GESTION RESSOURCES HUMAINES
Le travail hybride pose encore des difficultés de posture aux managers publics
Si le télétravail est désormais bien installé dans la fonction publique et que les principaux obstacles en matière d’organisation ont été surmontés, des difficultés perdurent du côté des managers, notamment en matière d’animation des équipes. Une situation qui n’est pas sans poser une question plus large : finalement, le management est-il télétravaillable ?
Parmi les grandes avancées à saluer ces dernières années en matière d’organisation du travail, le télétravail figure en première place. Et sur le sujet, si la fonction publique accusait un cruel retard, force est de constater que d’importants efforts ont été déployés pour le rattraper. “À l’échelle de l’État et sur le plan institutionnel, le télétravail est un enjeu prioritaire, piloté et encouragé, faisant l’objet d’un accord-cadre avec les organisations syndicales”, rappelle un cadre public. Pour autant, aujourd’hui, il remarque que son application et son acceptation restent encore très hétérogènes. “Il génère inéluctablement des sentiments d’iniquité inhérents aux activités, tâches et métiers qui ne sont pas tous télétravaillables, par exemple.”
Il faut ajouter à cela le fait que ce droit au télétravail est encadré juridiquement et soumis aux sujétions de service public, qui peuvent varier d’un versant à l’autre, d’un agent à l’autre et d’une organisation à l’autre. Face à ce nouveau contexte, les effets organisationnels sont nombreux, notamment sur le plan collectif. L’enjeu du maintien d’une culture commune et de la coopération se pose pour les agents et celui d’un management hybride se pose pour les encadrants. “Une nouvelle modalité qui complexifie encore un peu plus la fonction managériale, chargée de la gestion de toutes ses implications individuelles et collectives, ajoute ce même manager. Les dysfonctionnements techniques et matériels qui parasitent le travail de tout le collectif ne sont pas rares.”
Les réunions hybrides, le cauchemar des managers télétravailleurs
Et autant dire que l’enjeu est de taille. Comment continuer à manager son équipe en télétravail quand certains membres sont à distance et que soi-même, en tant que manager, on peut également l’être ? “Plusieurs questions se posent, analyse Guillaume Tinlot, chef du service des politiques sociales, salariales et des carrières à la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). Il y a, d’une part, la question des outils pour continuer à être en contact, mais aussi la gestion des formats d’interaction.” Selon lui, il existe encore de nombreux services dans lesquels certains réflexes perdurent, du type “tel agent est en télétravail, je ne vais donc pas le déranger et poser la question à ses collègues”. Une mauvaise habitude qui a également tendance à faire reporter la charge de travail sur les agents présents dans les locaux.
Sortir du cadre
Autant de questions qui restent en suspens et qui mettent les encadrants en difficultés face à la posture managériale à adopter dans le cadre du travail hybride. “On a beaucoup avancé sur le cadre réglementaire du télétravail dans la fonction publique, mais la question de l’accompagnement des managers dans ce contexte perdure”, ajoute Guillaume Tinlot. Car le télétravail a fait irruption dans la fonction publique dans une logique assez descendante, avec un cadre dont les managers publics ont du mal à sortir.
Il semble pourtant essentiel qu’ils s’approprient ce cadre et suscitent des échanges autour de lui pour faire en sorte que le collectif puisse y vivre. “C’est le rôle des employeurs et DRH d’accompagner les managers dans ce rôle d’équilibriste entre confiance, autonomie et responsabilité, insiste Guillaume Tinlot. Il faut avoir conscience que nous mettons les managers devant des choses compliquées à gérer.” Si aujourd’hui, le télétravail a été suffisamment expérimenté dans les administrations, reste à aider les managers à se l’approprier.
“La question managériale nous semble être le nouvel acte du télétravail dans la fonction publique”, poursuit Guillaume Tinlot. Car force est de constater que l’on ne s’autodéclare pas manager capable de manager des équipes en télétravail. Et sur le terrain, il semble que de nombreuses mauvaises habitudes perdurent.
Par exemple, la culture de l’utilisation des plates-formes collaboratives, essentielles au télétravail, n’est pas encore développée. “L’habitude du mail polluant est encore très présente. Cela complique les échanges et multiplie les risques d’erreur, témoigne un manager public. Maîtriser les outils collaboratifs est une compétence qui n’est pas encore développée, de même que les modalités du management participatif, la délégation du travail ou encore le management par la confiance.”
Frein structurel
Autant d’obstacles qui n’aident pas les managers à surmonter les difficultés qu’il y a à animer une équipe en télétravail. Et sur ce point, pour l’ensemble des interlocuteurs que nous avons interrogés dans le cadre de cet article, un frein structurel reste bel et bien présent. “Aujourd’hui, telle qu’elle est organisée, la fonction publique ne se prête pas à la mise en place d’un management hybride optimal”, assure l’un d’entre eux. Si les choses s’améliorent très clairement vers plus de souplesse et de transparence, le chemin à parcourir est encore long.
Dans ce contexte, la Métropole européenne de Lille (MEL) s’est penchée sur la question depuis plusieurs années et forme les managers aux différents outils et pratiques managériales et notamment le management par objectifs. “Depuis la généralisation du télétravail, une grande majorité de managers affirment que leurs pratiques managériales ont évolué, notamment sur l’animation d’équipes, l’autonomie et la confiance”, explique Laurence Bourgeois, directrice générale adjointe “ressources humaines, innovation et dialogues” à la MEL. Elle ajoute toutefois qu’il a fallu convaincre les managers que le télétravail n’était pas une contrainte, mais une opportunité de requestionner l’organisation du travail et aussi, plus globalement, de repenser les relations professionnelles.
Autant d’exigences qui sont devenues plus fortes et qui reposent une autre question : celle de savoir si au fond, le management est télétravaillable. “Sans doute en partie mais à ce jour, nous n’avons pas assez de recul pour répondre”, tranche Laurence Bourgeois. Une analyse partagée sur le terrain par la plupart des administrations.
ACTEURS PUBLICS : article publie le lundi 25 septembre 2023 & MARIE MALATERRE