SANTE & BIEN ÊTRE
SANTE & BIEN-ÊTRE
La difficulté d’équilibrer bien-être et coût de la santé des agents territoriaux
Le niveau de participation des employeurs territoriaux sera l’un des enjeux forts des mois et des années à venir dans les collectivités, où les mécanismes financiers ne font plus débat. La suite de notre enquête sur la protection sociale complémentaire des fonctionnaires.
Lever les quelques insuffisances du dispositif et travailler au développement d’une protection sociale complémentaire qui serait effective pour l’ensemble des agents territoriaux. C’est en substance la demande des nombreux acteurs intervenant sur le champ de la santé et de la prévoyance des fonctionnaires de la territoriale, qu’ils soient employeurs, syndicats ou professionnels. Si un rapport de plusieurs inspections (IGA, Igas, IGF) remis au printemps 2015 au gouvernement s’interrogeait – selon nos informations, le rapport n’ayant pas été rendu public – sur la bonne conformité des procédures de référencement des administrations d’État avec les règles concurrentielles européennes, le double dispositif de labellisation et de conventionnement de la territoriale ne fait, lui, pas débat.
Le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) a lui aussi décidé d’ausculter la protection sociale complémentaire des agents territoriaux via un rapport en auto-saisine dont les conclusions seront connues à l’automne. Mais ce n’est pas sur les mécanismes à proprement parler que ses préconisations porteront. “Car la double procédure de labellisation-conventionnement est bien adaptée à la réalité des territoires”, glisse Jean-Robert Massimi, le directeur général du CSFPT. Elle est, observe-t-il, plus souple qu’à l’État.
De quoi parle-t-on ? Après que le Conseil d’État a retoqué en 2005 l’arrêté Chazelle, qui organisait depuis plus de quarante ans la participation des employeurs publics à la protection santé et prévoyance des agents, ce dans un très grand flou juridique, incompatible avec les règles européennes, la loi de modernisation de la fonction publique de février 2007, puis l’arrêté de novembre 2011 propre aux collectivités territoriales ont redéfini les règles du jeu.
Désormais, les collectivités peuvent accorder leurs aides selon deux procédures distinctes : la labellisation, qui permet à chaque agent de choisir comme il le souhaite un opérateur “labellisé” par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, son employeur public abondant financièrement, ou la convention de participation, où l’employeur soutient financièrement un contrat proposé à l’ensemble des agents sélectionné après mise en concurrence de plusieurs contrats remplissant des conditions de solidarité (intergénérationnelle, salariale, etc.). À la différence de l’État, la santé et la prévoyance sont découplées.
Par ailleurs, la protection sociale complémentaire reste facultative pour l’employeur comme pour l’agent.
Doublement de la participation
Quatre ans après le décret de 2011, il semble que les grandes mutuelles – MNT, Intériale, MNFCT, UNMFT, Covimut, etc. – aient préservé leur influence face à l’appétit des assurances et opérateurs “lucratifs”. Surtout, il apparaît que la participation des employeurs territoriaux ait progressé. Selon les chiffres de la puissante Mutuelle nationale territoriale (MNT), 20 % des collectivités aidaient les agents avant le décret de 2011. Elles étaient 41 % à accorder une participation en santé et 58 % en prévoyance voilà dix-huit mois – les derniers chiffres connus –, avec une aide mensuelle de 24,50 euros en santé et 10 euros en prévoyance.
Quels sont les enjeux aujourd’hui ? “Transformer la protection sociale complémentaire en élément d’une véritable gestion des ressources humaines, répond Jean-Robert Massimi. Car c’est une problématique qui traverse tous les sujets : départ à la retraite, santé, handicap, absentéisme…” C’est aussi un élément de valorisation des agents qui joue habilement entre collectif et individuel. “Et un enjeu d’attractivité pour une collectivité”, approuve Florence Baco-Ambrass, du Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales (SNDGCT). Cette dernière observe : “Les personnels de la territoriale sont pour les trois quarts des agents de catégorie C, une population plus fragile souvent exposée à la pénibilité, pour laquelle il y a un vrai besoin de protection sociale complémentaire.”
Les employeurs publics en sont bien conscients, eux qui, à l’heure de tailler dans leurs dépenses pour affronter la baisse des dotations de l’État, évitent de toucher au budget de l’action sociale. “Il est important de protéger les agents, prolonge Johan Theuret, président de l’Association des DRH des grandes collectivités, et par ailleurs, cette enveloppe n’est pas si coûteuse.”Pour lui, c’est une évidence : “À moyen ou long terme, la protection sociale complémentaire deviendra obligatoire dans la territoriale, car une distorsion aussi forte entre le public et le privé ne peut pas perdurer, explique-t-il, en évoquant la mise en œuvre depuis le début de l’année de l’Accord national interprofessionnel (ANI), qui prévoit des complémentaires santé obligatoires pour tous les salariés. Mais c’est une décision qui, si elle intervient, devra être travaillée très en amont.”
Un scénario que, pour l’heure, l’Association des maires de France rejette, hostile à un socle obligatoire de prestations complémentaires que nombre de maires voient comme une nouvelle charge financière et qui, ajoutent certains, serait contraire à la libre administration des collectivités – quoique certaines participations sont déjà obligatoires, telles que la cotisation au CNFPT.
Rendre obligatoire la participation employeur “par parallélisme des formes avec la mise en œuvre de l’ANI dans le secteur privé”, telle est pourtant la demande formulée par 6 influents syndicats et associations de cadres territoriaux constitués depuis l’année dernière au sein d’une “Entente” (AATF, AITF, SNDGCT, Andass, ADGDGCT, Anciens de l’Inet).
De son côté, l’association Uni-ter, qui regroupe plusieurs mutuelles territoriales, fait également le forcing pour instaurer une participation obligatoire des collectivités à un montant minimum “qui ne saurait être inférieur à l’obligation des employeurs du secteur privé, soit 50 %”. Dans cette affaire, il est donc tout à la fois question d’enjeux financiers, de parts de marché – celui de la territoriale pèse tout de même quelque 2 millions de personnes – et de sujets de ressources humaines, en premier lieu le bien-être au travail des personnels. “Le niveau auquel on peut obliger les collectivités à participer à la protection sociale complémentaire sera l’un des thèmes forts du dialogue social des années à venir”, estime Jean-Robert Massimi. On ne parlera plus de la nature du dispositif, mais bien de ses équilibres.
Acteurs publics 4 MAI 2016 par SYLVAIN HENRY