?
La dégradation de la situation financière des collectivités locales provient avant tout de la progression de leurs dépenses de fonctionnement, plus rapide que celle de leurs recettes de fonctionnement. Or les juridictions financières constatent que des marges d’efficacité existent au sein de ces dépenses. Toute réforme qui a des effets sur ces postes est donc la bienvenue. La dynamique des dépenses des collectivités locales s’explique en partie par des effets de structure, notamment au sein du bloc communal, où la mutualisation entre intercommunalité et communes membres est insuffisante. Elle tient également, voire surtout, à la progression des dépenses de fonctionnement, notamment des dépenses de personnels, qui en composent les deux tiers. Certes, les dépenses des collectivités locales peuvent être influencées par des décisions de l’État. Ce sera encore le cas en 2016. Mais ce n’est pas l’explication principale. Ainsi, concernant les dépenses de personnel, la Cour a estimé en moyenne à 42 %, en 2014 (soit environ 1 milliard d’euros), la part des augmentations dues aux mesures nationales. Cette part laisse donc une marge aux collectivités territoriales pour mieux maîtriser la croissance de leur masse salariale. Nombre d’entre elles ont d’ailleurs commencé à le faire en 2015 : alors que l’impact des mesures nationales a été plus faible (compris entre 570 millions d’euros et 670 millions d’euros), les dépenses de rémunérations hors cet impact ont été ralenties. Cet effort doit être poursuivi en 2016 et au-delà.

Plaidez-vous pour que les dépenses des collectivités locales fassent l’objet d’un vrai débat au Parlement à travers un projet de loi annuel de financement ?
C’est un objectif légitime du point de vue de la Cour. Les engagements de la France vis-à-vis de nos partenaires européens incluent les finances publiques locales. Il est donc souhaitable que leur évolution fasse l’objet d’une programmation cohérente avec les autres piliers de la dépense publique. Ceci n’est évidemment pas incompatible avec le principe selon lequel les collectivités territoriales s’administrent librement, puisqu’il est prévu que cette liberté s’exerce dans les conditions fixées par la loi. Il n’y a pas, dans une démocratie équilibrée, de principe de liberté absolue.

"Je ne dirai jamais que la fonction publique et son organisation sont en elles-mêmes incompatibles avec la maîtrise de la dépense."

Le débat présidentiel va porter notamment sur le niveau de dépense publique et en particulier sur les effectifs de fonctionnaires. La Cour des comptes alerte depuis plusieurs années sur le dérapage de la masse salariale. Comment faire pour mieux la contrôler ?
Tout d’abord, il convient de rappeler que la progression de ces dépenses s’est ralentie. Le message de la Cour a été entendu. D’une manière générale, et ceci vaut pour les trois versants de la fonction publique, les recommandations de la Cour portent sur la nécessaire instauration d’une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, sur la qualité des systèmes d’information des ressources humaines, sur le respect du cadre légal en matière indemnitaire et de temps de travail… Au-delà, il s’agit de rappeler aux pouvoirs publics les leviers dont ils disposent pour respecter leurs propres engagements : les effectifs, donc les recrutements, la dynamique des rémunérations sur le plan collectif (avec l’évolution du point d’indice) et individuel, enfin, la durée du travail. L’évolution de la masse salariale de la fonction publique faisant l’objet d’objectifs chiffrés, il convient que les décisions prises sur ces trois leviers soient cohérentes avec ces objectifs, fixés par les pouvoirs publics.

L’organisation de la fonction publique en France explique-t-elle cette situation ?
Je ne dirai jamais que la fonction publique et son organisation sont en elles-mêmes incompatibles avec la maîtrise de la dépense. Il est essentiel en revanche que les conditions d’une telle maîtrise soient bien traduites dans les décisions et la gestion.

Pourquoi la France n’arrive-t-elle pas à passer en revue les missions de l’État et à en tirer les conséquences ? Problème de culture politique et administrative ? Manque de courage ? 
S’il y a une difficulté constante, et propre à notre pays, c’est cette sorte d’indifférence aux résultats de nos politiques publiques. Il me semble que l’on passe trop de temps à discuter, à débattre sur des annonces, tandis que l’on ne prête pas suffisamment attention aux résultats concrets des politiques. Or, entre les objectifs et les résultats, il peut y avoir un hiatus important ! Qui s’explique parfois, et même souvent, par une gestion, une répartition et une organisation défaillantes. Nous devons donc nous débarrasser du réflexe qui consiste à dire que, pour résoudre un problème, il faut augmenter la dépense de x % ou la réduire de y %. Car les décisions politiques de ce type ne portent que sur la marge, à la hausse ou à la baisse, alors que s’intéresser à l’organisation et la gestion des moyens déjà existants permet d’améliorer l’efficience d’un volume de crédits bien plus important. Au final, avec cette approche, l’efficacité et l’efficience de nos politiques publiques en sortiraient grandement renforcées.

Le Parlement joue-t-il suffisamment son rôle en matière d’évaluation et de contrôle des politiques publiques ? Doit-il travailler davantage avec la Cour des comptes ?
Les outils institutionnels existent en tout cas pour ce faire : d’une part, la Lolf [loi organique relative aux lois de finances, que Didier Migaud a lui-même contribué à mettre en place lorsqu’il était député, ndlr] a renforcé les liens entre la Cour des comptes et le Parlement en ce qui concerne le contrôle. Une quinzaine d’enquêtes sont effectuées chaque année par la Cour à la demande du Parlement. D’autre part, la Constitution prévoit que la Cour des comptes assiste le Parlement dans l’évaluation des politiques publiques. Ces travaux, ainsi que les initiatives qu’elle prend en matière de contrôle et d’évaluation, sont à disposition du Parlement. À lui de légiférer, d’arbitrer et de décider en fonction des choix souverains qui sont les siens. Les parlementaires ont toute latitude pour s’appuyer sur l’ensemble de nos travaux.

Récemment, François Bayrou, président du MoDem, a souhaité que la Cour des comptes soit mise à contribution pour chiffrer les propositions des candidats à la présidentielle. Qu’en pensez-vous ?
C’est un travail qui ne relève pas de la Cour des comptes et qui mobiliserait des magistrats au détriment des missions constitutionnelles de la Cour.

"Le législateur a accru les missions de la Cour ces dernières années, tandis que ses moyens n’augmentent pas"

Comment la Cour des comptes, dont l’image est bonne dans l’opinion, peut-elle peser dans le débat présidentiel ?
Il est exact que la Cour jouit d’une image plutôt positive. À une époque où la défiance à l’égard des institutions existe, c’est un honneur pour la Cour, qui l’oblige. L’indépendance, l’objectivité, l’impartialité de nos constats et la rigueur de nos procédures, basées sur la contradiction et la collégialité, contribuent sans doute à cette image et à cette crédibilité. De même que la rigueur avec laquelle nous nous efforçons de gérer les crédits publics qui nous sont alloués.
Conformément à la Constitution, la Cour contribue à l’information des citoyens par ses rapports publics. Elle est là pour éclairer le débat public. Le « poids » de la Cour se mesure à ses travaux, à leur impact dans l’opinion et sur les pouvoirs publics. Cet impact se traduit notamment, mais pas seulement, par le taux de mise en œuvre de ses recommandations, qui est de l’ordre des deux tiers. Ses travaux demeurent à la disposition de tous, en toute occasion. En mettant sur la table un certain nombre de dysfonctionnements ou de sujets, la Cour apporte une active et utile contribution à la transparence et au débat public.

Réclamez-vous de nouveaux pouvoirs, de nouvelles compétences pour la Cour des comptes, afin de rendre ses recommandations plus contraignantes ? 
D’une manière générale, je pense qu’il est préférable de veiller à bien exercer ses missions avant d’en demander de nouvelles. La Cour ne réclame rien et n’a aucune prétention « expansionniste », si je peux me permettre cette expression. Mais il est exact que le législateur a accru ses missions ces dernières années, tandis que ses moyens n’augmentent pas. J’observe d’ailleurs que, par rapport à ses homologues étrangers, la Cour exerce des missions plus nombreuses, avec des effectifs moins importants. Cela nous a incités encore plus à mener des réformes pour mutualiser les moyens entre la Cour et les chambres régionales (CRC) par exemple, ou bien à réformer les ressorts de ces mêmes chambres en métropole avec l’objectif d’accroître les effectifs de contrôle, à effectifs globalement inchangés.

Après la réforme des CRC, faut-il engager une réforme du périmètre des chambres de la Cour des comptes ? Celui-ci est-il adapté ?
La question de la répartition des compétences entre les chambres de la Cour, qui relève des attributions du Premier président, n’est pas de même nature et ne présente pas les mêmes enjeux que celle du ressort des chambres régionales des comptes. Cette répartition, stable depuis plusieurs années, a fait la preuve de son adaptation, même si, bien sûr, elle est toujours susceptible d’évolution pour mieux s’adapter à nos missions et priorités.

Propos recueillis par Bruno Botella

Lire le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques publié le 29 juin 2016

 

 

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