EGALITE PROFESSIONNELLE
Pirouette gouvernementale et tergiversations syndicales ont sauvé le protocole sur l’égalité
Étant donné les résultats définitifs des élections professionnelles du 6 décembre et la signature annoncée de Solidaires, le protocole d’accord sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique est désormais majoritaire et va s’appliquer. L’exécutif fait fi du rejet du texte observé le 30 novembre dernier. Un retournement de situation qui ne manque pas d’être critiqué.
Abracadabra ! Alors que l’application du protocole sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique semblait abandonnée il y a de cela une quinzaine de jours, celui-ci trouvera finalement une transposition législative. Un retournement de situation qui est le fruit des résultats enregistrés à l’issue des élections professionnelles du 6 décembre dernier, mais aussi du revirement de Solidaires.
Pour sauver ledit protocole, le secrétariat d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt, a en effet décidé de changer les règles du jeu. Ce texte ne sera plus basé sur la représentativité des organisations syndicales résultant des élections professionnelles de 2014, mais bien sur celle issue du scrutin du 6 décembre dernier. Le moyen ainsi pour le gouvernement de passer outre le rejet du texte observé le 30 novembre dernier.
Désormais 57,95 % de signataires
À cette date, seules 6 des 9 organisations syndicales du secteur public étaient signataires du texte (en l’occurrence la CFDT, l’Unsa, la FSU, la CFCTC, la CFE-CGC, la CFE-CGC et la FA-FP). Celles-ci ne comptabilisaient alors “que” 49,05 % des suffrages dans la fonction publique, sur la base des résultats du scrutin de 2014. Insuffisant à l’époque pour donner un caractère majoritaire au texte. Les autres organisations, non signataires (la CGT, FO et Solidaires), étaient en effet majoritaires à elles trois.
Pour rappel, ces 3 syndicats avaient refusé de s’exprimer sur le projet de protocole, mettant en avant un calendrier trop contraint pour consulter leur base et reprochant au gouvernement de mettre sous pression les organisations syndicales dans le contexte, précisément, des élections professionnelles du 6 décembre.
Du passé désormais. Compte tenu des résultats définitifs des élections professionnelles, publiés jeudi 20 décembre, les 6 organisations syndicales représentent maintenant 51,18 % des suffrages exprimés, permettant ainsi de rendre l’accord majoritaire.
Ce “score” monte même à 57,95 % une fois prise en compte la décision, annoncée par Solidaires ce 20 décembre, de signer le protocole d’accord. Ce syndicat a en effet décidé de se désolidariser de la CGT et de Force ouvrière en annonçant qu’il ratifiait finalement le protocole.
À noter que dans le cas où le protocole aurait été basé (comme initialement prévu) sur les résultats des élections professionnelles de 2014, le texte aurait lui aussi été majoritaire une fois la position de Solidaires prise en compte.
Pirouette critiquée
“Toutes les conditions sont désormais réunies” pour que le texte s’applique désormais, indique-t-on dans l’entourage du secrétaire d’État Olivier Dussopt. Et de préciser que les dispositions du texte pourront être intégrées dans la loi et notamment dans le futur projet de loi de réforme de la fonction publique, prévu pour le premier semestre 2019.
Ce changement de braquet avait déjà été avancé par le secrétaire d’État le 11 décembre, lors de la présentation des résultats provisoires des élections professionnelles. Compte tenu des résultats des signataires, “la situation pourrait aujourd’hui avoir à évoluer”, avait-il alors indiqué, dans l’attente des résultats officiels du scrutin [cliquez ici pour consulter notre article : “Le gouvernement veut ressusciter le protocole sur l’égalité femmes-hommes”].
Si les organisations syndicales se félicitent bien entendu des avancées en faveur de l’égalité professionnelle prévues par ce protocole [cliquez ici pour le consulter], la pirouette gouvernementale a du mal passer. Et ce aussi bien chez les organisations syndicales non-signataires (CGT et FO) que chez les signataires du texte. “Ce n’est pas très fin d’un point de vue démocratique, juge un leader syndical signataire du protocole. Le gouvernement ne peut pas s’accommoder de cette manière des résultats aux élections professionnelles.”
CGT et FO persistent et ne signent pas
“Nos éminents ministres auraient-ils eu la même logique si l’accord avait été initialement majoritaire puis minoritaire suite au processus électoral ?” interroge la CGT dans un communiqué, ce 20 décembre, où elle annonce qu’elle ne signera pas le texte en raison notamment des “dangers importants” du futur projet de loi de réforme de la fonction publique. “Cela confirme que nos gouvernants s’embarrassent peu de principes et qu’ils étaient d’une totale mauvaise foi lorsqu’ils affirmaient que le protocole ne pouvait être mis en œuvre sans un accord au plus tard le 30 novembre”, ajoute la centrale de Montreuil, qui met même en avant des “mesures politiciennes de bas étage”.
Force ouvrière estime pour sa part ne pas pouvoir “passer sous silence les tergiversations” du gouvernement qui annonce que le protocole ne sera pas mis en place, n’ayant pas obtenu un accord majoritaire, et qui, dès le lendemain des élections professionnelles, “annonce son contraire”. “Nous rappelons que l’égalité femmes-hommes est un droit fondamental qui ne devrait même pas se négocier mais s’imposer, y compris sur le plan statuaire”, explique FO dans une lettre du 18 décembre au ministre de l’Action et des Comptes publics. L’organisation syndicale y indique qu’elle ne signera pas ce protocole, “dont le seul objet est, finalement, de partager des choix gouvernementaux néfastes aux intérêts particuliers et moraux des fonctionnaires et agents publics”.
ACTEURS PUBLICS : ARTICLE PUBLIE LE JEUDI 21 DÉCEMBRE 2018 & BASTIEN SCORDIA
Pas de problème juridique
Selon le docteur en droit public Nicolas Sautereau, la pirouette gouvernementale sur le protocole d’accord sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la fonction publique “ne pose pas de problème juridique”. L’occasion pour l’universitaire de pointer le “problème de base” de la loi du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique, à savoir le “manque d’effectivité juridique” des protocoles d’accord. Issue des accords de Bercy de 2008, cette loi stipule en effet qu’un accord est valide “s’il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales de fonctionnaires ayant recueilli au moins 50 % du nombre des voix lors des dernières élections professionnelles organisées au niveau auquel l’accord est négocié”. “Même si la loi pose les conditions de validité desdits protocoles, ceux-ci ne peuvent être invocables juridiquement”, précise Nicolas Sautereau.