PRATIQUES PROFESSIONNELLES
Groupes WhatsApp au bureau : attention à l’overdose !
Officiels ou confidentiels, à usage professionnel ou récréatif, les canaux de discussion entre collègues fleurissent partout dans l’administration. Un phénomène, accentué par la crise sanitaire, qu’il est essentiel d’encadrer pour prévenir d’éventuels effets délétères.
Qui aujourd’hui ne fait pas partie d’un groupe de conversation WhatsApp ? Peu d’entre nous, selon un récent sondage publié par l’Ifop. La messagerie instantanée, lancée en 2009, compte 31 millions d’utilisateurs actifs en France. Parmi eux, 91 % font partie d’au moins un groupe, qu’il soit familial, amical ou professionnel, 33 % sont membres d’au moins 5 boucles, quand 16 % appartiennent à au moins 10 conversations de ce type.
Une situation qui n’est pas sans conséquence sur la vie quotidienne, tant la participation à ces canaux peut devenir chronophage. Mais qu’en est-il des pratiques au niveau professionnel et notamment dans l’administration ? S’il existe peu de données précises sur le sujet, les témoignages que nous avons pu recueillir montrent que les boucles WhatsApp et autres canaux de discussion informels sont très présents dans le quotidien professionnel des agents publics et recouvrent des formes et utilités diverses.
Droit à la déconnexion
“Je travaille avec deux boucles WhatsApp professionnelles vraiment actives, témoigne ainsi un manager public. Nous structurons nos communications autour de 3 outils. Teams pour le partage d’articles, de document ou la validation et le travail collaboratif sur un document, Klaxoon pour l’animation d’équipe et WhatsApp pour le off, les présences sur site et les urgences.” L’ambition étant globalement d’envoyer le moins d’e-mails possible. Dans ce contexte, la question de la barrière entre vie professionnelle et vie personnelle, du droit à la déconnexion et du flot de notifications se pose automatiquement.
“Je sais que certains collaborateurs suppriment systématiquement les notifications. Le côté déconnexion peut indéniablement se poser mais dans mes équipes, à ma connaissance, personne ne s’en est jamais plaint.”
Un point de vue que ne partage pas Laetitia Pausé, technicienne en information médicale au sein des Hôpitaux du Léman. “Le problème, c’est l’abus de messages en dehors des heures de travail et le week-end, témoigne-t-elle. Les collègues ne sont pas des amis et en dehors des horaires officiels, je n’ai pas envie d’entendre parler de leur vie privée et de voir des messages de soi-disant blagues dès 5 heures du matin.”
Une boussole pour aider les managers publics à trouver leur voie
Pour autant, l’existence de ces canaux de communication ne donne pas toujours lieu à des jugements négatifs. “Une boucle WhatsApp a été créée par l’un de mes collègues au sein de la direction des achats de la région Bourgogne-Franche-Comté, expose ainsi Pierre Gomes. Certaines personnes n’ont pas voulu l’intégrer au départ, mais se sont ravisées. Il s’agissait, à l’origine, d’un canal extraprofessionnel mais au fur et à mesure, nous y avons partagé des informations en lien avec le travail, comme des articles de presse.”
Au sein de ce service, la boucle WhatsApp rassemble une vingtaine de collaborateurs mais tous n’interagissent pas avec la même intensité. Certains sont très discrets et d’autres très actifs. “La directrice des achats et les deux managers de direction y sont inclus, détaille Pierre Gomes. Cette situation entraîne peut-être quelques réserves sur les contenus que l’on peut partager, mais cela n’enlève rien à la fluidité des échanges et à la liberté de parole.”
Maintenir la cohésion pendant le confinement
Nombreuses sont ces boucles de conversation qui ont été créées pendant le confinement de mars 2020 avec l’objectif de maintenir la cohésion d’équipe. Par exemple, pendant la crise sanitaire, au sein du CHU d’Angers, ces boucles ont fait office d’accélérateur fort pour se coordonner entre hôpitaux et services et ont été conservées par la suite.
“Un groupe WhatsApp a été créé dans mon collectif de travail lors de la crise sanitaire. Ce dernier est toujours utilisé, notamment pour garder le lien avec les collègues en télétravail”, assure également Laurent Autret, aujourd’hui chef de projets “géomatique, environnement et qualité” au sein du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Quand il a intégré son nouveau poste, en septembre dernier, il a voulu proposer l’utilisation de la messagerie Tchap, conçue spécifiquement pour l’administration, afin d’assurer le maintien du lien avec les agents en situation de coprésence et les travailleurs. “J’ai senti une certaine animosité face à cette suggestion, se souvient-il. Si je réservais plutôt WhatsApp à mon environnement personnel, Tchap n’ayant pas pris dans ce collectif, j’ai donc accepté d’intégrer le groupe WhatsApp.”
Des centaines de notifications par jour
Les managers publics utilisateurs de boucles WhatsApp dans leur collectif de travail prêtent plusieurs avantages à l’outil. “Elles permettent d’avoir des échanges rapides, efficaces, sur des formats courts en levant les éventuelles difficultés géographiques, estime Clément Triballeau, directeur adjoint du CHU d’Angers en charge notamment de la coordination de 10 hôpitaux. Ayant aussi une activité syndicale, nous utilisons beaucoup les boucles WhatsApp pour travailler et aussi communiquer. Ce canal nous permet de forger nos positions de façon très réactive.”
Au sein du CHU d’Angers, WhatsApp recouvre des usages divers et variés. Certaines boucles servent principalement à caler des déjeuners communs et autres moments de convivialité, et à partager des informations humoristiques. “Notre quotidien est lourd et chargé, ces échanges nous permettent de le dédramatiser et créent un moment de détente commun dans les équipes, c’est très important”, illustre Clément Triballeau.
Olivier Bachelard : “Il faut donner du temps aux managers publics”
Pour autant, ce dernier le confesse, il reçoit des centaines de notifications par jour et les boucles WhatsApp constituent une charge mentale qu’il faut gérer. “Cela peut clairement créer des problématiques d’addiction. Il ne faut pas que ces groupes soient la boussole de votre attention, il faut toujours accorder de l’importance aux échanges physiques.
” En définitive, ces canaux de discussion n’ont de véritable utilité au niveau du collectif de travail et sur la cohésion d’équipe que si leur pratique est régulée.
“Il faut fixer des règles, éviter d’envoyer des messages en dehors des horaires de travail, estime Clément Triballeau. Communiquer autour du travail sur ces boucles après 19 et 20 heures et le week-end envoie un signal négatif par rapport au rythme de travail.” Ces groupes de discussion semblent véritablement jouer un rôle dans l’avancée des projets, des dossiers autour du travail à proprement parler. Sans oublier que les jeunes agents qui arrivent aujourd’hui sur leur premier ou deuxième poste ont quasiment toujours connu ces canaux et sont aussi habitués à travailler avec.
Des pratiques à encadrer
“La plupart des administrations avec lesquelles je travaille utilisent Teams, que ce soit sur PC ou sur leur mobile, même pour les échanges informels, analyse Lise-Marie Biez, consultante spécialisée dans l’accompagnement du management et de la transformation des organisations. Et nous remarquons que cela nécessite réellement un accompagnement pour organiser les pratiques.”
Elle constate également que bien souvent, au sein des administrations, les plates-formes d’échange se multiplient, les agents sont parfois perdus et ne savent même plus quel canal utiliser. “Il est essentiel de rediscuter les usages au sein des équipes pour ne pas subir les outils ou les situations qu’ils peuvent créer, estime Lise-Marie Biez. Décider, ensemble, comment fonctionner est la seule solution pour adopter des pratiques efficaces et pérennes.” Une autre problématique que les managers doivent prendre en compte dans un quotidien déjà bien chargé… entre deux notifications.
acteurs publics : ARTICLE PUBLIE LE JEUDI 23 MARS 2023 & MARIE MALATERRE