GESTION PUBLIQUE
Responsabilité des gestionnaires publics : une ordonnance en vue
L’avant-projet de loi de finances pour 2022 contient une habilitation à légiférer par ordonnance pour créer un régime unifié de responsabilité des ordonnateurs et comptables publics pour les fautes les plus graves. La Cour des comptes sera compétente en première instance. Une “cour d’appel financière” présidée par le Premier président de la Rue Cambon sera également créée. Exit aussi la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables (RPP), un nouveau régime de sanctions étant prévu.
La refonte du régime de responsabilité des gestionnaires publics entre dans le dur. Annoncée par l’exécutif en début d’année, cette réforme sera actée par ordonnance dans le cadre du projet de loi de finances pour 2022. Une information révélée parLa Lettre A. L’article en question de l’avant-projet de loi a depuis été diffusé par le cabinet d’avocats Landot & Associés. L’ordonnance, y est-il indiqué, devra être prise dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, soit d’ici la fin du quinquennat, pour une entrée en vigueur “au plus tard le 1er janvier 2023”.
Cette réforme fait suite à un rapport remis au gouvernement, fin 2020, par Jean Bassères. Si le directeur général de Pôle emploi et ancien chef de l’inspection générale des Finances à Bercy n’allait pas jusqu’à préconiser la suppression de la séparation ordonnateur-comptable, il y proposait de supprimer la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables publics, qui relèveraient alors d’un “régime unifié de responsabilité juridictionnelle pour les infractions les plus graves”.
Responsabilité des gestionnaires publics : Jean Bassères propose une vaste réforme
Cela avait pour principale conséquence la suppression de la mission juridictionnelle de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, proposée sans détour par le rapport. Ce qui n’avait pas manqué de faire bondir les intéressés . “Je suis favorable à un juge unique des ordonnateurs et des comptables. Pour moi, ce juge ne peut être que la Cour des comptes. L’idée que ce soit la Cour de discipline budgétaire et financière est tout simplement absurde”, avait notamment réagi le Premier président de la Cour, Pierre Moscovici, dans nos colonnes.
La Cour des comptes en force
À la lecture de l’article de l’avant-projet de loi, celui qui a lancé une réforme des juridictions financières (intitulé JF 2025) semble avoir été entendu par l’exécutif. Outre le maintien de la séparation ordonnateur-comptable, ce projet d’article habilite ainsi le gouvernement à légiférer par ordonnance pour “créer un régime unifié de responsabilité des ordonnateurs et des comptables publics”.
Dans ce cadre, l’exécutif pourra prendre des mesures permettant “de définir un régime d’infractions financières sanctionnant la faute grave relative à l’exécution des recettes ou des dépenses ou à la gestion des biens des entités publiques leur ayant causé un préjudice financier significatif”. L’habilitation prévoit aussi de “moderniser d’autres infractions actuellement prévues par le code des juridictions financières”.
La Cour des comptes riposte au rapport Bassères sur les gestionnaires publics
L’article instaure surtout une organisation juridictionnelle pour juger ces infractions : au sein de la Cour des comptes, une chambre composée de magistrats de la Cour et des chambres régionales des comptes (CRC), “compétente en première instance” ; une “cour d’appel financière” présidée par le Premier président de la Cour et composée de 4 membres du Conseil d’État, 4 membres de la Cour et 2 personnalités qualifiées et, enfin, le Conseil d’État “comme juge de cassation”.
La Rue Cambon et Pierre Moscovici avaient déjà préparé le terrain à cette réforme au printemps dernier. Un décret publié le 19 mai avait en effet acté une réforme des instances de gouvernance de la Cour et la création d’une septième chambre, chargée du contentieux.
Ladite ordonnance aura également la charge “de définir les règles procédurales de ce nouveau régime en garantissant pleinement les droits des justiciables, le droit à un procès équitable, le caractère suspensif de l’appel ainsi que la célérité des procédures” ou encore “d’adapter en conséquence le rôle du ministère public et la liste des autorités ou personnes habilitées à lui déférer des faits ressortissant à ce nouveau régime”.
Nouveau régime d’infractions
L’ordonnance devra aussi définir “le régime des amendes applicables à ces infractions, dont le montant sera calculé en fonction de la rémunération des agents concernés et plafonné au plus à six mois de rémunération”. Elle devra également “définir une peine complémentaire d’interdiction d’exercer les fonctions de comptable ou d’avoir la qualité d’ordonnateur pour une durée déterminée”. Conséquence : l’abrogation des dispositions législatives relatives à la responsabilité personnelle et pécuniaire (RPP) des comptables publics.
La Cour des comptes se dote d’une septième chambre chargée du contentieux
Pour rappel, les comptables publics relèvent aujourd’hui du juge financier au titre de leur régime de RPP et les ordonnateurs, de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF), notamment en cas de manquement aux règles budgétaires et comptables. “Ce régime dual cumule plusieurs faiblesses, expliquait le gouvernement dans la lettre de mission de Jean Bassères. Il conduit à faire peser sur les comptables l’essentiel de la responsabilité, pousse ainsi à une sécurisation excessive de la chaîne de la dépense et repose sur une réparation intégrale du préjudice largement fictive du fait des dispositifs des remises gracieuses.”
Quant au régime d’engagement de la responsabilité des ordonnateurs, celui-ci est “reconnu comme insuffisamment responsabilisant et mal adapté à l’exigence d’efficience de gestion des deniers publics réclamée par nos concitoyens”, y soulignait Bercy. Leurs sanctions, poursuivait l’exécutif, “sont en effet prononc[ées] après une trop longue instruction, réduisant [leur] impact réel sur la gestion et le montant des amendes prononcées n’est pas significativement dissuasif”.
ACTEURS PUBLICS : article publie le mardi 14 septembre 2021 & BASTIEN SCORDIA