DÉCENTRALISATION
Sur le nouvel acte de décentralisation, le Sénat prend les devants et avance ses pions
Alors que le “nouvel acte de décentralisation” promis par l’exécutif se fait toujours attendre, le Sénat a dévoilé, jeudi 2 juillet, ses 50 propositions “pour une nouvelle génération de la décentralisation”. Celles-ci feront l’objet de plusieurs propositions de loi. Passage en revue.
Le Sénat avance ses pions pour l’après-crise. Alors qu’Emmanuel Macron a fait part de son intention de relancer le chantier du “nouvel acte de décentralisation” promis l‘année dernière au sortir du grand débat national, le président de la Chambre haute, Gérard Larcher, a présenté, jeudi 2 juillet, les 50 propositions du Sénat “pour le plein exercice des libertés locales”. Censées dessiner “une nouvelle génération de la décentralisation”, ces propositions vont être remises au président de la République et devraient rapidement faire l’objet de plusieurs propositions de loi (constitutionnelles, organiques et ordinaires).
“Seul un nouvel équilibre des pouvoirs entre l’État et les collectivités permettra de restaurer la confiance et de donner un nouvel élan à notre pays”, a souligné l’élu LR. Et d’affirmer que “le temps de la gouvernance verticale, de la suradministration, de l’hypercentralisation du pouvoir” est désormais “révolu”.
Sur de nombreux points, les propositions du Sénat (à majorité de droite) rejoignent les ambitions affichées par le gouvernement au travers de son projet de loi 3D (Décentralisation, Différenciation et Déconcentration). Un texte qui se fait toujours attendre, d’où la volonté du Palais du Luxembourg de prendre en quelque sorte les devants.
“Nos propositions, on les voit, pas celles du gouvernement”, a affirmé le président de la commission sénatoriale des lois, Philippe Bas, par ailleurs rapporteur général du groupe de travail sur la décentralisation mis en place par le Sénat et regroupant l’ensemble de ses sensibilités politiques.
“Le gouvernement n’en est encore qu’à des effets d’annonce avec son projet de loi”, a renchéri le président de la délégation sénatoriale aux collectivités et co-rapporteur de ce groupe de travail, Jean-Marie Bockel.
Autonomie à renforcer
Mais en quoi consistent précisément les propositions du Sénat ? Celles-ci s’articulent autour de 4 objectifs. Premier objectif : “conforter l’autonomie” des collectivités locales. “Au cours des dernières années, l’État, entraîné par sa structure centralisatrice héritée de notre histoire, n’a pas permis l’épanouissement du mouvement décentralisateur, explique le Sénat. Il est temps de desserrer les contraintes en redonnant aux collectivités la maîtrise de leurs compétences et en refondant leur autonomie financière. L’enjeu n’est autre que de libérer les énergies locales”.
En ce sens, le Palais du Luxembourg propose notamment de “ne permettre l’intervention de décrets dans les domaines de compétence des collectivités territoriales que lorsque la loi le prévoit”. “Le pouvoir réglementaire local doit devenir le pouvoir réglementaire de droit commun dans les domaines de compétence des collectivités territoriales”, explique la Chambre haute.
Autres propositions : inscrire dans la Constitution le principe selon lequel “qui décide paie”, fixer un rendez-vous régulier pour réévaluer les compensations financières des transferts de compétences aux collectivités territoriales, maintenir des ressources stables et non liées à la conjoncture pour les collectivités “en instituant un moratoire” sur la réforme de la fiscalité locale ou encore “élargir les possibilités de délégation de compétences entre collectivités territoriales pour en faire l’instrument de droit commun des coopérations territoriales”.
Revoir la répartition des compétences
Deuxième objectif des propositions du Sénat : “donner toute sa mesure au principe de subsidiarité”. “Son application reste néanmoins entravée par la répartition actuelle des compétences entre l’État et les collectivités”, juge l’assemblée. Une problématique mise en exergue, à ses yeux, lors de la crise sanitaire.
Pour le Palais du Luxembourg, il faut donc notamment “en finir avec la recentralisation des compétences territoriales”. Et de proposer en ce sens la consécration de la clause générale de compétence des communes dans la Constitution ou encore de permettre aux collectivités de déroger, “en situation d’urgence” et “dans l’intérêt général”, à la répartition actuelle des compétences.
En la matière, le Sénat avance également une série de propositions pour “adapter la répartition des compétences aux spécificités locales” et propose notamment de donner des compétences “nouvelles aux départements et régions”. Pour les départements, est proposé d’élargir leurs compétences “en tant que responsable des solidarités sociales, médico-sociales et territoriales”.
Pour ce qui est des régions, l’accompagnement des demandeurs d’emploi doit leur revenir, explique le Sénat. En matière de santé, la présidence du conseil de surveillance de l’agence régionale de santé “doit être confiée au président de région”, alors qu’elle est actuellement du ressort du préfet de région, ajoute le Sénat, qui appelle aussi à renforcer le rôle des préfets de département.
Reconnaître le droit à la différenciation
Troisième objectif défini par le Sénat : “amplifier la différenciation dans le respect de l’unité nationale afin d’adapter l’action publique aux spécificités locales”. Sans surprise, les sénateurs proposent d’instituer un droit à la différenciation “constitutionnellement garanti” qui permettrait “au législateur de confier des compétences distinctes à des collectivités territoriales appartenant à une même catégorie, et d’autoriser les collectivités à déroger aux lois et règlements, pour un objet limité”.
L’assouplissement de la mise en œuvre des expérimentations locales est lui aussi préconisé, afin d’en permettre la pérennisation “sur une partie seulement du territoire”. Ce serait ainsi le moyen de mettre fin à la logique binaire aujourd’hui réservée aux expérimentations lorsqu’elles s’achèvent, à savoir soit leur généralisation, soit leur abandon. Pour rappel, le gouvernement est déjà en train de préparer un projet de loi allant dans le sens de la proposition du Sénat
Dernier objectif des sénateurs : “renforcer le contrôle du Parlement pour garantir les libertés locales”. Les parlementaires recommandent à ce propos d’imposer un débat annuel consacré aux finances locales “juste avant l’examen par le Parlement du projet de loi de finances initiale” ou d’intégrer au débat annuel du Sénat sur l’application des lois un volet consacré au respect du principe de subsidiarité et à l’évaluation de la différenciation. Est aussi proposée la création d’une nouvelle catégorie de résolutions (les “résolutions territoriales”), “sur le modèle des résolutions européennes, permettant au Sénat et à l’Assemblée nationale de se prononcer sur le respect du principe de libre administration des collectivités territoriales et du principe de subsidiarité”.
Le président de l’Assemblée nationale favorable à des collectivités “libres”
“Le moment est venu de définir avec les Français”, ces “Gaulois parfois réfractaires”, “ce qui est du ressort du « territoire » et ce qui est du ressort de l’État”, explique le président LREM de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, dans un courrier qui sera remis à Emmanuel Macron en fin d’après-midi, jeudi 2 juillet, lors d’un rendez-vous aux côtés des présidents du Sénat (Gérard Larcher) et du Conseil économique, social et environnemental (Patrick Bernasconi). Richard Ferrand s’y dit favorable à “un État fort”, recentré “sur des domaines moins nombreux”, et à des “collectivités libres”. “Posons le cadre légal, les moyens nécessaires et laissons préfets et élus concevoir ensemble d’autres organisations”, écrit-il aussi, constatant “la réactivité et parfois l’inventivité” des territoires, notamment dans la crise du coronavirus.
acteurs publics : article publie le jeudi 2 juillet 2020 & BASTIEN SCORDIA