SERVICES PUBLICS
Le Défenseur des droits appelle à consolider les droits des usagers face au numérique
Les médiateurs institutionnels sont les “sismographes” des atteintes aux droits des usagers du service public et donc des “détecteurs de réformes”. Le Défenseur des droits a compilé leurs analyses et recommandations pour mieux protéger les droits des usagers et leur en reconnaître de nouveaux. Mais aussi pour renforcer la médiation administrative.
Aux difficultés personnelles, des causes structurelles. Voilà le principal constat posé par le Défenseur des droits. L’institution, qui a succédé au “médiateur de la République”, créé lui-même en 1973, a rendu un rapport de près de 100 pages sur l’utilité, le fonctionnement et les limites de la médiation administrative. Une pratique qui permet de résoudre les litiges entre les administrations et les usagers s’estimant lésés dans un esprit de dialogue, et donc sans passer par la case tribunal.
“Face aux défaillances des services publics, liées à la dématérialisation et à la fermeture de guichets, cette culture du dialogue doit irriguer toutes les branches de l’administration”, avait ainsi plaidé la défenseure des droits, Claire Hédon, en ouverture d’un événement organisé à l’occasion des 50 ans de l’institution, en janvier 2023. Un événement qui avait donné le coup d’envoi d’un cycle de réflexion avec les médiateurs pour qu’ils fassent remonter des pistes d’évolution des services publics et de la médiation administrative elle-même. Et qui a donc abouti avec la publication d’un état des lieux des pratiques en vigueur.
Une quinzaine de médiateurs mis à contribution
Le document sert d’abord à vanter les mérites de la médiation et la manière dont les médiateurs ont pu, au-delà de leur rôle de résolution des litiges, avancer et parfois faire adopter des propositions d’améliorations du fonctionnement et de l’organisation des services publics. Mais il avance lui aussi des propositions de réformes, appuyées par les contributions d’une quinzaine de médiateurs, de France Travail à la SNCF, en passant par les ministères de l’Économie, de l’Éducation nationale, ou encore par la Caisse nationale des allocations familiales.
La médiation administrative en quête d’harmonisation
“Au moment où les volumes de réclamations traitées par l’ensemble des acteurs de la médiation usager-administration connaissent une forte dynamique, qui fait courir le risque que ces médiateurs et le Défenseur des droits rencontrent des difficultés pour prendre en charge l’ensemble des litiges, il est plus important que jamais de tirer les leçons de ce qu’ils observent au quotidien, et de prêter attention aux propositions qu’ils formulent”, pointent Claire Hédon et Daniel Agacinski, le délégué général à la médiation, en avant-propos du rapport.
Leur message est assez simple : par leurs fonctions, les médiateurs sont au plus près des problèmes rencontrés par les usagers et les mieux placés pour proposer des améliorations. “Fréquemment, le traitement des litiges individuels amène le Défenseur des droits à constater que les atteintes aux droits résultent, non pas d’erreurs ou de fautes ponctuelles, mais de phénomènes structurels : mauvaises pratiques administratives, manque de contact humain, défaut de coordination entre les organismes, incohérences dans les textes, lois insuffisamment protectrices…” écrivent Claire Hédon et Daniel Agacinski.
Reconnaître de nouveaux droits
Le défenseur des droits ne se contente pas d’appeler à consolider des droits existants, comme le droit à l’égalité d’accès et de traitement, à un recours effectif ou à l’erreur, mais aussi d'appeler à en reconnaître de nouveaux, “au regard des évolutions de nos modes de vie induites par le numérique, mais aussi par l’évolution des structures sociales et familiales”.
Parmi ces nouveaux droits, l’institution plaide - une fois n’est pas coutume - pour la consécration de ce que l’on appelle “l’omnicanalité”, c’est-à-dire le maintien de plusieurs canaux d’accès au service public : guichet, téléphone, courrier, Internet.
La médiation entre usagers et administrations en mal de cohérence
Le Défenseur des droits veut aussi matérialiser davantage la “démocratie administrative” en étendant le droit à la participation des usagers, aujourd’hui surtout effectif dans les domaines de la santé et de l’environnement. “L’attention à « l’expérience usager » est aujourd’hui une démarche volontaire qu’adoptent certains services publics, stimulés en cela par les initiatives de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et de la direction interministérielle du numérique (Dinum) notamment, mais elle ne repose pas encore, de façon générale, sur des droits reconnus à l’usager en matière de participation”, pointe l’institution, qui souhaiterait dépasser le rôle passif dans lequel sont souvent cantonnés les usagers, pour les faire contribuer plus activement à la conception et à l'amélioration des services publics.
Qui dit dématérialisation du service public dit aussi automatisation et recours à des algorithmes de prise de décision plus ou moins autonomes et auto-apprenants. Face au déferlement de l’intelligence artificielle, le Défenseur des droits s’interroge sur les droits des usagers face à “l’action publique algorithmique” – comme la transparence ou la rectification des erreurs –, mais sans avancer de recommandation très concrète à ce stade.
Renforcer la médiation et la culture des droits
Autre piste naturellement avancée par les médiateurs : repenser l’accès à la médiation administrative. “Il est important que les usagers soient bien informés de l’existence de cette voie de recours, des conditions dans lesquelles elle peut être utilisée, ainsi que de ses effets juridiques”, est-il indiqué dans le rapport.
Le médiateur de la ville de Nice et de la métropole Nice-Côte-d’Azur invite ainsi à “systématiser l’information relative à la possibilité de recours au médiateur dans tous les courriers de l’administration départementale” et à la faire apparaître sur toutes les pages Web de l’administration.
Celui de La Poste a demandé aux différents services du groupe de bien formaliser les réclamations à travers une confirmation écrite de l’usager pour bien marquer le déclenchement du délai de deux mois à partir duquel l’usager peut saisir le médiateur de la consommation.
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En revanche, le Défenseur des droits se garde bien de demander qu’on lui confie, ainsi qu’aux médiateurs, un “pouvoir de décision” à même de contraindre les administrations de mieux garantir les droits fondamentaux des usagers – ce qui passe, bien souvent, par des moyens supplémentaires. Plutôt que de se substituer au politique, seul à même de décider des orientations budgétaires, le Défenseur des droits estime que “cette absence de pouvoir de décision” lui permet “de dire et de redire l’inconditionnalité des droits fondamentaux, de recommander de les mettre en œuvre en toute circonstance, et d’insister sur le fait qu’ils ne doivent pas être la variable d’ajustement des évolutions des ressources publiques”.
À la place, il plaide pour la diffusion, au-delà d’une culture de la médiation, d’une vraie “culture des droits” dans toutes les administrations, notamment dans les objectifs assignés aux managers, pour dépasser les traditionnels indicateurs de performance globale, qui occultent trop souvent les cas particuliers, où les atteintes aux droits des usagers sont les plus susceptibles d’avoir lieu.
acteurs publics : article publie le lundi 01 juillet 2024 & EMILE MARZOLF