ATTRACTIVITE
Une réforme des systèmes de rémunération à l’étude à la Cour des comptes et au Conseil d’État
Des discussions sont en cours en vue d’un rattachement au Rifseep des magistrats des deux hautes juridictions. Elles ont aujourd’hui leur propre système de calcul de rémunération, mais un décrochage au niveau des montants a été observé depuis la réforme de la haute fonction publique.
Les magistrats du Conseil d’État et de la Cour des comptes sont historiquement rattachés à un système qui leur est propre concernant le calcul de leur rémunération. Et dans les deux mécanismes, qui sont d’ailleurs proches l’un de l’autre, la part accordée au mérite ou au rendement est relativement importante. Ainsi, le Conseil d’État accorde traditionnellement une large part au mérite, et donc aux primes de rendement, dans la rémunération globale de ses membres. Leur montant tient notamment compte de l’activité constatée et du rendement effectivement mesuré.
Un ancien membre de l’institution du Palais-Royal nous précise, à titre d’illustration, qu’en section du contentieux, tous les trimestres, se tient la réunion des présidents de chambre avec les présidents adjoints. “Ils se penchent alors sur un tableau qui comprend les noms de tous les membres de la section ainsi que leur activité”, détaille-t-il. C’est-à-dire le nombre de dossiers effectivement bouclés. Dans ce contexte, les primes représentent entre 20 et 30 % de la rémunération globale. “Il s’agit d’un vrai contrôle, poursuit cet ancien membre. Les primes jouent un rôle très important dans l’activité des membres du Conseil d’État.” Autrement dit, si le contrôle ne porte pas sur le contenu des affaires, l’institution s’assure que le travail est bel et bien effectué d’un point de vue purement quantitatif.
Reconnaître “réellement” le mérite
Le mécanisme est sensiblement le même à la Cour des comptes, qui fonctionne avec 3 niveaux de primes. Les magistrats financiers perçoivent d‘abord une prime forfaitaire de fonction, liée au grade, “sensiblement la même d’auditeur à conseiller-maître”, glisse un magistrat proche du dossier. S’y ajoutent une prime de rendement et éventuellement un bonus, versé “très exceptionnellement” quand des travaux spécifiques sont menés. “Les bonus peuvent osciller entre 1 000 et 4 000 euros maximum sur une année”, précise ce même magistrat. Chaque bonus est rattaché à une tâche précise, souvent liée à l’intérêt général et collectif, mais il cesse d’être versé lorsque la mission est terminée.
La prime de rendement, quant à elle, correspond à une part variable qui représente environ 50 % du traitement global dans les chambres régionales et 67 % à la Cour des comptes. Dans la pratique, aucun magistrat ne passe cependant de 0 à 67 % en une année. Cette part est directement liée à l’évaluation et, qu’elle soit orientée à la hausse ou à la baisse, cela doit être justifié. Les présidents de section à la Cour des comptes ont obtenu de recevoir, chaque année, les moyennes et les médianes de chaque grade pour pouvoir plus facilement se positionner.
Sur cette prime de rendement, concrètement, un magistrat qui a particulièrement beaucoup travaillé une année peut voir sa prime augmenter de 500 euros. Un montant qui n’est cependant pas considéré comme “raisonnable” au vu du travail fourni, pour un système qui, selon l’ensemble des interlocuteurs interrogés, ne permet pas réellement de reconnaître les mérites des uns et des autres comme il le devrait. “Ce n’est pas la part variable qui pose un problème, c’est le fait que quand vous travaillez beaucoup, on ne peut pas réellement le reconnaître”, résume une magistrate de chambre régionale (CRC).
La Cour des comptes cherche à diversifier ses troupes
Si les magistrats financiers ne sont pas du tout habitués à cette notion de part variable, c’est, du côté des membres du Conseil d’État, “sociologiquement très bien accepté, cela fait partie du jeu”, assure un ancien d’entre eux. Les spécificités individuelles, comme les périodes de maladie, sont prises en compte.
Les primes ne sont pas calculées de manière arbitraire. “C’est un examen humain et pas purement comptable”, poursuit ce même ancien membre du Palais-Royal.
Pourtant, depuis la réforme de la haute fonction publique de 2021, qui a donné lieu à des revalorisations des primes de tout l’encadrement supérieur, des décrochages sur les niveaux de rémunération ont été observés. “Aujourd’hui, les deux corps (Cour des comptes et Conseil d’État) plaident pour un rattachement au régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel (Rifseep) au même titre que l’ensemble de la haute fonction publique”, détaille un ancien membre du Conseil d’État.
Enjeu d’attractivité
À noter que le Rifseep comprend également une part de rémunération à la performance, mais dans des proportions moindres que celles constatées dans les deux institutions. “Après avoir surmonté quelques réticences internes, avec nos collègues du Conseil d’État, nous poussons très fort auprès de nos secrétariats généraux respectifs pour passer au Rifseep, complète-t-on au sein de la Cour des comptes. Nous avons notamment pu montrer combien nous avions décroché de la haute fonction publique au niveau des montants.”
Au final, derrière cette problématique de rémunération au rendement des magistrats financiers et administratifs, se cache un enjeu d’attractivité. Et les magistrats de la Cour des comptes et du Conseil d’État sont nombreux à le constater sur le terrain. En rejoignant l’une ou l’autre institution, certains hauts fonctionnaires dans les inspections générales peuvent perdre jusqu’à 20 % de leur rémunération. Or “les deux grands corps de contrôle de sécurisation judiciaire que sont la Cour des comptes et le Conseil d’État ont besoin de personnes qui viennent de l’extérieur”, fait valoir un magistrat.
Réinterrogés il y a quelques jours, les interlocuteurs ayant répondu à nos questions ont cependant confirmé que le dossier n’avait toujours pas avancé, alors qu’ils étaient nombreux à attendre une mise en œuvre à compte de janvier 2025.
ACTEURS PUBLICS : article publie le vendredi 15 novembre 2024 & Marie Malaterre