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Syndicat Force Ouvrière des Services Publics de la Marne

REMUNERATION

9 Décembre 2024 , Rédigé par FO Services Publics 51

Rémunération au mérite - Les syndicats disent “non”, les agents disent “pourquoi pas ?”

Alors que les organisations syndicales ne cessent d’afficher leur opposition au développement de la rémunération au mérite dans la fonction publique, différents sondages témoignent pourtant d’un attrait des agents pour ce dispositif. Cet article fait partie de l’enquête consacrée à ce sujet parue dans le numéro 171 d’Acteurs publics.

Les sondages et autres enquêtes d’opinion sont-ils ou non de bons outils pour comprendre la société et les Français ? La problématique revient régulièrement sur le devant de la scène, notamment à l’occasion des élections.

Les débats autour du projet de réforme de la fonction publique porté par le gouvernement Attal en ont donné une récente illustration. En particulier celui sur le développement de la rémunération au mérite des agents publics que souhaitait instaurer le ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Stanislas Guerini avant la démission du gouvernement Attal qui a suivi la dissolution ratée de l’Assemblée nationale. Un sujet qui a révélé une forme de paradoxe voire, selon certains, un vrai décalage entre les revendications syndicales et les aspirations de leur base, celles des agents publics.

Le mérite des fonctionnaires, une reconnaissance a minima sur la fiche de paie

Alors que les syndicats n’ont cessé d’afficher en chœur leur opposition au développement de la rémunération au mérite pour les agents publics, la tonalité semble pourtant différente chez les personnels, à la lecture des différentes enquêtes d’opinion menées auprès d’eux au cours des derniers mois.

Sondage après sondage, les agents se sont déclarés majoritairement favorables au développement de cette rémunération au mérite ou, du moins, à une meilleure reconnaissance de leur engagement dans leur rémunération.

Un sondage mené en début d’année par le think tank de hauts fonctionnaires Le Sens du service public révélait ainsi que 48 % des sondés se déclaraient favorables à la rémunération au mérite, alors que 32 % n’en voulaient pas et 20 % n’avaient pas d’avis sur le sujet. Cette étude n’était pas la première à faire état du souhait des agents publics de voir le mérite mieux pris en compte dans leur rémunération. Dans le “baromètre sur le moral des agents publics”, publié à l’été 2023 et mené par la Casden et l’institut BVA, 60 % des agents se disaient aussi favorables à la rémunération au mérite.

Une approbation à relativiser

Un an plus tôt, en 2022, dans le cadre des travaux de la Conférence sur les perspectives salariales, le ministère de la Fonction publique, alors piloté par Amélie de Montchalin, avait aussi commandé une enquête à l’institut Ipsos sur la perception que les agents publics avaient de leur rémunération. Dans cette enquête qui revenait largement sur cette question de la rémunération au mérite, 83 % des agents publics se disaient favorables à une “meilleure prise en compte” du mérite dans leur rémunération “afin de mieux garantir les efforts fournis”. Autant de données qui peuvent interroger sur la capacité des organisations syndicales de la fonction publique à répondre aux aspirations de leur base.

Côté syndicats, l’on appelle toutefois à la prudence. Tous les représentants du personnel recommandent en effet de prendre les résultats de ces sondages avec des pincettes, tout comme à se méfier de la manière dont les questions sont posées et, surtout, de l’interprétation, à première vue, d’une large adhésion des agents publics au principe de la rémunération au mérite et de son développement. “C’est toujours la même difficulté, affirme Stanislas Gaudon, de la CFE-CGC. Si vous demandez aux agents publics s’ils souhaitent être mieux rémunérés, alors tout le monde dira « oui » puisque tout le monde se donnera une étiquette de méritant.”

Vincent Lescaillez : “La rémunération au mérite implique des disponibilités budgétaires que nous n’avons pas”

Pascal Kessler, de la Fédération autonome de la fonction publique (FA-FP), se montre lui aussi circonspect sur l’esprit de ces sondages et enquêtes d’opinion auprès des agents publics. Il compare ainsi leurs résultats à la célèbre expérience de Pavlov, ce réflexe qui s’apparente à une réaction involontaire et non innée provoquée par un stimulus extérieur : “La rémunération au mérite est devenue un « réflexe-condition », une forme de conditionnement, estime-t-il. Nombreux sont ceux qui impriment l’idée que cette rémunération au mérite est la solution à tous les maux, mais elle ne peut en rien tout régler.”

Certes, explique le syndicaliste, plusieurs raisons majeures peuvent justifier cette adhésion à la rémunération au mérite, à commencer par le souhait des agents publics de voir leur pouvoir d’achat amélioré dans un contexte inflationniste. “Mais attention, le premier méritant est toujours le chef qui distribue l’enveloppe de primes au mérite, explique Pascal Kessler. La démotivation et le sentiment de non-reconnaissance risquent aussi de guetter rapidement les agents publics « méritants » une année mais pas la suivante.”

Les agents publics “sont pragmatiques”, confirme la sociologue Catherine Vincent, de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) en ­appelant, elle aussi, à la prudence s’agissant de ces sondages et enquêtes d’opinion. “Par le passé, l’engagement des agents publics était reconnu par le sens du service public et une certaine forme d’honneur du travail bien fait mais cette période est complètement terminée aujourd’hui, explique-t-elle. Étant donné le gel du point d’indice, la seule façon de voir leur engagement reconnu passe donc par la rémunération au mérite.”

Faillite des autres mécanismes de reconnaissance

La sociologue prévient toutefois : si les agents publics avaient le choix, ils préféreraient bénéficier d’une augmentation générale de leur rémunération plutôt que de la rémunération au mérite. Ce qui, selon Catherine Vincent, implique de relativiser les résultats des différents sondages sur la rémunération au mérite et les enseignements qui peuvent en être tirés sur le supposé attrait des agents pour ce dispositif. On peut même en faire une toute autre interprétation.

Cette demande de développement de la part du mérite, abonde Mylène Jacquot, de la CFDT Fonctions publiques, est surtout “la traduction de la faillite des mécanismes actuels de la reconnaissance de l’investissement au travail” et du manque de “souffle” donné aux carrières et aux promotions.

Hors de question donc, pour les organisations syndicales, de concéder une forme de décalage par rapport aux aspirations de la base. “Nous ne sommes pas décalés par rapport aux attentes des agents !” tonne Christian Grolier, de Force ouvrière. Le syndicaliste se dit toutefois prêt à discuter de l’engagement professionnel, mais à la condition préalable que “chaque agent public vive d’abord dignement de son travail avec un vrai salaire”. La question de la reconnaissance des agents publics est “centrale”, abonde Benoit Teste, de la FSU, tout en se disant “en phase avec le sentiment général des agents qui ne sont pas suffisamment reconnus”.

La mise en place de la rémunération au mérite se heurte au contexte budgétaire

Mais, explique-t-il, “cette situation est instrumentalisée de manière démagogique et dangereuse, sur la base d’enquêtes d’opinion, en prétendant que le développement de modalités de gestion sur le mode entrepreneurial serait la solution miracle”. “Nous ne fixons pas nos revendications en fonction des sondages”, renchérit Pascal Kessler, de la FA-FP, tout en concédant que les syndicats n’écoutent pas suffisamment les sondages sur cette question précise de la rémunération au mérite. Ce qui se traduirait in fine par une forme de paradoxe dans leurs revendications.

Défenseurs du collectif

Selon plusieurs observateurs du secteur public, cette discordance à première vue entre les attentes exprimées par les agents sur le sujet et les expressions syndicales résulte surtout du positionnement-même des syndicats de la fonction publique. “La défense du collectif a toujours été un argument historique des syndicats qui se sont toujours opposés à l’arbitraire ou au favoritisme”, explique le politologue spécialiste de la fonction publique Luc Rouban.

Pour les organisations syndicales, la réussite est collective et “ne peut pas être purement individuelle”, développe ce chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

Aussi, selon Luc Rouban, les syndicats seraient-ils aujourd’hui “coincés”, prisonniers qu’ils sont du système d’organisation de la fonction publique par corps : “Si les syndicats commençaient à se positionner en faveur d’une plus grande part de rémunération au mérite et donc d’une logique davantage individuelle, analyse-t-il, ils perdraient alors leur rôle de défenseurs du collectif et des corps et leur poids diminuerait alors forcément encore un peu plus.”

Primes au mérite : toujours à la recherche de la formule gagnante

Et ce d’autant plus que ces syndicats ont déjà perdu beaucoup de terrain depuis la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 et précisément depuis la suppression de la compétence des commissions administratives paritaires (CAP) sur les mutations, les mobilités, les avancements ou les promotions. Ils ont surtout perdu beaucoup de poids dans la fonction publique, au-delà de la réforme de 2019 : leur représentativité a chuté depuis quinze ans, la participation des agents publics aux élections ­professionnelles étant passée sous la barre des 50 % lors du scrutin de 2018 et même sous la barre des 44 % en 2022.

Les critères d’évaluation, sujet sensible

Tous les acteurs en conviennent : les syndicats seront dans tous les cas amenés à intégrer davantage dans leurs argumentaires et leurs revendications cette donnée de l’attrait des agents pour un développement de la rémunération au mérite. A fortiori dans le contexte bien connu de crise d’attractivité du secteur public marqué par des jeunes générations dont les attentes ne sont plus les mêmes s’agissant du travail et qui sont de moins en moins attirées par le statut.

Si la réforme initiée par le gouvernement Attal semble abandonnée depuis sa démission, la question du mérite reviendra sur le tapis à un moment donné, estime en effet la sociologue Catherine Vincent. “Tout l’enjeu pour les organisations syndicales sera alors de mieux expliquer leur position sur le sujet et notamment sur la question de l’évaluation sur laquelle est fondé le mérite, précise-t-elle. Si le cadre de ces évaluations est bien explicité et bien connu par les agents publics, alors certains pourraient être découragés à l’idée de se déclarer favorables au développement de la rémunération au mérite.” Ce qui remettrait alors en cause, selon elle, les enseignements des enquêtes d’opinion et sondages menés jusqu’à présent auprès des agents publics. À moins que le décalage avec les syndicats ne persiste, ce qui trahirait un affaiblissement plus structurel des organisations, déjà observable lors des élections professionnelles.

ACTEURS PUBLICS : article publie le vendredi 15 novembre 2024 & Bastien Scordia

 

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